Intervention de André Vallini

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 15h00
Réforme de l'asile — Présentation

André Vallini, secrétaire d’état chargé de la réforme territoriale :

C’est sur ces bases, enrichies en outre des amendements que vous aviez adoptés, notamment à l’initiative de votre rapporteure, Sandrine Mazetier, dont je tiens à souligner l’engagement et l’apport essentiel à l’élaboration de ce texte, que le projet a recueilli en première lecture à l’Assemblée nationale une majorité large, à l’issue d’un débat de qualité, éloigné des postures partisanes.

S’il y a eu un consensus fort à l’Assemblée nationale en première lecture, c’est parce que nous avions pris le temps du diagnostic. Celui-ci est désormais clairement établi et partagé par tous ceux qui se sont penchés sérieusement sur la question. Alors que la demande d’asile a presque doublé entre 2007 et 2012, passant de 35 000 demandes à 62 000, aucune mesure n’a été prise pour gérer cette augmentation. La demande a continué à augmenter en 2013, avant un léger retournement de tendance en 2014 : selon les données collectées par l’OFPRA, plus de 64 536 demandes ont ainsi été déposées l’année dernière.

Les délais de traitement des demandes à l’OFPRA et à la CNDA se sont ainsi allongés considérablement, jusqu’à atteindre deux ans. Les dispositifs d’hébergement sont insuffisants et les inégalités de traitement entre demandeurs se sont creusées. Les droits minimaux qui sont dus à ces derniers, au titre des règles européennes, n’ont plus été garantis. Le coût budgétaire de l’ensemble du dispositif a cessé d’être maîtrisé et la gestion locale de la demande d’asile en a été rendue plus difficile puisque deux tiers des demandeurs sont concentrés dans deux régions, l’Île-de-France et Rhône-Alpes.

C’est à ces dysfonctionnements incontestables et inacceptables que ce projet de loi entend répondre. Celui-ci poursuit, en effet, trois objectifs simples : premièrement, réduire drastiquement les délais d’examen d’une demande d’asile ; deuxièmement, améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile ; troisièmement, garantir les droits des demandeurs d’asile en transposant exactement les directives européennes applicables.

S’agissant de l’objectif de réduction des délais d’examen d’une demande d’asile, nous entendons tout d’abord réduire à neuf mois en moyenne la durée totale de l’examen d’une demande. À l’heure actuelle, cette durée peut facilement excéder deux ans, contre moins d’un an en moyenne chez tous nos voisins européens. Or, les procédures trop longues freinent l’accès au statut de réfugié pour les demandeurs qui sont fondés à l’obtenir, mais rendent également notre dispositif plus vulnérable aux tentatives de détournement du dispositif à des fins d’immigration irrégulière. La priorité est donc de réduire les délais à toutes les étapes de la procédure.

Voilà pourquoi l’OFPRA et la CNDA, juridiction spécialisée que le projet renforce, seront dotés en 2015 d’importants moyens humains supplémentaires : 55 équivalents temps plein supplémentaires ont d’ores et déjà été attribués et recrutés par l’OFPRA – c’est un effort exceptionnel sans précédent qu’a consenti le Gouvernement et qui a été encore amplifié par le récent plan présenté par Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel – et de nouveaux recrutements seront lancés, sans attendre la fin de l’année. Ces renforts permettront à l’OFPRA, dès 2016, d’accélérer ses procédures afin de limiter à trois mois la durée moyenne d’examen d’une demande d’asile. La CNDA, quant à elle, bénéficiera d’un renfort de magistrats et de rapporteurs afin de pouvoir examiner en moins de cinq semaines les demandes en procédure accélérée et en moins de cinq mois les demandes en procédure normale.

Nous devons également simplifier nos procédures d’asile en amont. Les délais d’enregistrement des demandes par les préfectures sont beaucoup trop longs : ils devront être ramenés à trois jours grâce à la création de guichets uniques de l’accueil du demandeur d’asile, qui regrouperont sur un même site les agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et ceux des préfectures.

Enfin, nous devons savoir distinguer entre les demandes d’asile qui méritent un examen approfondi et celles pour lesquelles la réponse semble évidente, et qui donc peuvent être traitées plus rapidement. C’est aussi de cette façon que nous réduirons les délais de procédure : l’OFPRA sait traiter rapidement des demandes qui sont manifestement fondées, telles celles aujourd’hui des Syriens ou des chrétiens d’Irak. À l’inverse, d’autres demandes ne requièrent pas un examen approfondi dans la mesure où elles ne reposent sur aucun motif sérieux. Pour cette raison, le texte réforme les placements en procédure prioritaire, celle-ci devenant la procédure accélérée. Sur ce point, le projet permettra deux avancées essentielles : d’abord, il confie à l’OFPRA, qui seul a accès au contenu de la demande, le soin de dire en dernière instance si un dossier doit faire l’objet ou non d’un placement en procédure accélérée ; ensuite, il garantit au demandeur d’asile en procédure accélérée les mêmes droits – à un hébergement, à une allocation, à un recours suspensif – qu’à un demandeur en procédure normale. Sa demande est examinée plus vite, mais ses droits sont respectés.

Notre deuxième objectif consiste à améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile. Actuellement, notre système est trop inégalitaire. Certains demandeurs sont hébergés en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile – CADA – et bénéficient d’un accompagnement administratif, social et juridique dont chacun reconnaît la qualité. Ce n’est en revanche pas le cas des deux tiers d’entre eux, qui sont soit pris en charge dans des structures d’hébergement d’urgence, soit sont tout simplement livrés à eux-mêmes, survivant tant bien que mal dans des campements de fortune. Cette différence de traitement n’est pas tolérable.

D’ici à 2017, l’hébergement en CADA doit donc devenir la norme et l’hébergement d’urgence, l’exception. Nous allons pour ce faire augmenter le nombre de places en CADA. Nous en avons déjà créé 4 000 de plus en deux ans et nous avons l’ambition d’en ouvrir encore 8 200 d’ici à l’année prochaine : 4 200 dans le cadre d’un appel à projet lancé par le ministère de l’intérieur il y a un mois et 4 000 dans le cadre du plan présenté par Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel la semaine dernière. L’effort de l’État, mesdames, messieurs les députés, n’a jamais été aussi fort pour garantir un accueil digne des demandeurs d’asile. Cela représente une augmentation de 50 % du parc par rapport à la situation qui prévalait en 2012.

Nous devons ensuite en finir avec les allocations éclatées dont bénéficient les demandeurs d’asile. L’allocation temporaire d’attente et l’allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique qui prendra en compte la situation familiale de chaque demandeur.

Enfin, nous allons mettre en place un véritable hébergement directif. Comme vous le savez, l’accueil des demandeurs d’asile peut être difficile à gérer sur le terrain lorsqu’un trop grand nombre d’entre eux convergent en même temps vers un même point du territoire. Aujourd’hui, deux territoires, la région parisienne et la région lyonnaise, concentrent plus de la moitié des demandes. L’Île-de-France concentre à elle seule 42 % des demandeurs. Et je n’ignore pas non plus les difficultés rencontrées dans d’autres régions. Or, c’est la République française qui offre l’asile à ceux qui en ont besoin, et non tel ou tel de ses territoires. Par conséquent, afin de mieux répartir l’effort, nous prévoyons de mettre en place une orientation directive des demandeurs. Mieux orienter leur accueil permettra également de mieux les accompagner et de leur offrir de meilleures conditions d’hébergement.

Concrètement, le versement d’une allocation dépendra de la sollicitation, puis de l’acceptation d’un hébergement. Si un demandeur ne souhaite pas bénéficier des conditions d’accueil prévues par la République, ou s’il ne souhaite pas aller là où une place est disponible pour le recevoir, il aura naturellement droit à un examen de sa demande d’asile. En revanche, il ne pourra pas bénéficier de l’hébergement, ni des allocations prévues. J’y insiste car il s’agit là d’un point crucial qui conditionne le succès de la réforme.

Enfin, le troisième objectif de cette réforme consiste à renforcer les droits des demandeurs d’asile, dans un souci d’égalité et de juste transposition des normes européennes. Ainsi, le demandeur d’asile pourra désormais bénéficier, à l’OFPRA, d’un conseil de son choix.

Les demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité pourront également bénéficier d’un examen et d’une prise en charge adaptés à leur situation. Je pense bien sûr aux mineurs, mais aussi aux femmes victimes, en tant que femmes, des pires atrocités : pensons notamment aux viols de guerre qui, depuis le début de la guerre civile en Syrie, ont détruit la vie de nombreuses femmes, et par là même brisé des familles, voire des communautés entières. Enfin, la loi permettra à tous les demandeurs d’asile de bénéficier, pendant l’examen de leur demande, d’un droit au maintien sur le territoire leur garantissant l’accès à l’ensemble des droits qui, aujourd’hui, ne sont reconnus qu’aux demandeurs en procédure normale.

Nous ne pouvons aborder la question de l’asile sans penser à l’outre-mer, et notamment à Mayotte et à la Guyane. Ces départements sont confrontés à une pression migratoire exceptionnelle, dont nous savons à quel point elle peut être déstabilisante. La demande d’asile peut y être perçue, en raison de l’éloignement géographique et de la longueur des procédures, comme une difficulté supplémentaire. Je veux vous garantir que le Gouvernement veillera scrupuleusement à ce que la mise en oeuvre de ce projet de loi apporte également des solutions concrètes dans nos territoires ultramarins.

Mesdames, messieurs les députés, le Sénat a mené un examen approfondi de ce texte et les débats y ont été aussi de très bonne qualité. Je ne puis toutefois que regretter que les sénateurs aient tenu à inclure dans le texte, contre l’avis du Gouvernement, quelques dispositions qui portaient spécifiquement sur les déboutés de l’asile et qui se sont révélées, à l’examen, inefficaces ou bien inconstitutionnelles. Je veux dire les choses très simplement pour lever toute ambiguïté : un débouté de l’asile est un étranger en situation irrégulière, sauf s’il bénéficie d’un droit au séjour pour un autre motif. Il doit donc quitter le territoire et regagner son pays d’origine, comme tout étranger en situation irrégulière. Et je rappelle que la lutte contre l’immigration irrégulière est une priorité du Gouvernement. Nous avons ainsi réalisé plus de démantèlements de filières et plus d’éloignements contraints que cela n’avait été le cas pendant toute la législature précédente.

Intégrer les réfugiés politiques, héberger les demandeurs d’asile et éloigner les étrangers en situation irrégulière : c’est précisément l’ambition que poursuit le plan « migrants » arrêté par Bernard Cazeneuve et Sylvia Pinel la semaine dernière. C’est de cette façon que nous pourrons rendre au droit d’asile le rôle fondamental qui est le sien, conformément à la vocation historique de notre pays.

L’examen en commission des lois a permis de revenir à l’équilibre du texte voté en première lecture à l’Assemblée nationale. Le projet de loi se retrouve ainsi débarrassé de dispositions qui, à l’évidence, servaient davantage de marqueurs politiques que de véritables propositions opérationnelles.

Nous aurons, de toute manière, dans les prochaines semaines, l’occasion de débattre de façon approfondie du droit au séjour et des procédures d’éloignement à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers en France.

Aujourd’hui, notre objectif est de réformer le droit d’asile. En raison de l’ampleur des problèmes que j’ai rappelés, cette réforme est urgente et indispensable si la France veut se montrer capable de participer efficacement à la gestion des flux migratoires auxquels l’Europe est confrontée et si elle veut, au fond, tout simplement, tenir son rang de grande puissance qui rayonne dans le monde pour la défense des valeurs humanistes.

Au début des années 60, Germaine Tillion remarquait que « les lois sont parfois en conflit avec les impératifs de la vieille morale humaine, notamment en ce qui concerne une très vénérable et quasi universelle institution qui s’appelle l’hospitalité ». Notre ambition, aujourd’hui, est de faire en sorte que la loi coïncide enfin pleinement avec cette noble exigence de l’hospitalité que l’on doit, en France plus qu’ailleurs, à tous les persécutés.

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