Intervention de Sandrine Mazetier

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 15h00
Réforme de l'asile — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes donc saisis, en nouvelle lecture, du projet de loi relatif à la réforme du droit d’asile, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire réunie au Sénat le 10 juin dernier. Malgré la bonne volonté réciproque et les efforts déployés par mon homologue au Sénat ainsi que par moi-même, des divergences de fond entre les deux assemblées ont rendu tout compromis impossible.

Je pense notamment à la composition du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Les sénateurs considèrent non seulement que les parlementaires n’y ont pas leur place mais qu’ils n’ont en outre pas d’avis à avoir sur la représentation de l’exécutif en son sein.

S’agissant de l’asile et du respect des droits dont le préambule de notre Constitution proclame le caractère inaliénable et sacré, nous pensons, au contraire, que les représentants du peuple français doivent y être attentifs, comme nos échanges et nos amendements lors de l’examen du projet de loi en première lecture l’ont montré.

Je pense également à la compétence liée de l’OFPRA : nous souhaitons au contraire consacrer son indépendance fonctionnelle et préserver sa marge d’appréciation. Notre démarche est la même concernant le transfert du contentieux des refus d’entrée sur le territoire à la Cour nationale du droit d’asile ou les conséquences du rejet définitif de la demande d’asile, puisque le Sénat a souhaité interdire à tout débouté le maintien sur le territoire à un autre titre, au mépris de rien de moins que la Convention européenne des droits de l’homme.

Je pourrais aussi citer l’article 19 bis A, qui ramenait le délai pour le retour volontaire de trente à sept jours, ou l’article 19 quater, qui restreignait l’accès des déboutés en situation de détresse à l’hébergement d’urgence, deux autres sujets de désaccords importants entre nos deux assemblées.

Sur d’autres points, le Sénat a apporté au texte des améliorations que nous avons conservées. Pour l’essentiel, la commission est revenue au texte de l’Assemblée, avec parfois quelques modifications. Des amendements ont été adoptés en commission lorsqu’ils amélioraient le texte, notamment sur des aspects nouveaux, ou lorsqu’ils remédiaient à des imperfections.

Ils ont au contraire été rejetés dès lors qu’ils se contentaient de rouvrir des débats déjà amplement menés en première lecture, tant en commission qu’en séance publique. C’est dans cet esprit que la commission a écarté, aux articles 2 et 3, toute compétence liée de l’OFPRA en matière de retrait ou de refus du statut de réfugié ou de protection subsidiaire.

À l’article 5 bis, elle a modifié la composition du conseil d’administration de l’OFPRA pour y rétablir la présence de six parlementaires et y assurer la parité, ainsi que pour préciser, dans la loi, qui doit y siéger au titre de l’exécutif.

À l’article 7, la commission a supprimé la clôture de l’examen d’une demande d’asile en cas d’abandon du lieu d’hébergement, qui avait été rétablie par le Sénat.

À l’article 8, elle a supprimé le transfert à la Cour nationale du droit d’asile du contentieux de l’asile à la frontière.

À l’article 9, nous avons confirmé la simplification du droit au recours effectif ouvert au demandeur d’asile en rétention en l’améliorant pour la rendre compatible avec l’article 46 de la directive « Procédures » et le droit à un recours effectif.

À l’article 13, nous avons rétabli le délai de recours contre la décision de transfert vers un autre État membre à quinze jours, alors que le Sénat avait ramené ce délai à sept jours.

À l’article 14, nous avons aussi rétabli, de façon explicite, la mention selon laquelle l’attestation de demande d’asile vaut autorisation provisoire de séjour. Nous avons supprimé la disposition selon laquelle la décision définitive de rejet de la demande d’asile vaut obligation de quitter le territoire français – OQTF – et l’interdiction pour un débouté du droit d’asile de se maintenir sur le territoire français à un autre titre que l’asile. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé à quel point ces dispositions étaient inconstitutionnelles et à tout le moins contre-performantes au regard de l’objectif affiché par leurs promoteurs.

Ces ajouts témoignaient au mieux de la grande confusion qui règne dans les esprits de la majorité sénatoriale, et plus certainement de la volonté d’alimenter amalgames et stigmatisations au mépris du respect de la dignité humaine et, encore une fois, des droits inaliénables que la République reconnaît à tout individu.

La Commission a également supprimé l’article 14 bis qui était inutile et ne comportait que des dispositions de nature réglementaire.

À l’article 15, comme pour l’OFPRA, la commission a écarté la compétence liée pour l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Nous considérons en effet que, compte tenu de leurs conséquences, les décisions de retrait, de suspension ou de limitation des conditions matérielles d’accueil prises par l’OFII doivent toujours faire l’objet d’une appréciation au cas par cas par l’administration et tenir compte de la situation individuelle du demandeur et des circonstances.

À l’article 17, la commission a complété la composition du conseil d’administration de l’OFII en y ajoutant deux parlementaires.

Elle a, par ailleurs, supprimé l’article 19 bis A relatif à la réduction du délai de retour volontaire de trente à sept jours et l’article 19 quater qui restreignait l’accès des demandeurs d’asile déboutés en situation de détresse à l’hébergement d’urgence.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui en nouvelle lecture a donc été très fortement enrichi par les débats parlementaires et par presque tous les groupes. Le projet de loi comprenait vingt-trois articles lors de son dépôt, il en compte aujourd’hui trente-quatre, dont trente restent en navette. Le texte est encore susceptible d’être amélioré sur différents points : j’ai moi-même déposé un certain nombre d’amendements à cette fin. Je souhaite que nos discussions permettent ces améliorations et ne s’épuisent pas dans la répétition à l’identique des débats que nous avons déjà eus.

J’ajouterai que le travail législatif est une chose, et que les moyens financiers et humains à l’appui des dispositions législatives que nous votons en sont une autre. Cette réforme de l’asile n’atteindra son objectif – mieux protéger en protégeant plus vite – que si elle s’accompagne de moyens suffisants. Je tiens à saluer, de ce point de vue, le plan présenté par les ministres de l’intérieur et du logement le 17 juin dernier. Il traduit en effet un effort significatif pour répondre à la crise humanitaire que traverse une partie de l’Europe et dont une autre partie se désintéresse : le sujet est évoqué aujourd’hui même par les chefs d’État européens.

Sur le plan procédural tout d’abord, je tiens à souligner les efforts du Gouvernement pour augmenter les recrutements à l’OFPRA, en complétant par de nouveaux moyens les cinquante-cinq emplois d’ores et déjà prévus au titre de l’exercice 2015. Un renforcement des moyens de l’OFII et des préfectures est également prévu pour parvenir le plus tôt possible à l’objectif fixé par le Gouvernement de neuf mois de délai moyen d’instruction complète d’une demande d’asile. Voilà la garantie qu’aller plus vite ne signifie pas, bien au contraire, bâcler les procédures.

Je me félicite également de la poursuite et de l’intensification de l’augmentation des capacités d’hébergement des demandeurs d’asile, avec la création de 4 000 places supplémentaires d’ici à fin 2016. Au total, avec les 4 200 places dont la création était déjà programmée, ce sont 8 200 places qui seront créées cette année.

Je salue également la création de 5 000 places dédiées au logement autonome des réfugiés, dont 500 en centres provisoires d’hébergement, car elle répond à une de nos préoccupations : ne pas traiter uniquement l’amont de la demande et suivre le sort des réfugiés une fois le statut obtenu. Le demandeur d’asile est en effet fragile, du fait des épouvantables épreuves qu’il a traversées. Il le reste une fois la protection accordée : il est donc essentiel de l’accueillir et de l’accompagner dans son intégration dans la société française.

Je salue la détermination de l’exécutif à réformer, dans le dialogue et la concertation, un système à bout de souffle qui perpétue la maltraitance à l’égard d’enfants, de femmes et d’hommes. Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je vous invite à adopter le présent projet de loi, qui répond à la nécessité et à l’urgence d’une réforme que nous appelons tous, ou presque, de nos voeux pour traiter, dans le respect, l’humanité et la dignité, des femmes et des hommes que nous ne considérons pas comme des fuites d’eau mais bien comme nos égaux.

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