Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 15h00
Réforme de l'asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, l’examen du projet de loi qui nous revient aujourd’hui est symptomatique des intérêts contradictoires qui peuvent exister entre la France hexagonale et nos territoires d’outre-mer. Ce constat, qui n’est plus à faire pour la plupart des cadres réglementaires existants, est encore plus marqué sur un sujet aussi sensible que le droit d’asile, qui renvoie à des réalités sans communes mesures selon la région où l’on se place sur le vaste territoire de la République.

Vous comprendrez donc la difficulté de l’exercice pour un parlementaire de gauche, viscéralement humaniste, mais représentant un territoire où le droit d’asile français est depuis longtemps vicié et utilisé à des fins contraires à sa philosophie première. Nonobstant les réalités du territoire que je représente dans cet hémicycle, nul ne pourra ignorer le contexte, tant national qu’européen, qui demeure très préoccupant pour les migrants. En effet, depuis le début de l’année, plus de 100 000 migrants sont arrivés en Europe et près de 1 800 hommes, femmes et enfants sont morts ou ont disparu en tentant la traversée de la Méditerranée.

Face à la multiplication de ces drames, et en respect du caractère fondamental du droit d’asile, il semble nécessaire d’assurer le respect des droits des personnes et d’appliquer les conventions de Genève sur l’accueil des réfugiés et le droit d’asile. En somme, le respect des droits fondamentaux doit être notre objectif inaliénable et prioritaire.

En France, l’actualité de ces dernières semaines a tristement confirmé l’urgence qu’il y a à revoir profondément notre droit d’asile afin de lui redonner sa vocation première et d’assurer aux demandeurs des conditions décentes de séjour dans le strict respect de l’ensemble de leurs droits. Permettez-moi de vous dire ici toute l’aversion que j’ai ressentie lors des démonstrations de force des pouvoirs publics dont la France a été témoin. Ce fut vraiment un triste spectacle pour le pays des droits de l’homme. Les évacuations brutales, les placements en centre de rétention, y compris de très jeunes enfants, sont des réponses inadaptées et, disons-le franchement, indignes qui violent le droit d’asile de certains migrants.

Il serait temps d’enlever nos oeillères, car des guerres se sont durablement installées aux portes de l’Europe. Les migrants arrivent en France hexagonale après des mois, voire des années, de périples, fuyant les conflits, les persécutions et les violences. Nous devons comprendre que ces mouvements migratoires ne vont pas se tarir de sitôt et garder à l’esprit que les États occidentaux ont leur part de responsabilité dans le chaos qui frappe certaines régions du monde. Je pense en particulier à la Libye, dont la situation désastreuse résulte directement d’une intervention militaire dont les conséquences n’avaient pas été correctement mesurées. Gardons également à l’esprit que la France n’est pas la seule en Europe à faire face à cette forte demande d’asile.

Aussi, si le texte que nous examinons aujourd’hui répond avant tout aux condamnations de la France sur la scène européenne et à la nécessité pour notre pays de transposer d’ici au mois de juillet plusieurs directives du « paquet asile » qui ont pour objectif de créer un véritable régime d’asile européen commun, il laisse un goût amer et un sentiment d’inachevé à mes collègues députés de la gauche démocrate et républicaine. Entendons-nous bien ! L’ensemble du groupe de la Gauche démocrate et républicaine se félicite des avancées indubitables, soulignées en première lecture et après la commission mixte paritaire, dans le but de renforcer les garanties procédurales au bénéfice des demandeurs.

Nous saluons ainsi d’une seule voix la consécration d’un droit au maintien sur le territoire français, au profit de tous les demandeurs d’asile, tout comme la généralisation du recours suspensif devant la CNDA. Il en va de même pour la mise en place systématique de l’entretien individuel avec le demandeur d’asile et la possibilité pour celui-ci d’être assisté d’un tiers à cette occasion. De même, le renforcement de la protection des personnes vulnérables et du droit à la réunification familiale, ainsi que la reconnaissance d’un droit à l’hébergement pour tous les demandeurs d’asile constituent de réelles avancées. À cet égard, il convient cependant d’insister sur la nécessité d’augmenter massivement le nombre de places en CADA. Aujourd’hui, seule la moitié des demandeurs sont pris en charge et l’on comptait 45 319 personnes en attente d’une place en CADA au 1er janvier 2014.

Pour autant, les députés de la gauche démocrate et républicaine regrettent que certaines dispositions du texte correspondent à une transposition a minima des directives européennes, alors même que celles-ci offrent aux États la possibilité d’adopter des dispositions nettement plus favorables. Sur ce point précis, il aurait été judicieux que ce projet de loi prenne en compte les réalités et contextes migratoires des territoires ultramarins. En effet, en tant que député de Guyane, je ne peux qu’accueillir favorablement les mesures visant à lutter contre l’aliénation du droit d’asile. Il faut dire que le nombre de fraudes y a atteint un tel niveau que le droit d’asile est proche de l’asphyxie.

Permettez-moi de reconnaître ici, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, la difficulté de la tâche qui a été la vôtre, tant la frontière entre politique de l’immigration et droit d’asile semble s’être fragilisée, au point de rendre désormais les deux sujets indissociables. La Guyane se démarque du reste du territoire français en ce que, contrairement au territoire hexagonal, elle est insérée dans un bassin géographique qui se singularise autant par sa stabilité politique que par les difficultés économiques traversées par les pays qui le composent. C’est ainsi que, depuis fort longtemps, notre département a compris que les questions liées à l’asile et à l’immigration ne sont pas taboues et surtout qu’elles ne doivent pas être réservées aux partis de droite, voire d’extrême droite, au risque de faire le jeu d’idéologies purement incompatibles avec cette région en devenir.

Les derniers chiffres montrent ainsi qu’en Guyane la demande d’asile est utilisée comme obstacle aux éventuelles mesures d’éloignement et comme ouverture à l’allocation temporaire d’attente par près de 96 % des candidats au statut de réfugié. Aussi, reconnaître qu’en Guyane notre système de droit d’asile est gangrené par les abus, ce n’est pas remettre en cause la place des populations immigrées légalement installées. Il est donc fort dommage que ce texte n’ait pas pris en compte les différents contextes migratoires des territoires. Cela aurait sûrement permis de ne pas commettre à nouveau les erreurs du passé qui ont conduit à la situation que l’on connaît aujourd’hui.

Nonobstant la volonté affichée de redonner du sens au droit d’asile, pour en faire une véritable incarnation de l’éthique de notre nation, tout en apportant les garanties nécessaires pour éviter d’alourdir les charges de certaines collectivités, les députés de la gauche démocrate et républicaine se joignent à moi pour exprimer de fortes réserves et inquiétudes quant aux moyens qui seront réellement – réellement, j’y insiste – mis en oeuvre pour rendre véritablement effectives les garanties prévues dans ce texte, notamment en ce qui concerne l’augmentation des places en CADA. En conséquence, comme en première lecture, les députés de la gauche démocrate et républicaine maintiennent leur abstention sur cette réforme qu’ils n’estiment pas suffisamment conforme à notre tradition républicaine d’accueil et de protection des personnes en danger. Sur ce point très particulier de la situation des territoires d’outre-mer, nous serons là encore suffisamment attentifs pour voir comment évolueront les applications faites sur le terrain, notamment en Guyane et à Mayotte.

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