Intervention de Malek Boutih

Séance en hémicycle du 12 décembre 2012 à 15h00
Adaptation de la législation au droit de l'union européenne en matière économique et financière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMalek Boutih :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, l'introduction dans le droit français de la directive dite « monnaie électronique II », sur laquelle mon propos se concentrera, nous donne l'occasion de discuter des suites à venir : que sera la monnaie électronique ? Quelles seront ses conséquences technologiques, sociales, politiques et économiques ?

Pour une fois, la France doit être pionnière dans une réflexion sur les questions numériques. Cette directive démontre les lacunes de notre stratégie numérique : notre retard a empêché de nombreux acteurs français de se positionner sur ce marché exponentiel. Rappelons que 95 % des paiements électroniques français se font au Luxembourg, notamment parce que la grande société de paiement par Internet, PayPal, y est installée.

La France s'est donc vue privée d'un secteur à forte plus-value pendant quelques années ; elle a pris du retard ce qui est dommageable car bon nombre d'entreprises en subissent les conséquences. De ce point de vue, monsieur le ministre, votre remarque liminaire était fondée.

Pour jouer un rôle sur le marché du numérique, la France doit être à la pointe du progrès législatif en la matière. Nous devons donc tirer les leçons de ce débat sur la monnaie électronique et anticiper systématiquement les changements à venir.

La question des paiements par monnaie électronique est au coeur de nombreux enjeux dans l'économie numérique en général. En janvier dernier, la Commission européenne a publié un Livre vert intitulé Vers un marché européen intégré des paiements par carte, par internet et par téléphone mobile, qui faisait ce constat : « Le commerce est en train de basculer du monde réel vers le monde virtuel. »

Les conclusions de ce Livre vert, particulièrement intéressantes, livrent trois raisons de notre retard : l'absence d'une véritable coopération européenne ; le manque d'une intervention étatique permettant au secteur privé de présenter une position unie face à la concurrence, notamment étasunienne ; enfin, le déficit cruel de sécurité sur les données personnelles qui nourrissent ce secteur.

Mon intervention intégrera ces remarques et portera sur les défis à venir posés par la monnaie électronique, suite à l'adoption de cette directive.

Désormais, la monnaie électronique – qui vise à remplacer les pièces et les billets – et la monnaie réseau – qui permet de transférer de l'argent pour payer via Internet – sont prises en compte dans notre droit. Des entrepreneurs français n'appartenant pas au domaine bancaire vont pouvoir de se lancer dans l'activité d'émission de monnaie électronique. Il faut bien saisir les deux enjeux essentiels qu'ouvre ce texte.

Premier point : cela permet la création d'un réseau bancaire parallèle. En 2010, le nombre de paiements électroniques s'est élevé à 17,9 milliards de transactions dans le monde ; il atteindra 30,3 milliards transactions en 2013. Or les très rares opérateurs français à s'être lancés dans cette innovation l'ont fait en basant leur filiale à l'étranger.

Pendant ce temps, les géants de l'Internet se sont rués sur le secteur et les monnaies virtuelles ou alternatives prennent de plus en plus d'ampleur : Facebook et ses « crédits », Amazon et son « paiement en un clic », Twitter et ses « twollars » et surtout PayPal qui génère à lui seul 15 % de toutes les e-transactions avec 10 millions de comptes actifs.

L'engouement est tel que se sont développés des services non couverts par les banques traditionnelles, par exemple l'échange de personne à personne comme le remboursement par simple mail de prêt d'argent entre amis.

Bien sûr, dans ce domaine, Google a été précurseur, en créant dès 2006 le « Google checkout », un service de paiement sur Internet qui permettait à l'utilisateur d'envoyer et de recevoir ses paiements sans avoir – et c'est tout l'intérêt – à communiquer ses coordonnées de carte bancaire.

Je tiens à m'attarder sur ce service « offert » par Google pour une raison simple : avec cette application, la logique de monnaie en réseau est poussée à son maximum et l'intérêt technique pour le consommateur est très facile à résumer. Actuellement, c'est un peu compliqué pour le consommateur de payer sur Internet. Pour s'assurer de la sécurité du paiement, il faut souvent disposer d'un système propriétaire de type Carte Bleue, PayPal ou autre, ce qui implique aussi d'entrer ses codes, donc de prendre du temps et le risque de voir ses codes détournés.

En réponse, Google propose d'abandonner ce système et d'utiliser une devise qui n'est pas le dollar, qui n'est pas non plus la devise d'un autre pays, mais une monnaie virtuelle, qui, elle, s'acquiert bien sûr en espèces sonnantes et trébuchantes. Il faut bien comprendre, j'y insiste, la grande différence avec les systèmes de paiement en ligne traditionnels : ce que propose ici Google, c'est du crédit online.

Je m'explique. Pour utiliser un compte sur Google, il faut le charger au préalable avec un virement depuis son compte en banque et obtenir ainsi des unités de paiement Google. Ce qui est intéressant, c'est que, lorsqu'un usager achète un produit avec Google Checkout, il n'est pas immédiatement débité sur son compte bancaire personnel. La transaction en monnaie réelle, issue au final d'une banque, n'a lieu qu'une fois le produit reçu par l'usager.

Le paiement passe en fait par deux étapes : c'est le groupe bancaire partenaire de Google qui se charge de transférer les fonds à l'organisme marchand. Une fois le produit réceptionné par l'acheteur, Google débite le compte Google préalablement chargé de cet utilisateur. Ce que fait donc Google, c'est donc un crédit à l'utilisateur, le temps que ce dernier reçoive son produit. C'est donc de la création monétaire par crédit mutuel, sur de faibles montants.

En toute logique, cette monnaie virtuelle devrait, à terme, être utilisée par tous les services Google brassant de l'argent.

Quel est l'intérêt pour cette société ?

D'abord, cela lui permet de réduire les frais de transaction inévitables dans tous les transferts d'argent réel.

Surtout, les sommes placées par les usagers ayant permis d'acheter des crédits virtuels peuvent également être investies pour le compte de cette société avant d'être utilisées par les usagers pour acheter des produits. Vu le nombre d'utilisateurs des services Google sur le web, on peut supposer que cette réserve d'argent risque d'être élevée, de plus en plus élevée.

Pour finir, l'utilisation d'une monnaie virtuelle permet de s'affranchir totalement des taxes instaurées par les États sur toutes les transactions, de s'affranchir, par exemple, de la TVA. Le gain est donc loin d'être minime.

Ce que je voulais expliquer ici en m'attardant sur l'exemple de cette société, c'est que la monnaie électronique est l'avenir de la monétisation du Web. En gros, avec la création de cette monnaie virtuelle, cette grande société états-unienne devient d'une certaine manière une banque mondiale, voire – puisque « seul le roi peut frapper la monnaie », dit le dicton – un nouvel État, non pas virtuel mais numérique.

Les banques ont du souci à se faire et la question des concurrents à cette hégémonie doit être posée. Face à cette offre, quelles solutions françaises promouvoir ?

Second point, passée cette question de la monnaie en réseau : le paiement par téléphone mobile, c'est-à-dire l'autre volet de la réflexion sur la monnaie électronique.

Poursuivons avec l'exemple de Google, qui a récemment annoncé la transition des comptes Google Checkout vers une nouvelle plateforme appelée Google Wallet. Pour le dire très simplement, Google Wallet, c'est un système de paiement par téléphone mobile, et, à mon sens, c'est le deuxième grand enjeu de la monnaie électronique : la modification de notre système de paiement dans le quotidien.

On en vient aujourd'hui aux portables portefeuilles. C'est le paiement de l'avenir qui laisse penser que les enfants d'aujourd'hui ne connaîtront jamais notre bon vieux portefeuille, avec ses billets et ses pièces. En s'appuyant sur une technologie permettant de payer avec son portable en l'approchant d'un boîtier, le portable va remplacer les pièces et billets.

Pour les grands groupes commerciaux, l'intérêt est de réduire le paiement en espèces des petites dépenses. L'enjeu n'est pas marginal. Tel grand magasin français, par exemple, traite en caisse chaque année deux à trois millions de transactions d'un montant inférieur à deux euros. Or leur temps de traitement et leur coût de gestion ne sont pas anodins. Ce sont donc, pour les services commerciaux, des gains considérables qui sont en jeu avec ces paiements par ces portefeuilles de téléphone portable.

En Afrique, notamment, rares sont ceux qui possèdent une carte de crédit. En revanche, nombreux sont les détenteurs de portable, qui pourraient devenir de nouveaux consommateurs. Sur le marché mondial, les conséquences économiques de ces avancées sont donc incommensurables.

Tous les grands acteurs du e-commerce travaillent sur leur propre solution de paiement par mobile. Le marché est juteux : on compte en France vingt millions de mobinautes, c'est-à-dire de personnes ayant un téléphone qui leur permet de se connecter à Internet.

L'impact commercial est immense. Dans ce domaine, les établissements commercialisant des porte-monnaie électroniques seront en concurrence directe avec les établissements de crédit classiques et les groupes de téléphonie mobile.

Pour l'instant, et comme d'habitude sur ce secteur, les opérateurs français de portables portefeuilles ne sont pas nombreux, tandis que les Étatsuniens sont surreprésentés, avec, notamment, deux offres de paiement par téléphone mobile apparues cet été : PayPal Mobile et Google Wallet, que je vous présente rapidement.

Paypal a un grand intérêt : il permet de s'affranchir de la file d'attente en scannant le code barres des produits avec son mobile, sans passer par la caisse. En réponse à cette innovation, Google a lancé Google Wallet, un service qui offre, lui, le grand avantage d'être en apparence gratuit. Évidemment, rien n'est gratuit, et cet outil présente une caractéristique très particulière : grâce à lui le consommateur recevra des offres ciblées de plate-forme de publicité, ainsi que des points de fidélité calibrés pour son profil. C'est une force de frappe hors du commun, car, en gros, cette société promet d'amener des gens devant les vitrines des commerçants, et de leur facturer ce service. C'est très simple : après avoir identifié vos loisirs via vos recherches sur Internet, Google pourra vous annoncer une promotion dans un magasin près de chez vous, où vous réglerez avec le portefeuille de votre téléphone portable, contenant de la monnaie électronique estampillée Google, tandis que votre compte Google sera crédité de points de fidélité tirés de vos dernières visites sur le web grâce… au moteur de recherche Google.

Je m'arrête là dans la présentation de l'ensemble des changements technologiques à venir, pour finir sur une note nuancée face à tous ces progrès.

Derrière ces avancées, il y a des enjeux de sécurité conséquents.

Force est de constater que des systèmes comme Google Wallet sont plus qu'intrusifs. D'ailleurs, la CNIL mène des investigations techniques afin d'évaluer les conséquences en termes d'impact sur la vie privée des porteurs de mobiles qui paient avec ces opérateurs.

Il faut bien comprendre que ce problème traité aujourd'hui trop rapidement ne s'arrête pas à la monnaie et aux différents moyens de payer. On entre ici dans l'Internet des objets, et ce n'est pas de la science-fiction. Bientôt la distribution des biens et des marchandises sera toute liée à internet. On assistera au remplacement progressif des codes barres par des puces communicantes sans fil, elles-mêmes connectées à Internet, qui pourront être lues par des portables. L'ensemble des objets du quotidien devrait bientôt être relié au réseau.

Cela signifie quelque chose de fondamental : désormais la moindre connexion à Internet sera utilisable commercialement pour connaître les goûts du consommateur, ses choix, ses orientations et lui proposer des promotions adaptées et des produits. Or, il ne faut pas se leurrer, ces données issues de nos passages sur le web, sont d'ores et déjà à disposition de firmes à l'étranger, mais, comble de l'ironie, non accessibles à nos propres entreprises, souvent soumises à des législations plus contraignantes.

Cette question de la monnaie électronique et des réponses législatives à lui donner nous offre l'occasion de replacer la France au coeur des innovations. Pour cela, il faudra un soutien actif de l'État au numérique, et une véritable impulsion au profit des entreprises du secteur.

Parallèlement, il est temps de s'assurer que les données personnelles liées aux paiements électroniques respectent les règles de confidentialité des données et de protection des libertés individuelles, comme le préconise la CNIL. Je pense d'ailleurs que le Parlement devra suivre au plus près les travaux qu'elle mène.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion