Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 1er juillet 2015 à 8h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Le débat public portant sur l'accueil et le droit des étrangers en France, nous l'avons constaté au cours des dernières semaines, manque singulièrement de sérénité et de rationalité. Certains commentaires à l'emporte-pièce auxquels la crise migratoire actuelle a donné lieu ont montré combien rares sont ceux qui s'emploient à sonder la complexité des choses. Or, en cette matière délicate, l'excès est très mauvais conseiller.

La France est le plus vieux pays d'immigration d'Europe du fait de la conjugaison d'une démographie atone au XIXe siècle et des besoins en main-d'oeuvre provoqués par la révolution industrielle. Belges, Polonais, Italiens, Espagnols puis Algériens, Marocains, Tunisiens, immigrés venus d'Afrique noire, tous ont contribué à faire ce que nous sommes aujourd'hui : une nation prospère et ouverte sur le monde. L'identité de la France est intimement liée à l'histoire des flux migratoires. Il faut avoir la lucidité de le reconnaître : nous sommes un pays d'immigration.

Si l'outrance n'est pas de bonne méthode, c'est également parce que la France, par vocation, s'inscrit pleinement dans la mondialisation. Par là même, elle doit accueillir dignement ceux qui ont droit au séjour tout en menant une lutte sans relâche, avec la plus grande détermination, contre l'immigration irrégulière.

Le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité, qui consiste à analyser sereinement les fragilités de notre droit pour leur apporter les réponses concrètes nécessaires. Faire le choix de la responsabilité, c'est aussi parler des étrangers qui vivent en France sans céder aux fantasmes, encore moins aux calculs politiciens, tout en demeurant d'une fermeté sans faille sur la légalité républicaine. C'est également rechercher l'équité en adoptant des critères clairs, précis, incontestables qui soient appliqués sur l'ensemble du territoire. C'est ainsi qu'a procédé mon prédécesseur Manuel Valls en matière de régularisation : la circulaire du 28 novembre 2012 fixe des critères rigoureux, à l'opposé d'une gestion au cas par cas qui ne peut manquer d'être illisible et inégalitaire.

Afin d'éviter faux débats et analyses biaisées, le ministère de l'Intérieur a entrepris un travail de clarification sur la réalité des chiffres de l'immigration. Un service statistique indépendant est ainsi chargé, sous la supervision de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), de collecter les données chiffrées nécessaires dans le strict respect des règles de déontologie.

Que nous disent les chiffres ?

D'abord, il y a 6 % d'étrangers en France. C'est moins qu'en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni. C'est autant qu'au début du XXe siècle. Pour un pays tel que la France, ouvert sur le monde, ancienne puissance coloniale, ce pourcentage ne reflète en rien la déferlante que certains s'emploient à dénoncer.

Les flux migratoires réguliers représentent environ 200 000 personnes par an – pas davantage –, soit 0,3 % de la population, proportion qui nous place tout en bas des pays de l'OCDE, derrière tous nos principaux partenaires. Cette immigration régulière présente quatre caractéristiques.

Tout d'abord, l'immigration familiale y occupe une place très importante, ce qui traduit le fait que nous sommes un vieux pays d'immigration. Elle compte pour 45 % de nos flux migratoires réguliers, au premier rang desquels figure le mariage avec un Français ou une Française.

Ensuite, les mobilités étudiantes représentent une part en augmentation, jusqu'à 65 000 personnes par an. Ces étrangers, qui viennent étudier chez nous, enrichissent notre pays, contribuent à son rayonnement et font vivre la francophonie. La France est le premier pays non anglophone qui accueille des étudiants étrangers. Considérant que le développement de régions entières de la planète va entraîner une multiplication par deux en dix ans du nombre d'étudiants étrangers dans le monde, ne pas favoriser leur accueil serait contraire à nos intérêts, notamment économiques.

Pour ce qui est de nos flux d'immigration professionnelle, ils sont parmi les plus faibles au monde en raison de notre législation qui empêche tout employeur de recruter un étranger extra-communautaire s'il n'a pas démontré préalablement qu'aucun résident en France ne pouvait occuper le poste proposé. Dans une période de chômage de masse, une telle législation est forcément dissuasive, ce qui explique que l'immigration professionnelle concerne moins de 20 000 personnes par an au total.

Enfin, la part de l'asile et de l'immigration de type humanitaire, qui concerne les réfugiés, les protégés subsidiaires et les étrangers malades, que leurs convictions, leurs croyances ou leur situation personnelle exposent, dans leur pays d'origine, à de graves dangers pour eux-mêmes ou leurs proches, ne représente que 15 000 à 20 000 personnes par an.

Dans ce contexte, nous sommes confrontés à deux difficultés principales.

La première est que nous intégrons mal les étrangers qui viennent légalement sur notre sol. Si le contrat d'accueil et d'intégration imaginé par François Fillon en 2003 est une bonne idée. Il exige le niveau de langue le plus faible du référentiel européen et, pour 80 % des étrangers, ce contrat se borne, en réalité, à quelques heures de formation civique. C'est certes utile, mais insuffisant.

Surtout, nous soumettons les étrangers qui viennent en France à un véritable parcours administratif du combattant que l'on peut illustrer en chiffres : 2,5 millions d'étrangers extracommunautaires effectuent 5 millions de passages en préfecture alors même que 1,8 million d'entre eux sont titulaires d'une carte de séjour valable dix ans. Cela signifie que nous soumettons des centaines de milliers d'étrangers à environ une dizaine de passages en préfecture par an. Comment s'intégrer lorsqu'on court de titre précaire en titre précaire ? Comment trouver un emploi quand on doit mobiliser son énergie plusieurs fois par an et s'armer de patience dans les longues files d'attente ? Et comment ces préfectures peuvent-elles lutter efficacement contre la fraude – une de mes priorités –, quand elles doivent faire face à la masse des demandeurs au guichet ?

Le Gouvernement propose de changer de logique. Tous les étrangers auront désormais accès à un titre de séjour pluriannuel après leur première année de séjour et si les conditions sont réunies pour ce faire. Selon les préconisations du rapport de Matthias Fekl, ce titre de séjour pluriannuel les conduira à la carte de résident, à laquelle il ne se substitue pas contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là. Le titre de séjour pluriannuel permet d'éviter des allers-retours angoissants en préfecture. En réalité, si ce projet de loi ne fait pas référence à la carte de résident, c'est précisément parce que nous souhaitons sanctuariser ce dispositif. Mme Chapdelaine propose de consolider l'accès à cette carte en permettant sa remise de plein droit au terme du parcours d'intégration républicain. Le Gouvernement est ouvert à une telle clarification qui permettra de lever tous les doutes éventuels sur l'avenir de la carte de résident.

La création du titre de séjour pluriannuel, au bout d'un an de séjour en France, s'accompagnera de deux évolutions indispensables. La première est le renforcement du parcours d'intégration, fondamental pour la réussite de notre démarche. Dans ce cadre, des cours de langue renforcés devront permettre aux étrangers d'atteindre un niveau A2, inférieur à celui requis pour la naturalisation mais suffisant pour une vraie intégration dans la vie courante. À cet égard, plusieurs amendements déposés devant votre Commission témoignent d'une inquiétude : en France, un parcours d'intégration est forcément républicain ; tout étranger qui souhaite vivre en France doit acquérir et partager les valeurs fondamentales qui cimentent notre nation.

L'amélioration des outils dont disposent les préfectures pour lutter contre la fraude constituera la seconde évolution, avec l'instauration d'un droit de communication tel qu'en disposent les administrations fiscale et sociale. La préfecture n'aura plus à demander à la personne étrangère qu'elle produise des pièces toujours plus difficiles à fournir, mais pourra se tourner directement vers les administrations et les entreprises pour leur réclamer les informations nécessaires. Nous gagnerons ainsi en simplicité et en efficacité. Paradoxalement, aujourd'hui, l'administration fiscale et la sécurité sociale ont accès à toutes les informations détenues par les préfectures quand celles-ci ne peuvent rien leur demander. Il faut mettre fin à cette relation asymétrique qui rend nos titres de séjour vulnérables à la fraude. Si nous voulons créer les conditions d'un accueil digne, nous devons nous armer pour lutter résolument et avec efficacité contre la fraude.

L'esprit de la réforme n'est pas d'accumuler des masses d'informations inutiles sur les étrangers. Au contraire, avec le titre de séjour pluriannuel, nous prônons le mouvement inverse. C'est pourquoi le Gouvernement sera ouvert à toute rédaction de nature à apaiser les craintes.

La deuxième difficulté liée à notre immigration légale est que notre législation restrictive sur l'immigration professionnelle nous prive de talents dont nous avons besoin pour notre compétitivité et notre rayonnement. La mondialisation entraîne une concurrence entre États pour attirer les meilleurs talents, les meilleurs étudiants, les artistes prometteurs. Se priver de ces talents à cause d'une réglementation sourcilleuse reviendrait à se condamner à une forme d'aporie. C'est pourquoi l'une des toutes premières décisions prises par le Gouvernement, en 2012, fut d'abroger la circulaire Guéant, qui témoignait d'une rare méconnaissance des réalités de la mondialisation. Ce texte avait abouti à réduire considérablement le nombre d'étudiants étrangers accueillis en France alors que leur présence se révèle éminemment utile pour le développement de notre recherche, la promotion de la francophonie, la mise en relation de nos centres de recherche. Pour que la France redevienne pleinement attractive, il a fallu, en première étape, supprimer cette circulaire.

La seconde étape consiste à introduire, avec ce projet de loi, trois innovations majeures. La première est la création d'un « passeport talent », titre unique destiné à tous les étrangers dont nous souhaitons qu'ils viennent en France. Valable quatre ans, renouvelable, délivré à la personne et à sa famille, ce passeport regroupe et élargit certaines catégories de titres existants. Il pourra concerner jusqu'à 10 000 personnes chaque année. La deuxième innovation consiste à simplifier le passage du statut d'étudiant à celui de salarié, pour que les étudiants puissent concrétiser dans la vie professionnelle les espoirs que la France a placés en eux. Le Gouvernement souhaite que ces facilités soient réservées aux meilleurs étudiants et aux titulaires de master pour éviter tout effet d'aubaine. La fin des autorisations de travail destinées aux artistes et à leurs équipes pour les visas de moins de trois mois constitue la troisième nouveauté. Ces autorisations sont accordées dans 97 % des cas, mais leur délivrance est le résultat d'une procédure que les entreprises de spectacle ou les organisateurs de festivals considèrent comme particulièrement lourde.

Avec le titre de séjour pluriannuel et le passeport talent, nous entendons répondre aux deux lacunes principales de notre législation en matière de droit au séjour. Nous pourrons ainsi mieux tenir compte des mobilités liées à la connaissance, au savoir et à la culture. Nous intégrerons mieux les étrangers présents sur notre sol. Enfin, nous lutterons plus efficacement contre la fraude. Tels sont, à mes yeux, les objectifs d'une politique d'accueil des étrangers : ferme dans ses principes, solide dans ses fondements, conforme à l'esprit de la République.

Quelques mots sur le titre de séjour délivré aux étrangers malades, qui est en adéquation avec la vocation de la République. Créé par mes prédécesseurs Jean-Louis Debré et Jean-Pierre Chevènement, il témoigne d'une continuité républicaine incontestable qui dépasse les clivages politiques. Ce droit au séjour repose sur un principe simple : un étranger qui risque la mort dans son pays parce qu'il n'y trouve pas les soins adaptés à sa pathologie doit pouvoir rester en France pour se soigner. Un rapport conjoint de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait proposé de clarifier dans la loi la définition des bénéficiaires de ce titre et de transférer à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui dispose d'une expertise reconnue, l'évaluation de la santé des personnes. On pourrait ainsi remédier à la trop grande hétérogénéité du système actuel et éviter la fraude – car elle existe en la matière. Le projet de loi reprend les deux évolutions souhaitées par les inspections générales. Nous redonnerons ainsi à ce droit aujourd'hui décrié toute sa force et toute sa légitimité.

Le deuxième volet du projet de loi concerne la lutte contre l'immigration irrégulière. C'est un point fondamental à mes yeux.

Comme tous ses voisins européens – et pas plus qu'eux –, la France est confrontée à ce phénomène. Avec 300 000 à 400 000 étrangers en situation irrégulière, essentiellement concentrés en Île-de-France, la France se situe au niveau de l'Allemagne. Au Royaume-Uni, l'immigration irrégulière est deux fois plus importante que chez nous. Ce constat statistique ne doit pas pour autant nous détourner de nos objectifs : un étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière et les filières criminelles de l'immigration clandestine, ces réseaux de passeurs qui tirent profit de la mort ou de l'exploitation des plus vulnérables, doivent être démantelées. Il en va du respect de l'État de droit et des valeurs de la République.

Démanteler les filières de l'immigration clandestine, c'est précisément ce à quoi je souhaite que s'emploie toute l'administration placée sous ma responsabilité. Les forces de l'ordre enregistrent d'excellents résultats : plus 25 % de filières démantelées en 2014 par rapport à 2012 ; plus 13 % de reconduites contraintes pendant la même période, les reconduites vers un pays tiers à l'Union européenne (UE) connaissant la hausse la plus significative, après un point bas atteint en 2011– autrement dit, ce sont les reconduites les plus difficiles à réaliser qui augmentent le plus. Comprenant parfaitement que certains puissent ressentir le besoin de vérifier l'adéquation entre ce que j'affirme et la réalité, le Gouvernement est disposé à communiquer à la Commission l'ensemble des statistiques dont il dispose. Ainsi pourrons-nous mettre un terme à des débats alimentés par des contre-vérités.

Dans cette lutte contre l'immigration irrégulière, nous devons remédier à trois faiblesses.

D'abord, nous avons mal transposé en droit français certains aspects de la directive Retour. Il en résulte que les étrangers à qui nous remettons une mesure d'éloignement ne font l'objet de l'interdiction de retour prévue par les textes européens que de façon exceptionnelle. Or celle-ci peut permettre aux préfectures de gagner en efficacité en évitant de délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) chaque fois qu'un étranger se soustrait à une mesure d'éloignement. Cette interdiction de retour sera valable pendant une durée comprise entre une à trois années, et supprimée si l'étranger exécute volontairement l'OQTF qui lui est délivrée. Elle renforcera l'efficacité de nos outils juridiques en nous permettant de nous conformer pleinement à nos obligations communautaires. J'ajoute que cette évolution est conforme à la jurisprudence constitutionnelle : le Conseil constitutionnel a bien précisé que l'interdiction de retour n'était pas une sanction et qu'elle pouvait donc accompagner plus systématiquement les OQTF.

Ensuite, notre politique d'éloignement repose trop exclusivement sur la rétention. En conformité avec les directives européennes, nous devons privilégier, chaque fois que cela est possible, l'incitation à la contrainte, et veiller à ce que la rétention ne soit utilisée que lorsqu'elle est indispensable. Le Gouvernement a récemment refondu les aides au retour pour en faire, s'agissant notamment des pays tiers à l'Union européenne, un outil indispensable de sa politique d'éloignement. Mais ce n'est pas suffisant. Il prévoit donc, dans le projet de loi, de renforcer l'assignation à résidence pour en faire une alternative efficace à la rétention. C'est ainsi que sont clarifiées les conditions de l'action des forces de l'ordre dans le cadre d'une assignation à résidence, ce qui leur apporte le cadre juridique sans lequel l'assignation à résidence est à la fois peu efficace et peu protectrice des libertés. Avec la fin du délit de séjour irrégulier, votée par l'Assemblée nationale en décembre 2012, cette évolution signifie également la fin d'une assimilation de la politique d'éloignement avec la politique pénale. Un étranger en situation irrégulière doit être éloigné ; il n'est pas pour autant un délinquant et ne doit donc pas être traité comme tel, ni privé systématiquement de liberté.

En ce qui concerne précisément la rétention, j'entends agir dans la plus grande transparence. Des associations interviennent dans les centres de rétention pour faire respecter le droit ; des parlementaires, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits s'y rendent régulièrement. Mais, de façon paradoxale et faute d'un régime juridique adapté, la presse n'y a accès que sur dérogation. Ce n'est pas la conception que nous devons avoir de la République. Il faut un régime clair et simple d'accès des journalistes aux centres de rétention. S'il s'avère que des centres offrent des prestations insatisfaisantes, comme à Mayotte par exemple, une visite de la presse aura tôt fait d'amener le Gouvernement, quel qu'il soit, à prendre les mesures qui s'imposent. Le projet de loi prévoit donc l'accès de la presse aux centres de rétention.

Enfin, vous êtes nombreux à vous interroger sur le contentieux des étrangers, à propos duquel je distinguerai deux catégories de questions.

La première porte sur la rétention, en particulier sur son contrôle par le juge des libertés et de la détention (JLD) que la loi du 16 juin 2011 fait intervenir après le cinquième jour de rétention. Certains d'entre vous s'en inquiètent car une part non négligeable des étrangers est éloignée avant même que le juge ait pu examiner les conditions de leur interpellation. Ces éloignements ont lieu exclusivement vers des pays de l'Union européenne puisqu'il est impossible, dans les autres cas, d'obtenir un laissez-passer consulaire dans des délais si courts. Toutefois, du point de vue des principes, un tel angle mort n'est pas satisfaisant. Pour remédier à cette situation, il faut prendre en compte l'ensemble des aspects du sujet : dans la chaîne contentieuse en rétention, particulièrement complexe, l'action des deux juges qui se prononcent en l'espace de cinq jours doit être coordonnée avec la plus grande minutie ; du point de vue des forces de l'ordre et de la Chancellerie, il faut garder à l'esprit que la procédure implique des escortes et des audiences alors que les services sont très mobilisés par ailleurs.

Certains parlementaires souhaitent réduire la durée de rétention pourtant parmi les plus courtes d'Europe : de quarante-cinq jours en France, elle est de six mois en Italie et en Allemagne et de dix-huit mois au Royaume-Uni. Cette proposition s'appuie sur le fait que le taux de reconduite décroît avec le temps. Or les éloignements qui ont lieu tard dans la procédure sont ceux qui concernent des États tiers à l'Union européenne, parfois peu coopératifs dans la délivrance de laissez-passer consulaires. Réduire cette durée reviendrait à adresser un signal négatif quant à notre détermination à éloigner les ressortissants de ces pays en situation irrégulière sur notre territoire. C'est pourquoi je n'y suis absolument pas favorable. Rien n'est prévu à cet égard dans le projet de loi parce que nous souhaitons que ces questions soient évoquées en séance. Nous poursuivrons notre travail avec le rapporteur pour rechercher les meilleures solutions afin de concilier respect de l'État de droit et efficacité de nos dispositifs. Si nous sommes disposés à réduire les angles morts, il faut aussi que nous créions les conditions d'un éloignement soutenable, efficace et ferme.

J'en viens à la deuxième catégorie de questions portant sur le contentieux des étrangers. Le texte prévoit un recours accéléré pour les situations dans lesquelles le préfet a pris une OQTF sans examiner une demande de titre de séjour, se bornant à constater une situation d'irrégularité. Cela est nécessaire : il est anormal qu'au terme d'une longue procédure d'asile, il faille jusqu'à un an au tribunal pour statuer sur l'obligation de quitter le territoire français. Nous ne faisons, sur ce point, que rétablir la distinction qui prévalait jusqu'en 2011 entre arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière et obligation de quitter le territoire.

Dans le débat sur l'asile, considérant que de telles solutions présentaient des fragilités juridiques considérables, j'avais très clairement exprimé mon opposition à des mesures prévoyant que tout refus d'asile valait automatiquement OQTF ou interdisant aux déboutés de l'asile de déposer une demande de titre de séjour pour un autre motif, renvoyant le traitement de la question au texte sur le séjour. Nous y sommes. Alors même que toutes les garanties juridiques sont prises, puisque nous avons accordé un droit au recours suspensif devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), l'OQTF « post-asile » doit pouvoir faire l'objet d'un traitement accéléré sans remise en cause des droits des étrangers. Tel est l'objectif de cette mesure, qui doit renforcer la soutenabilité de notre système d'asile, qui implique que nous soyons à même de reconduire à la frontière tous ceux qui, déboutés du droit d'asile, n'ont pas le droit au séjour en France à un autre titre. Tout autre raisonnement serait irresponsable.

En matière d'immigration, le Gouvernement a trois priorités : mieux intégrer ceux que notre droit et nos principes nous conduisent chaque année à accueillir légalement ; attirer davantage les talents ; lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière en démantelant les filières – nous multiplions, à ce sujet, les accords de coopération en Europe et avec nos partenaires extra-européens – et en éloignant effectivement du territoire les étrangers qui n'ont pas droit au séjour, sans pour autant les considérer comme des délinquants. Si nous réussissons ensemble à bâtir cette réforme équilibrée, réaliste et adaptée aux réalités contemporaines, nous aurons été des républicains utiles.

Quand le droit s'attache à réaliser des objectifs politiques justes, incontestables et adaptés, il s'inscrit dans la profondeur du temps. J'ai confiance dans la sagesse de votre Commission, éclairée par le travail remarquable de votre rapporteur Erwann Binet. Celui-ci s'est pleinement investi dans l'examen du projet de loi, multipliant les visites et les contacts avec l'ensemble des acteurs intéressés, pour parvenir à une solution qui fasse honneur à la République et nous éloigne des postures habituelles, dangereuses pour nous comme pour les étrangers ; bref, une solution qui nous permette de faire vivre la République et ses principes.

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