Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 1er juillet 2015 à 8h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Vos propos, très politiques comme il est normal à l'Assemblée nationale, s'adossent à des éléments erronés. Je vais vous apporter des faits précis afin que nous puissions avoir un débat qui repose non sur des postures, des incantations et des contre-vérités, mais sur des données objectives. Vous avez raison : il existe une tension migratoire à propos de laquelle le pays est profondément divisé. Certaines images véhiculées ne sont pas de nature à conforter la République dans ses fondements et ses principes, mais cherchent à créer des fantasmes, de la peur et de la division. Tous les républicains devraient se montrer rigoureux et précis. C'est l'attitude qui a animé le Gouvernement lors de la rédaction de ce texte. Je conserverai cet esprit pour son examen.

Les dispositions que nous prenons ne sont pas, dites-vous, à la hauteur de la crise migratoire. Mais ce n'est pas la première que nous connaissons. Lors d'un épisode sévère en 2011, au lendemain des « Printemps arabes », plus de 100 000 migrants étaient arrivés en quelques mois en Europe. Qu'avait-il été fait à l'époque ? J'attends de connaître des éléments précis sur les décisions européennes arrêtées il y a quatre ans. L'examen de ce texte offrira l'occasion d'aborder ce sujet.

Je peux vous dire précisément ce que nous avons fait de notre côté. Le 30 août dernier, alors que la crise actuelle ne s'était pas encore déclarée, j'ai entamé une tournée des capitales européennes pour défendre auprès de mes homologues la mise en place d'une politique globale et forte de l'Union européenne. J'ai plaidé pour qu'une distinction soit opérée, dès le franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne par les migrants, entre ceux qui relèvent du statut de réfugié et ceux qui se trouvent en immigration irrégulière. La Commission européenne a repris cette solution en proposant la mise en place de hotspots en Italie et en Grèce ; ces deux pays en ont accepté le principe même si les discussions sur les modalités continuent. Cette mesure est indispensable pour tarir le flux de l'immigration irrégulière en Europe et organiser les reconduites dans les pays de provenance, dans la mesure où 70 % des migrants qui transitent par la bande sahélo-saharienne relèvent de l'immigration économique irrégulière.

Par ailleurs, il faut organiser le dispositif de reconduite à la frontière avec l'Union européenne. Pour ce faire, nous avons triplé les moyens de Frontex et sommes prêts à l'armer dans le cadre d'accords permettant la délivrance de laissez-passer consulaires avec les pays de provenance. Dans le respect rigoureux des règles de Schengen, nous avons fait en sorte que le dispositif de réadmission fonctionne – vous le savez parfaitement, monsieur Ciotti, puisque nous avons agi non loin de votre circonscription. Cela a suscité des débats injustes qui ont stigmatisé la position française comme non solidaire alors qu'elle reposait sur le respect des règles européennes ; cela a également engendré une nette amélioration du dialogue avec les Italiens et nous avançons dorénavant ensemble. Sans cette mesure de grande fermeté, nous n'aurions pas pu trouver avec l'Italie l'accord auquel nous avons abouti.

Pour ceux qui relèvent du statut de réfugié, un mécanisme de répartition entre les différents pays européens doit être créé. Il n'est pas normal que cinq pays accueillent 85 % des demandeurs d'asile. Contrairement à ce que vous affirmez, monsieur Ciotti, la France n'accueille pas sans compter les demandeurs d'asile. Leur nombre a d'ailleurs diminué de 2,34 % l'an dernier et atteint environ 20 000 chaque année pour 60 000 demandes. L'Allemagne en a accueilli près de 200 000 ; vous ne qualifieriez pas la sensibilité politique du gouvernement allemand de laxiste et d'inconséquente. Quant à la pression migratoire qui ne cesserait d'augmenter, j'ai dit que les 200 000 étrangers arrivant chaque année représentent une proportion de la population française identique à celle qu'elle était au début du XXe siècle.

Notre politique repose sur les piliers suivants : lutte contre l'immigration irrégulière, démantèlement des filières, reconduite à la frontière de ceux qui relèvent de l'immigration illégale et accueil de ceux qui relèvent de l'asile par la mise en place d'un dispositif en Italie et en Grèce. Celui-ci mobilise l'Union européenne et nos administrations, notamment l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l'OFII, pour aider les Italiens.

Vous nous reprochez la faiblesse de notre politique d'éloignement. Regardons les chiffres précis et ne cédons pas à l'approximation et aux raisonnements à l'emporte-pièce : en 2009, le Gouvernement d'alors a procédé à 13 908 reconduites à la frontière, puis 12 034 en 2010 et 12 547 en 2011. En 2012, ce nombre est remonté à 13 386, puis à 14 076 en 2013 et 15 161 en 2014. Le nombre de reconduites à la frontière a donc augmenté de 13 % depuis 2012 et il avait atteint son point le plus bas en 2011. Monsieur Ciotti, vous comptabilisez, dans les statistiques que vous diffusez sur les reconduites à la frontière, les Roumains et les Bulgares retournés dans leur pays au titre de la prime instaurée par M. Brice Hortefeux. Le Gouvernement que vous souteniez a gonflé ces statistiques avec des Roumains et des Bulgares qui partaient dans leur pays avant Noël, après avoir touché la prime, revenaient en France en janvier et repartaient à Pâques après avoir perçu à nouveau de l'argent. Ce n'est pas une politique pertinente ; c'est une politique de gribouille ! Elle s'avère dispendieuse d'argent public et ne permet pas d'éloigner les personnes difficiles à renvoyer chez elles. Pour notre part, nous avons refondu le dispositif d'aide au retour afin d'atteindre cet objectif. Monsieur Ciotti, compte tenu de votre engagement et de votre passion sur cette question, ainsi que de la qualité de nos relations, je ne doute pas que vous ferez le meilleur usage de ces chiffres qui décrivent la réalité.

Le sujet qui prouve la volonté d'un Gouvernement d'agir est le démantèlement des filières de l'immigration irrégulière : l'an dernier, nous avons augmenté de 25 % le nombre de démantèlement de filières. Le reconnaître revient à accepter la réalité et à rendre hommage aux forces de l'ordre, qui apprécieraient que l'ensemble de la classe politique française salue l'accomplissement de cette tâche difficile et risquée. Je tiens à les féliciter de leur travail qui donne des résultats.

Il est inexact que le passeport talent engendrera l'arrivée de 10 000 étrangers supplémentaires. Ce dispositif bénéficiera, à flux identique, à des personnes déjà présentes, qui ont démontré leur utilité à notre pays. Plutôt que de les condamner à un parcours administratif interminable qui embolise les services des préfectures et les empêche de lutter efficacement contre la fraude, il facilitera leur intégration. Toutes les grandes puissances économiques sont capables d'accueillir des ingénieurs, des intellectuels, des scientifiques et des gens talentueux qui viennent stimuler leur économie. On ne peut pas vouloir une France plus forte dans la mondialisation et compliquer la tâche de ceux qui peuvent apporter de l'intelligence et de la valeur ajoutée et qui veulent venir chez nous.

Connaissez-vous, monsieur Ciotti, le taux de délivrance des autorisations de travail de moins de trois mois ? Il s'élève aujourd'hui à 97 % ! Affirmer que la modification que nous apportons est une source de laxisme considérable ne constitue pas un argument raisonnable.

L'assignation à résidence n'a pas vocation à empêcher les éloignements mais à les réaliser dans des conditions humaines. L'administration pourra ainsi organiser les départs dans des conditions de confiance et non plus de tension. J'ai également modifié le barème des aides au retour pour faciliter les reconduites. On peut discuter de l'efficacité de la mesure mais on ne peut pas faire dire à un texte le contraire des objectifs qu'il prétend servir. Pensez-vous que les centres de rétention, inoccupés pour un tiers d'entre eux, remplissent leur fonction ? Je ne crois pas. Nous aurons ce débat lors de l'examen du projet de loi en séance publique.

Il n'y a pas de soutenabilité de notre politique d'immigration sans une puissante action européenne. C'est difficile, comme le Conseil européen l'a montré, mais ce n'est pas une raison pour ne pas nous pencher sur les problèmes que nous affrontons.

La fermeté s'avère également indispensable, et ce texte en fait montre pour les déboutés du droit d'asile et l'immigration irrégulière. Enfin, il ne peut y avoir de débat de qualité sur ces questions hautement sensibles si le pays est invité à réagir instinctivement plutôt qu'à faire usage de sa raison et si les termes de la discussion ne sont pas précisés. Je souhaite que le débat démontre qu'il est possible, à des questions difficiles, d'apporter des réponses aux Français et à leurs représentants dans la précision des chiffres, des textes et des procédures, et non dans les amalgames et les approximations. Choisissons l'exigence républicaine et ne cédons pas à la tentation d'instrumentaliser ces sujets à des fins politiques.

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