Intervention de Kader Arif

Réunion du 30 juin 2015 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKader Arif, rapporteur pour avis :

L'article 11. C'est principalement en raison de ces dispositions relatives à l'attractivité de la France au plan international que nous nous sommes saisis d'une partie du projet de loi. Par cohérence, il fallait examiner aussi la question de la généralisation des cartes de séjour pluriannuelles. La simplification et la facilitation des conditions de séjour en France, pour les étrangers en situation régulière, constituent l'un des principaux piliers des décisions qui ont été prises lors du Conseil stratégique de l'attractivité précédemment évoqué.

Ce projet de loi s'appuie notamment sur les constats et les recommandations d'un rapport remis en 2013 par M. Matthias Fekl, qui était alors parlementaire en mission auprès du ministre de l'intérieur. Il s'inscrit aussi dans la continuité d'un autre rapport de 2013, celui d'une mission réunissant quatre grands corps d'inspections qui ont travaillé conjointement sur l'accueil des talents internationaux.

Le rapport de M. Matthias Fekl insistait en particulier sur les points suivants : la courte durée des titres de séjour est pénalisante pour les ressortissants étrangers, contraints de multiplier chaque année les démarches pour renouveler leur titre ; cette situation n'est pas favorable à l'objectif d'intégration ; elle est également dommageable pour l'administration elle-même, les préfectures étant engorgées et n'offrant pas des conditions d'accueil dignes de ce nom. D'où l'utilité de mettre en place des titres pluriannuels et de repenser les contrôles.

Le rapport interinspections de 2013 a mis l'accent, quant à lui, sur l'inadaptation des mesures en vigueur pour favoriser l'attractivité de la France à l'égard des étudiants et des talents étrangers. Le système actuel repose sur une kyrielle de titres dérogatoires, dont certains n'ont jamais trouvé leur public. Si la carte de séjour portant la mention « scientifique-chercheur » est réellement utilisée, la carte de résident pour « contribution économique exceptionnelle » n'a été accordée que quatre fois en 2012 et deux fois en 2013. Surtout, l'une des dispositions phares de la loi de 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, la carte « compétences et talents », n'est délivrée que très marginalement : elle l'a été à 287 étrangers et à 113 conjoints en 2012, et les chiffres de 2013 sont encore moins bons.

Je voudrais compléter ce constat en vous présentant rapidement les principaux faits saillants qui caractérisent les flux migratoires en France : d'abord leur évolution et leur décomposition selon les grands motifs d'immigration ; ensuite la situation de l'immigration professionnelle et de l'immigration étudiante.

L'immigration légale connaît des fluctuations conjoncturelles qui sont en grande partie déterminées par l'évolution de la situation économique et par les inflexions des politiques migratoires. Les flux sont globalement en légère hausse et tendent vers un niveau un peu supérieur à 200 000 premiers titres de séjour délivrés par an, comparable à celui de la fin des années 2000.

Si l'on raisonne selon les principaux motifs de délivrance des titres, on observe que l'immigration familiale reste à l'origine d'à peu près la moitié des flux entrants. Elle est suivie par l'immigration étudiante, qui représente environ 30 % du total, avec quelque 60 000 titres délivrés chaque année. L'immigration pour motif économique représente moins de 10 % de l'immigration légale, tout comme l'immigration pour motif humanitaire.

Après avoir baissé de 10 % entre 2011 et 2012, l'immigration économique a connu un rebond d'environ 10 % en 2013 puis en 2014. Cette évolution résulte principalement de l'augmentation du nombre d'étudiants ayant changé de statut pour exercer une première activité professionnelle en France, à la suite de l'abrogation de la circulaire dite Guéant de 2011. Cette hausse est aussi liée aux effets d'une circulaire de 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants en situation irrégulière.

Contrairement à certaines idées reçues, l'immigration professionnelle et l'immigration étudiante ne constituent pas majoritairement des formes d'immigration d'installation en France. Au bout de dix ans, 60 % des étrangers arrivés avec un titre de salarié ne sont plus sur le territoire. De même, parmi les étrangers arrivés comme étudiants, seuls 20 % sont encore présents dix ans plus tard. Il faut avoir ces faits en tête quand on parle d'accueil des étudiants et des talents étrangers. L'immigration étudiante n'est pas un vecteur important d'immigration pérenne en France ; il s'agit plutôt d'une mobilité temporaire.

L'augmentation de la circulation des étudiants au plan international est un phénomène particulièrement massif. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), le nombre d'étudiants partis à l'étranger afin de poursuivre leurs études a doublé depuis l'an 2000 : il est passé de 2 à 4 millions, et ce chiffre devrait encore doubler d'ici à 2020.

L'augmentation de la mobilité étudiante s'accompagne d'un accroissement de la concurrence pour attirer des profils souvent similaires et venant des mêmes pays cibles. La plupart des pays ont développé des stratégies pour augmenter le nombre d'étudiants qu'ils accueillent. Chacun connaît les effets positifs qui en résultent pour le secteur de la recherche, pour l'enseignement supérieur, pour le développement de l'économie en général, grâce à l'afflux de compétences, mais aussi pour l'influence et le rayonnement d'un pays.

La France est le troisième pays au monde pour l'accueil des étudiants étrangers, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous accueillons 6,8 % des étudiants en mobilité internationale, alors que les États-Unis en reçoivent 18,6 %. La France est surtout le premier pays d'accueil non anglophone, ce dont il faut se réjouir. Les étudiants étrangers ne choisissent pas notre pays pour l'apprentissage de la langue mais en raison de la qualité des diplômes et de l'enseignement français. Si on s'intéresse à l'origine géographique des étudiants étrangers en France, on constate qu'un sur deux est issu du continent africain ; 20 % viennent d'Asie et en particulier de Chine ; quelque 20 % arrivent d'un autre pays de l'Union européenne.

Dans ce contexte de concurrence toujours plus vive au plan international pour l'accueil des étudiants et des talents étrangers, nous avons besoin de dispositifs plus efficaces, plus lisibles et plus cohérents pour renforcer l'attractivité de la France et pour mieux sécuriser les parcours.

J'en viens donc aux principales dispositions dont nous nous sommes saisis pour avis.

Trois nouvelles cartes de séjour, de nature pluriannuelle, seront créées : une carte dite « générale », d'une durée de quatre ans et accessible au plus grand nombre, sauf quelques exceptions ; une carte dite « passeport talent », destinée à des publics spécifiques, à l'égard desquels il a semblé nécessaire de renforcer notre attractivité ; enfin, une carte portant la mention « travailleur saisonnier » dont les caractéristiques sont adaptées.

La généralisation du caractère pluriannuel des cartes de séjour représente un changement profond de logique. Le principe général qui prévaut actuellement est celui d'une validité annuelle des cartes de séjour, renouvelables si les conditions spécifiques à chaque titre sont respectées. La délivrance de titres pluriannuels permettra de réduire la fréquence des passages en préfecture – dont le nombre actuel est de 5 millions par an – et d'améliorer l'accueil aux guichets. Selon l'étude d'impact, on pourrait observer une diminution de 30 % des passages annuels en préfecture.

La nouvelle carte pluriannuelle constituera une sorte de chaînon intermédiaire, aujourd'hui manquant, entre l'obtention d'un premier titre de séjour, de validité annuelle, et l'accès à la carte de résident de dix ans, à laquelle il n'est possible de prétendre, en règle générale, qu'au terme de cinq années de séjour en France. Un véritable parcours d'immigration, fondé sur la progressivité du droit au séjour, pourra donc être construit.

D'une durée de droit commun de quatre ans, la carte pluriannuelle aura une validité adaptée au cursus d'études pour les étudiants, dans la limite de quatre ans ; sa durée sera également alignée sur la durée prévisible des soins pour les étrangers malades ; elle sera enfin de deux ans pour les conjoints de Français, les parents d'enfants français et les étrangers admis au séjour en raison de leurs liens personnels et familiaux, pour des raisons sur lesquelles je pourrai revenir si vous le souhaitez.

Avec la réduction du nombre de passages en préfecture et la fin de l'examen annuel des conditions de séjour, évolutions qui sont directement liées au caractère pluriannuel de la carte, les modalités de contrôle seront revues. La simplification des procédures et des démarches administratives ne doit pas se traduire par un accroissement des fraudes. L'étranger pourra être appelé à justifier à tout moment qu'il continue à satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de sa carte de séjour. L'article 8 permet de retirer la carte ou de refuser son renouvellement non seulement si l'étranger cesse de remplir l'une des conditions exigées, mais également s'il fait obstacle aux contrôles ou s'il ne défère pas aux convocations. Enfin, l'article 25 permettra de consulter un très grand nombre de services susceptibles de transmettre des informations utiles aux vérifications.

Outre ces dispositions générales, qui concernent une grande majorité d'étrangers en situation régulière, le projet de loi comporte des mesures spécifiques pour les talents internationaux. Les différents titres qui leur sont applicables, et qui sont à la fois très hétérogènes et très inégalement utilisés, seront fusionnés en une seule carte pluriannuelle dite « passeport talent », dont le périmètre sera un peu élargi par rapport aux catégories actuelles. Des conditions plus favorables sont également aménagées pour ces talents étrangers : ils pourront accéder à la carte pluriannuelle dès leur première admission au séjour, et non après l'obtention d'un premier document. Ils seront dispensés d'autorisation de travail pour l'activité professionnelle salariée ayant conduit à la délivrance de la carte. Enfin, les membres de leur famille bénéficieront d'un régime dérogatoire au regroupement familial.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, le projet de loi comporte plusieurs dispositions très utiles. Les étudiants bénéficieront tout d'abord de la carte pluriannuelle dite « générale », alors qu'ils n'ont aujourd'hui accès à un titre pluriannuel qu'à partir du niveau master. Leur changement de statut, d'une carte d'étudiant vers une activité professionnelle, sera par ailleurs clarifié et facilité. Les étudiants de niveau master pourront ainsi chercher et exercer non seulement un emploi en relation avec leur formation et assorti d'un certain niveau de rémunération, mais aussi créer une entreprise.

Ces dispositions vont globalement dans le bon sens, qu'il s'agisse de la généralisation de la carte pluriannuelle, du « passeport talent » ou des mesures destinées aux étudiants étrangers. Je crois néanmoins utile d'insister, en conclusion, sur la nécessité d'accompagner et de compléter la réforme sur un certain nombre de points qui ne relèvent pas nécessairement du domaine législatif, mais qui sont pourtant essentiels.

Tout d'abord, l'échec complet de la carte « compétences et talents », créée par la loi de 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, conduit à porter la plus grande attention aux mesures d'application qui seront adoptées, sous la forme de décrets et de circulaires. Il sera impératif de veiller à préserver les objectifs de simplification et de lisibilité qui inspirent ce projet de loi.

En second lieu, il faudra consentir des efforts de communication dans la durée pour promouvoir les nouveaux titres de séjour pluriannuels. Cela n'a pas toujours été le cas dans le passé. Des messages bien précis seront nécessaires à la fois au plan interne, pour les administrations françaises, et au plan externe, à l'adresse des publics concernés mais aussi des partenaires – universités, entreprises ou établissements culturels. Signalons que des efforts ont été accomplis en faveur des étudiants, en particulier par Campus France.

Ensuite, la question de l'attractivité du territoire ne se résume pas aux titres de séjour. Il convient aussi de faciliter l'accès à la France pour les publics concernés. Cela passe notamment par le développement des visas de circulation, délivrés plus rapidement et pour des durées plus longues. Il faudra aussi continuer à examiner avec attention l'évolution des taux de refus des visas pour études.

Quatrièmement, il faut se mobiliser pour améliorer les conditions d'accueil des étrangers, en particulier les talents et les étudiants. Cela concerne aussi bien l'accueil en préfecture, l'accompagnement des étudiants par Campus France, que le développement des mobilités encadrées faisant l'objet de conventions entre établissements. Le logement suscite des remarques négatives à l'égard de notre pays, tant en ce qui concerne l'offre que le coût.

En dernier lieu, je suggère de réfléchir à un renforcement des programmes ciblés d'invitation et d'attractivité de courte durée pour des publics ciblés. Je pense au programme d'invitation des personnalités d'avenir qui a été mis en place dès 1989 par le ministère des affaires étrangères, ainsi qu'aux programmes développés dans le cadre de l'Institut français. Nous continuons à être largement en retard par rapport à d'autres pays, au-delà même des États-Unis. Nous avons encore des lacunes dans l'identification des potentiels et dans le développement de liens humains qui sont particulièrement utiles pour assurer l'influence et le rayonnement de notre pays dans le monde.

Au sein de cette commission, il me semble que nous pourrions créer une mission d'information pour étudier ce qui se fait ailleurs, en particulier dans les pays les plus actifs en matière d'accueil d'étudiants.

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