Intervention de René Dosière

Séance en hémicycle du 15 juillet 2015 à 21h30
Consultation sur l'accession de la nouvelle-calédonie à la pleine souveraineté — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la ministre des outre-mer, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, compte tenu des analyses juridiques et techniques qui figurent dans mon rapport, je m’en tiendrai, dans cette présentation, à des considérations un peu plus générales.

L’Accord de Nouméa, signé et approuvé en 1998, prévoit l’organisation, à l’issue d’une période de vingt ans, d’une consultation portant sur « le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité ». Il revient au Congrès élu au mois de mai 2014 de fixer, avant le 31 décembre 2017, à la majorité des trois cinquièmes, la date de cette consultation, cette majorité représentant trente-trois voix. La probabilité qu’elle soit réunie est faible compte tenu, d’une part, de la composition du Congrès, qui compte vingt-neuf non-indépendantistes et vingt-cinq indépendantistes, et, d’autre part, des transferts de compétences qui restent à réaliser avant cette consultation, notamment les compétences de l’enseignement supérieur et de la communication. Par ailleurs, le calendrier électoral de l’année 2017 ne favorisera pas non plus la prise de cette décision. Par conséquent, il reviendra au Gouvernement de la République, par décret en conseil des ministres, pris après consultation du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie de fixer la date de cette consultation.

En tout état de cause, la date limite est fixée au mois de novembre 2019. Les électeurs et électrices appelés à se prononcer sont énumérés à l’article 218 de la loi organique statutaire. Ils constitueront une liste électorale spéciale, distincte à la fois de la liste électorale générale, qui compte actuellement 176 000 électeurs, et de la liste électorale spéciale provinciale, qui en compte 153 000. Pour éviter toute difficulté éventuelle, le Gouvernement a souhaité anticiper la constitution de cette liste spéciale. Il a donc sollicité l’avis du Conseil d’État sur certaines modalités, avis rendu au mois de février 2014, et consulté les forces politiques calédoniennes dans le cadre institutionnel du comité des signataires le 3 octobre 2014. Celles-ci ont manifesté leur souhait d’une inscription d’office du plus grand nombre possible d’électeurs. Pour y parvenir, il convenait de modifier en ce sens la loi organique, puisque l’inscription d’office est réservée aux jeunes de dix-huit ans.

Un avant-projet de loi a donc été préparé, soumis à l’avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci, par vingt-neuf voix, non-indépendantistes, contre vingt-cinq voix, indépendantistes, a émis un vote négatif. Deux aspects principaux ont motivé ce refus. S’agissant de l’inscription d’office des Calédoniens, le texte du projet de loi établissait une discrimination entre les électeurs mélanésiens, inscrits d’office, et les électeurs européens, qui devaient s’inscrire individuellement, discrimination inacceptable pour les non-indépendantistes, qui formulèrent d’ailleurs des contre-propositions. En outre, le contentieux relatif aux inscriptions sur la liste électorale spéciale provinciale fut longuement évoqué bien que ce point ne figurât pas dans le projet de loi. Malgré cet avis, le Gouvernement modifia peu son texte, qui fut déposé sur le bureau du Sénat le 8 avril dernier. En Nouvelle-Calédonie, l’incompréhension des non-indépendantistes se transforma en une colère qui s’exprima lors de la visite sur place, le 24 avril dernier, du président de notre assemblée, Claude Bartolone, accompagné du président de notre commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et de Philippe Gosselin, à tel point que, comme l’a rappelé le président Urvoas en commission, à en croire certaines réactions extrêmes telles que rapportées par lui, « l’État socialiste voulait truquer les listes électorales pour organiser une marche forcée vers l’indépendance ». Rien que ça !

Informé par leurs soins de cette agitation, le Premier ministre a décidé de convoquer au début du mois de juin un comité extraordinaire des signataires à Paris pour évoquer ces diverses questions, après avoir reçu l’assurance que chaque composante politique y participerait. En effet, l’éclatement des deux blocs signataires initiaux, le RPCR d’un côté et le FLNKS de l’autre, a conduit à élargir le comité aux parlementaires, aux représentants des institutions et aux groupes politiques du Congrès, ce qui représente maintenant un effectif de près de vingt-trois personnes. Réuni le 5 juin dernier à Paris sous la présidence du Premier ministre, le comité a examiné les diverses questions soulevées au Congrès de la Nouvelle-Calédonie concernant le projet de loi.

À votre initiative, madame la ministre, plusieurs propositions ont été présentées, discutées – pendant douze heures – et acceptées par les participants, en particulier un amendement permettant l’inscription d’office des personnes nées en Nouvelle-Calédonie et ayant acquis la citoyenneté calédonienne, c’est-à-dire le droit de vote aux élections provinciales, compte tenu de leur ancienneté sur ce territoire. Cette notion de la citoyenneté calédonienne, qui est tout à fait spécifique à la Nouvelle-Calédonie, ouvre par ailleurs une priorité d’accès à l’emploi et elle constitue l’expression la plus aboutie du fait que les intéressés ont en Nouvelle-Calédonie le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Les divergences concernant la composition et le fonctionnement des commissions administratives et de la nouvelle commission consultative d’experts chargée d’harmoniser les positions des trente-trois commissions communales ont été réduites, le haut-commissaire étant chargé d’élaborer des propositions de rédaction en accord avec les représentants politiques calédoniens.

Enfin, en ce qui concerne le contentieux récurrent dont les listes électorales provinciales sont l’objet, un accord politique a été obtenu sur une méthode devant permettre de tenter de le faire disparaître avant le prochain comité des signataires, à l’automne 2015. Ainsi, au consensus local, traduit dans les amendements du Gouvernement, a répondu le consensus national exprimé par un vote unanime au Sénat. Je vous propose, chers collègues, de l’exprimer maintenant à l’Assemblée nationale.

Mes chers collègues, puisqu’il s’agit de dispositions qui concernent l’élaboration de la liste électorale de sortie, ce texte est particulièrement important. En effet, le processus de décolonisation pacifique de la Nouvelle-Calédonie repose, d’un commun accord, sur le vote de la population néo-calédonienne directement concernée. Quand on parcourt l’histoire de ce territoire, il apparaît que l’acceptation de ce processus électoral par la population d’origine, en l’occurrence les Mélanésiens, n’allait pas de soi. Il faut se souvenir que c’est en 1951 que cette population exerce pour la première fois son droit de vote reconnu cinq ans auparavant, avec la fin du système colonial dit de l’indigénat. Il ne faut pas oublier les tentatives passées d’affaiblir leur poids électoral en incitant des Français métropolitains à aller s’installer en Nouvelle-Calédonie, mais, malgré ces tentatives, la Nouvelle-Calédonie ne fut, ni au XIXe siècle ni au XXe siècle, une colonie de peuplement.

Les années soixante-dix voient apparaître le nationalisme kanak et personne n’a oublié les violences des années quatre-vingt. En décidant, par les accords de Matignon puis avec l’accord de Nouméa, de substituer le suffrage électoral à la violence pour faire aboutir leurs revendications, les Kanaks ont exigé que le scrutin ne fasse l’objet d’aucune manipulation. En particulier, ils ont demandé et obtenu que les votes sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie soient réservés aux personnes dont c’est le pays, et ce quelle que soit leur origine – européenne, mélanésienne ou autre. Les personnes de passage ou installées récemment sont donc exclues de ce vote. Il revient aux Calédoniens de souche – l’expression est, ici, parfaitement justifiée –, quelle que soit leur couleur, de construire ensemble le destin commun souhaité dans l’accord de Nouméa. Ils pourront ensuite y accueillir tous ceux qui voudront s’y associer, afin de permettre à la France de maintenir son influence dans le Pacifique Sud.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter conforme, comme l’a fait la commission des lois, le texte qui nous vient du Sénat.

1 commentaire :

Le 17/07/2015 à 16:33, laïc a dit :

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"En décidant, par les accords de Matignon puis avec l’accord de Nouméa, de substituer le suffrage électoral à la violence pour faire aboutir leurs revendications, les Kanaks ont exigé que le scrutin ne fasse l’objet d’aucune manipulation."

Pourquoi devrait-on penser que le référendum ferait nécessairement aboutir les revendication des kanaks indépendantistes ? De nombreux kanaks sont contre l'indépendance, et ce n'est pas parce qu'une ultra minorité armée a fait parler d'elle à un moment donné que toute la population kanak les soutenait. C'est comme en Corse, la majorité des Corses sont pour l'union sans distinction avec la France, et pourtant c'est une minorité armée et terroriste qui ne représente qu'elle qui a incité l'Etat français à donner une plus grand autonomie à l'île. La France ne doit pas céder au terrorisme armé, que ce soit en France métropolitaine ou plus loin. La République est indivisible, c'est écrit dans la constitution, ces accords ne sont donc pas constitutionnels puisqu'ils remettent en cause cette indivisibilité.

En plus, imagine-t-on la Nouvelle Calédonie indépendante, c'est-à-dire privée de l'appui financier de la France ? Que l'on regarde le Vanuatu voisin (les anciennes Nouvelles Hébrides), qui a une histoire presque similaire à celle de la Nouvelle Calédonie, et son état d'extrême pauvreté suite à son indépendance, et l'on sera persuadé qu'économiquement la voie de l'indépendance est la meilleure façon pour les Calédoniens de se ruiner définitivement.

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