Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 15 septembre 2015 à 16h00
Déclaration du gouvernement sur l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Tout d’abord, elle a à ce jour sous son contrôle un immense territoire : il faut le rappeler, Daech étendrait son influence sur environ la moitié des territoires irakien et syrien. Elle y contrôle les principaux points de communication et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. Sur ce vaste territoire, l’État islamique a rétabli le califat avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé calife sous le nom d’Ibrahim. Dans cette expansion terroriste, ce sont désormais Alep et Bagdad qui sont visées, puisque Daech ambitionne d’établir à terme un califat allant du Levant – la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine –à l’Irak.

Cette organisation est un danger car elle dispose de moyens financiers et d’une force combattante considérables, cela a été rappelé. Sans une fortune estimée à 2 milliards de dollars, fortune alimentée par des sources de financements divers tels que des donateurs privés, le butin de la banque centrale de Mossoul, l’exploitation des puits de pétrole et le racket commis dans les zones sous son contrôle, l’EI ne pourrait mener ses exactions barbares. Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans la force combattante d’environ 30 000 individus venus d’Irak, de Syrie et, pour la plupart d’entre eux, d’Occident.

Daech est surtout un danger par son idéologie, cela a également été rappelé tout à l’heure. Sous le couvert de principes islamiques, elle prône une doctrine mafieuse et criminelle pour asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse aux conséquences humaines et humanitaires désastreuses. Ainsi exécute-t-elle presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers et les rebelles syriens. Ainsi massacre-t-elle des civils, notamment dans certaines communautés comme celles des Chrétiens d’Orient, des Yézidis, des Turkmènes, des Kurdes, des Shabaks.

Les méthodes d’exécution barbares sont toujours les mêmes – fusillades, décapitations et crucifiements –, à tel point que, à juste titre, l’EI est accusé de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité par l’ONU, la Ligue arabe, les États-Unis et l’Union européenne.

En plus de s’en prendre aux hommes, aux femmes et aux enfants, les terroristes s’attaquent à l’histoire, à la culture et à l’art. Ce sont déjà le musée de Mossoul, la cité assyrienne de Nemrod, la cité parthe de Harta, le temple de Bêl à Palmyre qui ont été saccagés. Daech veut éradiquer toutes les traces d’un passé dans lequel ont coexisté les civilisations et les grandes religions.

Cette organisation fait donc montre par son idéologie, ses méthodes et ses objectifs d’une dangerosité exceptionnelle qui a pris, en une année, une ampleur considérable, avec les dramatiques conséquences que nous connaissons tous, à commencer par ce que nous voyons tristement chaque jour désormais : un afflux historique de réfugiés qui fuient la guerre et les massacres vers les pays limitrophes et jusqu’aux portes de l’Europe. Parmi eux, 4 millions de Syriens auraient déjà fui leur pays, soit la moitié de la population du pays ! Un de nos quotidiens titrait dernièrement, et M. Folliot l’a rappelé : « Si la Syrie était la France, 32,5 millions de personnes auraient été déplacées par le conflit ».

Pour répondre à ce drame humanitaire, il est nécessaire d’accueillir ces réfugiés. Depuis le début du conflit, la France a offert à 6 268 Syriens le statut de réfugiés. Nous saluons le choix d’en accueillir plus de 24 000 le plus prochainement possible.

Les conséquences dramatiques de l’avancée de l’EI, nous les subissons aussi chaque jour sur notre propre territoire. Les événements tragiques que nous vivons depuis le début de l’année l’illustrent bien sombrement. Qu’il s’agisse des attaques meurtrières de janvier ou de celle qui a avorté fin août dans le Thalys, les auteurs et commanditaires ont tous un point commun : ils ont pour base arrière la Syrie.

En effet, la France est aujourd’hui confrontée, comme d’autres pays de l’Union européenne, au basculement de plusieurs centaines d’individus dans l’engagement radical violent, le plus souvent en lien avec des filières qualifiées de djihadistes. Il convient de rappeler à ce titre que la loi visant à renforcer les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme que nous avons votée en décembre dernier trouve dans ce contexte toute sa justification : en mettant en place une interdiction administrative de sortie du territoire, elle fait obstacle à ce que des Français, souvent très jeunes, quittent le territoire national pour se former à la lutte armée ou pour se radicaliser davantage et deviennent à leur retour un danger pour la sécurité nationale.

Il est bon aussi de rappeler que, face à cette menace durable pour toute la région du Proche et du Moyen-Orient et pour le monde entier, la France n’a pas tardé à réagir. Dès le mois d’août 2014, en parallèle des frappes aériennes américaines menées contre l’EI dans le nord de l’Irak, notre pays a commencé par envoyer de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de l’État islamique. Il a ensuite livré des armes aux forces kurdes et irakiennes qui se trouvaient en première ligne dans le combat contre les djihadistes.

Quand une large coalition internationale s’est formée à la demande du gouvernement irakien dans le cadre des résolutions adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, la France a pris l’initiative d’organiser à Paris une conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak ; c’était il y a un an, jour pour jour. Réunissant vingt-neuf pays et organisations, dont onze États de la région, elle a souligné l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de l’EI dans les régions où celui-ci avait pris position en Irak.

Quatre jours seulement après la conférence, le 19 septembre 2014, la France lançait l’opération Chammal. Basée aux Émirats arabes unis et en Jordanie, elle est composée de 800 militaires et dotée d’un dispositif important avec six avions Rafale, six avions Mirage, un ravitailleur, un avion de patrouille maritime et une frégate antiaérienne.

Cette opération, menée elle aussi en étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, vise à acquérir du renseignement sur les positions, les mouvements et les vulnérabilités des terroristes tout en se tenant prêt à assurer des frappes en cas d’identification de cibles d’opportunité au sol. Très active, elle a permis des avancées significatives dans cette véritable guerre d’usure. Cependant, l’EI constitue toujours une menace grave pour la Syrie, l’Irak et l’ensemble de la communauté internationale. En effet, Daech poursuit ses atrocités et accroît son emprise. Face à une telle menace, une nouvelle action est donc nécessaire.

Le Président de la République, chef des armées, a décidé la semaine dernière d’engager nos forces aériennes dans des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien. Il s’agit là d’une réorientation de la position française adoptée jusqu’alors. Ces survols permettront aux services français de collecter du renseignement sur les centres d’entraînement et de décision de l’EI en Syrie et pourront être suivis de frappes sur ses camps. Ils n’entraîneront cependant aucune modification du dispositif existant s’agissant de l’Irak, et il est exclu d’envoyer des forces au sol.

L’objectif est aussi, ne l’oublions pas, d’atténuer la menace terroriste sur notre territoire, car Daech nous menace directement. Sans relâche, depuis des mois, nos services de renseignement sont mobilisés pour lutter contre la radicalisation, démanteler les filières terroristes qui nous menacent et identifier et surveiller les individus projetant, depuis la Syrie ou en France même, de perpétrer des attentats sur notre sol. Le temps est venu d’amplifier cet effort. Parallèlement, il faut aussi travailler à ce qui constitue sans doute la solution durable, c’est-à-dire une transition politique en Syrie visant à rendre aux Syriens une perspective politique viable.

Il est donc prioritaire d’accélérer les négociations en vue d’installer à Damas un gouvernement de transition, composé d’éléments du régime comme de membres de l’opposition modérée, et grâce auquel chaque communauté verrait ses droits respectés. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas envisager l’envoi sur place d’une délégation parlementaire à même de se rendre compte de la situation et de connaître les positions des forces en présence ?

En tout état de cause, seule une véritable transition politique mettra un terme au drame dont se nourrit Daech et portera un coup d’arrêt définitif à l’expansion de cette organisation qui nous menace tous.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient un tel engagement.

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