Intervention de Joëlle Huillier

Séance en hémicycle du 15 septembre 2015 à 16h00
Adaptation de la société au vieillissement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoëlle Huillier, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, notre assemblée engage la deuxième lecture de ce projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement qui a été examiné une première fois l’année dernière à la même époque.

Depuis, le texte a été enrichi et ses avancées confortées par le travail de nos collègues du Sénat, dont je tiens à saluer la démarche constructive. Ainsi, à l’issue de la première lecture, vingt-deux articles ont été adoptés conformes et d’autres ont fait l’objet de simples améliorations rédactionnelles.

La commission des affaires sociales, qui a examiné le nouveau texte en juillet, a poursuivi cette démarche consensuelle en confirmant trente-six articles dans la rédaction du Sénat et en apportant des précisions rédactionnelles ou de coordination à vingt autres.

La version dont nous débattons aujourd’hui fait donc l’objet de nombreux points de convergence entre les deux assemblées.

Convergence d’abord sur la gouvernance locale du secteur des personnes âgées. Le principe d’une conférence des financeurs dans chaque département a été validé. Agissant à l’aide d’une enveloppe spécifique financée par la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la conférence permettra de mieux coordonner les politiques de prévention de la perte d’autonomie sur les territoires. Il en est de même pour les structures de débat et de démocratie locale que sont les conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie et pour la mise en place d’un cadre juridique pour la création de maisons départementales de l’autonomie.

Convergence aussi sur le renforcement des droits et de la protection des personnes âgées. Le Sénat a validé la possibilité pour les associations de se porter partie civile, la suppression de l’immunité pénale en cas de vol commis par un tuteur ou curateur membre de la famille proche, l’acquisition de la nationalité française par déclaration pour les immigrés âgés ascendants de Français, et enfin le renouvellement automatique des droits à l’aide à la complémentaire santé pour les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Nos collègues ont aussi renforcé la plupart des dispositions visant le respect des droits des résidents en établissement : affirmation du principe de liberté d’aller et venir et strict encadrement des restrictions qui peuvent y être apportées ; instauration de garanties contre les résiliations abusives des contrats de séjour ; droit de désigner une personne de confiance.

Convergence, enfin, en matière de simplification des procédures d’autorisation par appel à projets, de clarification tarifaire ou de partage de l’information entre les différents acteurs de la prise en charge. J’ajoute que les deux chambres ont partagé l’objectif de rénovation et de renforcement de l’accueil familial, nonobstant quelques différences d’appréciation techniques sur lesquelles nous aurons à trancher lors de la discussion.

Des divergences entre les deux assemblées demeurent d’ailleurs sur plusieurs points.

La première divergence porte sur la répartition de la CASA, dont je rappelle que le produit sera intégralement versé à la CNSA afin de financer les mesures nouvelles en faveur des personnes âgées. Alors que l’Assemblée nationale avait adopté une montée en charge en trois étapes d’ici 2017 pour le financement de la réforme de l’APA, le Sénat a modifié ce calendrier et figé une clé de répartition pour le financement des actions conduites par la CNSA. Compte tenu de l’évolution constante des besoins et du fait que la CASA est une ressource dynamique dont le montant est appelé à augmenter d’année en année, le dispositif adopté par le Sénat paraissait trop rigide : notre commission a donc rétabli la répartition souple et efficace adoptée en première lecture et adapté les étapes de la montée en charge au nouveau calendrier d’examen du projet de loi.

Concrètement, le texte prévoit désormais l’affectation de 55,9 % du produit de la CASA à la réforme de l’APA en 2016 ; ce taux sera porté à 70,5 % en 2017. Le surcroît de dépenses lié à la réforme sera donc bien intégralement compensé pour les départements. J’appelle mes collègues ainsi que le Gouvernement à maintenir cet équilibre défini à l’issue d’un long processus de dialogue entre le Parlement et l’exécutif.

Notre deuxième divergence porte sur la possibilité d’inscrire la perte d’autonomie parmi les motifs de discrimination interdits par la loi. Le Sénat a estimé que ce nouveau critère était redondant avec ceux liés à l’âge et au handicap et a donc souhaité le supprimer. Notre commission a préféré le rétablir, considérant qu’il permet de garantir la compétence du Défenseur des droits en cas de discrimination subie par des résidents en établissement ou des bénéficiaires de services d’aide à domicile.

Notre troisième divergence avec les sénateurs porte sur la gouvernance au niveau national. Alors que notre assemblée s’était ralliée à la proposition du Gouvernement de rassembler le Haut Conseil de l’âge et le Haut Conseil de la famille, le Sénat est revenu sur cette évolution en rétablissant une structure spécifiquement dédiée à l’âge. Convaincue de la pertinence d’une approche transversale et intergénérationnelle, qui prévaut d’ailleurs dans l’ensemble du texte, notre commission a réaffirmé son attachement au décloisonnement en adoptant l’amendement gouvernemental instaurant un Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, qui aura pour missions d’animer le débat public et d’apporter une expertise sur les questions liées à l’avancée en âge, à l’adaptation de la société au vieillissement, mais aussi à la famille et à l’enfance.

La navette parlementaire a enfin permis d’engager une concertation approfondie sur plusieurs chantiers.

Le premier chantier est celui de la refondation du secteur de l’aide à domicile, qui doit permettre de réduire les inégalités d’accès aux aides et d’offrir un accompagnement de qualité à l’ensemble des publics fragiles. En première lecture, notre assemblée avait voulu dépasser progressivement la dualité des régimes d’exercice des services – autorisation par le département, agrément par l’État – en les incitant à souscrire des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens – les fameux CPOM – et en les dispensant d’appels à projets. Le Sénat a voulu aller plus loin et étendre l’autorisation à l’ensemble des services d’aide à domicile intervenant auprès des personnes en situation de perte d’autonomie.

Notre commission a souhaité engager cette réforme sans déstabiliser les services actuellement agréés et les départements : elle a donc adopté un amendement du Gouvernement établissant un régime unique d’autorisation sans obligation tarifaire. Cette réforme d’envergure offre à tous les services un cadre clair et non discriminatoire, et aux départements l’opportunité de mieux répartir l’offre sur leur territoire. Elle n’est pas figée pour autant. Les structures prestataires privées ont fait part, cet été, de leurs inquiétudes quant aux répercussions possibles de la réforme sur leurs activités : nous aurons à étudier les propositions complémentaires du Gouvernement en la matière.

Le deuxième chantier concerne les différentes formes d’habitat avec services, qui peuvent constituer une réponse adaptée aux besoins des personnes âgées. Les deux chambres ont partagé le même diagnostic sur la transformation des anciens logements-foyers en résidences autonomie et sur la sécurisation des copropriétés avec services. Le Sénat a proposé un régime transitoire permettant aux copropriétés qui le souhaitent de conserver leur mode de gestion actuel. Il a aussi initié la définition d’un cadre juridique applicable à l’ensemble des résidences services. Sur ce dernier point, nos échanges doivent être l’occasion d’avancer encore, pour protéger les résidents tout en confortant un secteur en plein développement.

Le troisième chantier concerne la tarification en établissement. L’année dernière, la Cour des comptes avait souligné les avantages des CPOM en EHPAD, aussi bien pour les gestionnaires d’établissements que pour les départements, mais regrettait la persistance des obstacles à leur généralisation. Le Sénat a introduit un article visant à développer la contractualisation, mais le Gouvernement propose aujourd’hui un dispositif qui tient compte des conclusions du groupe de travail sur les EHPAD présentées cet été.

J’ajouterai un quatrième chantier, qui concerne le soutien aux proches aidants, en particulier le dispositif de suppléance à domicile, également appelé « baluchonnage ». Le Sénat et notre commission ont jugé préférable de le retirer du texte car il suppose des dérogations au code du travail qui n’ont pas été discutées avec les partenaires sociaux. Mais il s’agit d’une solution adaptée, qui répond aux besoins des aidants et des personnes aidées. Des expériences similaires existent déjà localement : il conviendrait donc d’étudier sans tarder les conditions possibles de son développement – pourquoi pas, madame la secrétaire d’État, dans le cadre d’une mission spécifique ?

Le calendrier particulièrement chargé de nos travaux ces derniers mois et les modifications intervenues dans le cadre de la navette parlementaire ont conduit à retarder le vote définitif de ce texte, donc l’application de certaines mesures. Mais j’ai confiance dans votre engagement, madame la secrétaire d’État, à garantir son entrée en vigueur dès le début de l’année prochaine. Vous pouvez compter sur ma vigilance sur ce point.

Pour finir, je souhaite remercier l’ensemble des personnes qui ont préparé la deuxième lecture de ce projet de loi : Mme la secrétaire d’État, bien sûr, mais aussi son cabinet, avec qui le dialogue a été constant et productif, les parlementaires de tous les groupes, l’ensemble des associations et représentants professionnels qui ont apporté leur contribution, ainsi que les administrateurs de notre commission, toujours disponibles et efficaces.

Je souhaite que nos débats se poursuivent comme ils ont commencé il y a un an, de façon apaisée et constructive, autour d’une belle et grande réforme de société qui doit permettre de changer le regard sur le vieillissement et de changer la vie des personnes âgées.

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