Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 16 septembre 2015 à 15h00
Accueil des réfugiés en france et en europe

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, mesdames les ministres, messieurs les ministres, chers collègues, l’Europe fait face à un afflux exceptionnel de réfugiés avec des drames insoutenables, presque quotidiens. Ces réfugiés sont chaque jour plus nombreux à risquer tantôt la détention tantôt la mort sur la route de l’Europe. Ces risques, ils les prennent en connaissance de cause, car ils fuient la violence et la guerre.

L’agence Frontex a comptabilisé plus de 100 000 personnes aux frontières de l’Union européenne au mois de juillet et, selon le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, plus de 380 000 migrants et réfugiés sont arrivés par la Méditerranée depuis janvier. La grande majorité sont bien des réfugiés, puisqu’ils sont originaires de pays en conflit : 51 % sont des Syriens, 14 % des Afghans, 8 % des Érythréens, 4 % des Irakiens, 2 % des Somaliens et 2 % des Soudanais.

Cette crise humanitaire a des raisons connues. D’abord la tragédie syrienne : ce sont plus de 6 millions de déplacés internes sur moins de 23 millions d’habitants et 4 millions de Syriens qui ont fui la Syrie. Aujourd’hui, c’est le Liban, pays de 4 millions d’habitants, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens avec plus de 1,5 million de personnes. Rapporté à la population française, cela équivaut à 24 millions de réfugiés.

Ces chiffres mettent en lumière l’ampleur de la tragédie et illustrent a contrario l’obscénité de certains responsables – certaines responsables, allais-je dire – qui préfèrent s’aligner sur la droite extrême plutôt que de se montrer dignes de notre tradition d’accueil. Si les gouvernements européens et l’Union ont tardé et tardent encore à prendre des décisions à la hauteur de la situation, les opinions publiques ont fait leur apparition dans le débat, ce qui est une très bonne nouvelle. Certaines communes ont également rejoint ce mouvement.

La mobilisation de la population, en Allemagne comme en France, a été exceptionnelle ces dernières semaines. Nombreux sont nos compatriotes qui proposent de recevoir des réfugiés chez eux ou qui collectent des dons en faveur des exilés. Des prises de position des artistes, des sportifs et des églises démontrent que le refus et la peur ne sont pas majoritaires dans notre pays et que nombre de nos concitoyens se mobilisent en faveur de la solidarité et de l’accueil.

L’Allemagne a annoncé vouloir accueillir 800 000 réfugiés cette année. C’est d’ailleurs elle qui reçoit le plus de demandes d’asile, avec un peu plus de 200 000 demandes sur un total de 626 000 dans l’Union européenne, suivie de la Suède et de l’Italie. Pour faire face à cette politique, le gouvernement d’Angela Merkel a débloqué un crédit de 6 milliards d’euros et décidé de construire en urgence 300 000 logements.

Chers collègues, face au plan de la Commission de répartir 160 000 réfugiés dans les pays de l’Union, la France s’est engagée à accueillir 24 000 réfugiés en deux ans, en plus des 6 750 déjà prévus par l’Union européenne. Si cette annonce doit être saluée, elle demeure néanmoins d’une modestie frileuse, d’autant que notre pays a connu une diminution substantielle du nombre de demandeurs d’asile en 2014 par rapport à l’année précédente. En effet, la France enregistre 62 800 demandeurs, soit 10 % des demandes dans l’Union, et son taux de réponses positives est, lui aussi, loin d’être le plus élevé, puisqu’il est d’à peine 30 % contre 45 % en moyenne dans l’Union européenne.

Dans l’urgence, 1 000 demandeurs d’asile arrivés en Allemagne seront également accueillis en France. Le ministère de l’intérieur a en outre annoncé un soutien exceptionnel et forfaitaire à la mobilisation des communes qui créeront sur leur territoire des places d’hébergement supplémentaires d’ici à 2017, pour un montant de 1 000 euros par place d’hébergement.

Des dispositifs complémentaires seront également débloqués pour les propriétaires publics ou privés qui souhaitent contribuer à cet effort de solidarité, selon le Gouvernement. Ces mesures nécessaires doivent s’accompagner d’un discours politique volontaire et courageux. Il est grand temps pour les pays européens de parler un langage de vérité. L’Union européenne, c’est d’abord et avant tout un projet politique de paix et de solidarité. Déroger à ces principes, c’est trahir nos valeurs.

À ce titre, il faut saluer le discours clair et assumé de François Hollande sur la tradition d’accueil de la France, tenu lors de la conférence de presse de rentrée, de même que la lettre commune du Président et de la Chancelière envoyée la semaine dernière aux autorités européennes, appelant à la responsabilité de chaque État membre et à la solidarité de tous. Cet appel solennel au respect des règles du droit d’asile, tant en matière d’étude des dossiers que d’hébergement, et à terme à un système d’asile européen unifié est une nécessité, et même une urgence.

La question d’une répartition des réfugiés, qui doit s’opérer équitablement et dans un esprit de solidarité entre les États membres, devra faire le plus rapidement possible l’objet de discussions sérieuses.

Ce texte soulève néanmoins des interrogations, notamment sur la création, au plus tard avant la fin de l’année, de ces centres appelés pudiquement « hot spots », où migrants économiques et demandeurs d’asile seraient triés dès leur arrivée en Grèce et en Italie, sans que l’on sache vraiment comment se fera ce tri et selon quels critères.

Se pose également le problème – vous l’avez évoqué, monsieur le Premier ministre –– de l’établissement d’une liste commune des pays d’origine sûre dans laquelle figureraient des pays candidats à l’Union européenne dans les Balkans, région où la question des minorités ethniques n’est toujours pas totalement réglée, mais également la Turquie alors que celle-ci se livre, depuis quelques semaines, à des attaques et à des opérations punitives contre les Kurdes.

Le statu quo, chers collègues, n’est plus tenable. Il faut réadapter les règles européennes car la solution est à cette échelle. La répartition des réfugiés, désormais revendiquée par l’Union, entre en contradiction avec le règlement Dublin, qui prévoit que les demandes d’asile soient traitées dans les pays où les réfugiés sont enregistrés. Le traité Schengen, pourtant défendu par les dirigeants français et allemand dans une lettre commune, se trouve également mis sérieusement en question et affaibli puisque l’Allemagne a réintroduit provisoirement des contrôles à ses frontières afin de contenir l’afflux de réfugiés. Je rappelle qu’il y a quelques mois, à Vintimille, à la frontière entre la France et l’Italie, un renforcement des contrôles policiers côté français avait bloqué des réfugiés qui voulaient entrer en France et avait provoqué une montée des tensions entre les deux pays.

Face à cet énorme défi et pour répondre de manière efficace à la crise des réfugiés qui met en lumière l’insuffisance des coordinations des politiques européennes et l’incohérence des actions menées, il est urgent d’avoir une stratégie européenne en matière d’asile. En effet, les États membres doivent agir de façon solidaire et coordonnée, notamment pour venir en aide aux pays qui sont en première ligne. Il s’agirait d’abord d’instaurer un mécanisme d’urgence obligatoire pour une répartition équitable des réfugiés entre les États membres, ce qu’a proposé la Commission européenne le 9 septembre denier. Par ailleurs, la proposition de la Commission de répartir d’urgence 40 000 réfugiés en provenance d’Italie et de Grèce – d’ailleurs à l’initiative des Verts européens – a réuni une large majorité au Parlement européen sur plusieurs points essentiels : une répartition contraignante qui oblige tous les États membres à reloger les réfugiés selon leurs capacités ; la nécessité d’une plus grande solidarité et d’un nombre significativement plus élevé de places de réinstallation ; la prise en compte des préférences des réfugiés vers certains États membres en fonction de liens déjà existants tels que des liens familiaux ou des compétences linguistiques.

Les écologistes demandent également à la Commission européenne de faire une proposition pour une révision du système de Dublin qui devrait être remplacé par un système de solidarité et de responsabilité partagée, équitable à la fois pour les États de l’Union et pour les demandeurs d’asile. Car, on le voit bien, le système de Dublin est un échec qui créé des déséquilibres insoutenables entre les différents États. De plus, la Commission devrait également présenter une proposition visant à permettre la reconnaissance mutuelle des décisions d’asile positives afin que les personnes bénéficiant d’une telle protection jouissent du même droit de libre circulation en Europe que les citoyens de l’Union.

Par ailleurs, nous avons dit lors du débat sur la réforme de l’asile – nous n’étions pas les seuls puisque le représentant de l’UDI l’avait également souligné – que les demandeurs d’asile doivent avoir accès au marché du travail durant l’examen de leur demande d’asile, proposition d’ailleurs formulée récemment par Jean-Claude Juncker.

Enfin, pour offrir un accès sûr et légal à l’Union, les États membres doivent faire pleinement usage des possibilités existantes pour délivrer des visas humanitaires. Nous avons dès maintenant besoin de règles européennes communes plus fortes dans le code communautaire des visas. Plus largement, la Commission européenne devrait faire une proposition pour établir un code européen des migrations afin de faciliter une migration légale pour les ressortissants de pays tiers.

Chers collègues, nous avons accueilli avant-guerre des Polonais, des Italiens des Espagnols – vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre. En 1979, politiques et intellectuels français mettaient leurs désaccords de côté – souvenons-nous de la fameuse photo où Sartre et Aron se tenaient la main sur le perron de l’Élysée – et notre pays accueillait 120 000 réfugiés vietnamiens et cambodgiens. Une telle unité est-elle si loin, si impensable aujourd’hui ? C’était en 1979, et la crise des boat-people dominait les journaux de 20 heures de nos télévisions, avec des images de familles entières dans des embarcations de fortune en mer de Chine, menacées par les pirates, les requins, les intempéries… des Vietnamiens et des Cambodgiens fuyant la dictature et les persécutions ethniques, rackettés pour pouvoir partir et sans savoir où aller. Notre pays a été exemplaire il y a trente-cinq ans et n’a jamais eu à le regretter. Nous pouvons être cette France, pays des droits de l’homme et terre d’asile. Il y va de nos valeurs et aussi de la crédibilité du projet européen. La France dont rêvent tant de réfugiés, ce pays dont a rêvé, elle aussi, ma famille avant de le rejoindre, il m’est arrivé ces derniers mois de le chercher. Mais je sais du fond du coeur que cette France existe quand notre pays se montre fidèle à ses valeurs.

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