Intervention de Laurent Fabius

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 9h30
Approbation de l'accord france russie sur les bâtiments de projection et de commandement — Présentation

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement français et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l’accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement – BPC. Il s’agit d’un accord important puisqu’il permet de clore définitivement un dossier délicat.

Je tiens d’abord à rappeler brièvement les faits. La décision avait été prise dès 2008 de vendre deux bâtiments de projection et de commandement à la Russie, ce qui a abouti au contrat et à l’accord intergouvernemental de 2011. Il faut garder à l’esprit que la décision de vendre de tels bâtiments, destinés, comme leur nom l’indique, à la « projection » de forces, à un pays qui – chacun s’en souvient, ou du moins devrait s’en souvenir –, trois ans auparavant, avait agressé un État voisin, relevait de ce que j’appellerais par euphémisme diplomatique un pari risqué. Les évolutions de la politique russe et, en particulier, les événements en Ukraine qui ont suivi la révolte du Maïdan, l’annexion illégale et non reconnue par la communauté internationale de la Crimée et le plongeon du Donbass dans la guerre civile ont empêché l’exécution de ce contrat. La France et la Russie ont donc abouti conjointement au constat que les deux bâtiments de projection et de commandement, appelés Mistral, ne pourraient être livrés. Nous avons donc décidé de négocier les conditions d’un règlement à l’amiable de cette question. Un accord a été trouvé et signé le 5 août. Il vous est soumis aujourd’hui pour la partie qui requiert une autorisation parlementaire en vertu de notre Constitution.

La décision du Gouvernement a été prise après une solide réflexion, en pleine indépendance et dans un esprit de responsabilité.

Responsabilité, d’abord, au plan international. Le conflit ukrainien, au coeur de l’Europe, a créé une situation exceptionnelle qui ne permettait pas de livrer ces matériels. Nous avons pris notre décision en toute indépendance, ce qui n’implique pas d’ignorer les circonstances et les inquiétudes qui existaient. Avant de juger de l’opportunité de cette décision, il faut s’interroger – ce que vous ne manquerez certainement pas de faire – : d’une part, que serait-il advenu de notre légitimité au sein du « format Normandie », très utile pour traiter de la résolution ukrainienne, si nous avions livré un tel matériel ? D’autre part, quelle aurait été notre crédibilité auprès de certains de nos partenaires européens à plaider sans relâche, comme nous le faisons, pour la défense européenne, si nous avions ignoré des préoccupations légitimes ? J’entends certains prétendre que la France aurait cédé à des pressions extérieures, notamment américaines, mais j’avoue avoir du mal à comprendre en quoi trouver un accord avec la Russie sur un sujet important reviendrait à se soumettre aux États-Unis d’Amérique.

C’est le même esprit de responsabilité, cette fois au regard de nos engagements, qui nous a conduits à privilégier la négociation. À cet égard, il n’y a aucune violation par la France de ses engagements, puisque le différend apparu sur cette question a été réglé à l’amiable. Le contrat et l’accord signés en 2011 sont remplacés par de nouveaux textes, négociés et signés avec la Russie. D’ailleurs, je note que celle-ci ne nous fait aucun mauvais procès à ce sujet. La question est close à titre bilatéral.

Esprit de responsabilité, enfin, au regard des intérêts financiers de la France, la négociation avec la Russie nous préservant d’une procédure d’arbitrage dont le résultat aurait été certainement hasardeux et très probablement plus coûteux. À tout le moins, il nous aurait exposés à une très longue procédure, pendant laquelle les bateaux auraient dû être gardés, parqués et entretenus, sans possibilité de les vendre, avec les coûts correspondants. Cette option devait être évitée.

Est-ce à dire – la question a été posée – que nous refuserions de considérer la Russie comme un partenaire ? En aucun cas ! D’abord, je l’ai rappelé, cette discussion a été menée de bout en bout non pas contre la Russie mais avec elle. La solution trouvée résulte d’une négociation. Ensuite, ne pas livrer, dans les circonstances actuelles, de tels bâtiments ne signifie évidemment pas que nous renoncions à nos relations avec ce pays, par-delà les difficultés, qu’il ne faut pas nier. Le dossier iranien, par exemple, c’est en bonne intelligence avec la Russie que nous l’avons résolu. Le dossier syrien, nous savons que, même si nous avons de sérieuses divergences, c’est aussi en relation avec la Russie que nous devons le gérer, raison pour laquelle je m’en suis encore entretenu samedi dernier avec mon homologue Sergueï Lavrov à Berlin. La crise ukrainienne, c’est évidemment avec les autorités ukrainiennes et les autorités russes que nous en parlons, d’ailleurs de façon assez constructive en ce moment – j’espère que cela durera –, dans le cadre du « format Normandie ».

L’accord auquel nous sommes parvenus permet de sortir dans des conditions satisfaisantes d’une situation qui était assurément très complexe. Quatre textes ont été négociés et signés : d’abord, un accord intergouvernemental qui met fin à l’accord de 2011, qui attribue la pleine propriété des deux BPC à la France et qui exclut tout recours entre la France et la Russie sur ce dossier. Cet accord intergouvernemental ne relève pas de l’article 53 de notre Constitution et ne nécessite formellement pas d’autorisation du Parlement, mais il vous a été communiqué parce qu’il constitue un tout avec le texte suivant.

Le texte suivant est un accord sous forme d’échange de lettres qui prévoit deux dispositions essentielles, l’une comme l’autre justifiant une autorisation du Parlement : le montant du remboursement dont bénéficie la Russie et l’exclusion de toute indemnisation pour tout préjudice éventuel à l’égard des tiers. Il y a aussi un avenant au contrat signé entre DCNS et Rosoboronexport, qui met fin au contrat commercial initial et solde les choses entre les deux entreprises. Enfin, il y a une convention entre l’État et DCNS.

Les travaux de la commission des affaires étrangères, dont je salue les membres, la présidente et le rapporteur, ont été l’occasion d’éclairer votre assemblée sur le contenu exact de ces accords, notamment leur aspect financier.

L’accord obtenu est satisfaisant. Sur le plan de nos relations avec la Russie, c’est un accord amiable qui solde la question et évite tout contentieux futur avec ce pays sur ce dossier. Sur le plan financier, il répond à l’objectif que nous nous étions fixé en début de négociation : rembourser la Russie des sommes qu’elle avait engagées au titre de ce contrat, mais n’accepter aucune forme de pénalité financière. Tel est bien le cas. De plus, contrairement à ce que j’ai entendu récemment, cet accord ne porte évidemment aucune atteinte à la crédibilité de la France comme fournisseur de ces équipements, puisque le montant des ventes d’armement n’a, me semble-t-il, jamais été aussi élevé que cette année. Enfin, c’est un accord qui nous permet de disposer de la pleine propriété des bateaux, ouvrant ainsi la voie à une probable revente, que nous souhaitons rapide, même si vous comprendrez que je n’ai pas à m’étendre aujourd’hui sur le sujet.

En définitive, dans cette affaire très complexe, le Gouvernement a, me semble-t-il, géré au mieux une situation difficile, en préservant nos intérêts diplomatiques et financiers. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous appelle à approuver cet accord.

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