Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 9h30
Accord france-nations unies concernant la vingt et unième session de la conférence des parties à la convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous sommes invités à nous prononcer sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord intervenu au printemps dernier entre le Gouvernement et le Secrétariat de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques concernant l’organisation de la conférence Paris Climat 2015.

Cet accord est de nature essentiellement technique. Il définit les modalités pratiques d’organisation de la conférence en établissant le cadre de relations entre le Gouvernement français et l’instance de l’ONU. Il contient des dispositions relatives aux immunités et privilèges accordés aux 40 000 participants à la conférence, mais aussi des dispositions d’ordre financier, matériel, ou relatives à la responsabilité des parties et au règlement des différends.

Pour la France, la facture de ce sommet devrait vraisemblablement atteindre 187 millions d’euros : c’est trois fois plus que ce qu’avait coûté la COP15 de Copenhague en 2009. Il s’agit certes du plus grand événement jamais organisé en France, mais ce coût exigerait que nous disposions d’une information complète. Pour alléger la facture, le Gouvernement a souhaité faire appel à des partenariats avec des entreprises mécènes, à hauteur de 20 % du montant total des dépenses. La composition de ce groupe de mécènes fait grincer des dents du côté de certaines organisations non gouvernementales et des associations environnementales. Nous partageons leurs interrogations sur la présence, parmi les partenaires officiels de l’événement, d’établissements financiers et d’entreprises connus pour investir dans le financement de projets d’énergie fossile, comme BNP-Paribas. Nous sommes surpris que le Gouvernement n’ait pas privilégié, dans un souci de cohérence, des acteurs de la transition énergétique.

Pour en finir avec les conditions d’organisation de l’événement, je voudrais dire un mot de sa localisation. Le Gouvernement a fait le choix judicieux du Bourget, qui était probablement l’un des seuls sites à pouvoir accueillir près de 40 000 participants pendant dix jours ; un lieu suffisamment vaste pour qu’on puisse facilement y créer une ville éphémère de 80 000 mètres carrés et plusieurs périmètres de sécurité permettant d’assurer la protection des chefs d’État présents.

Le revers de la médaille, c’est la question de l’accessibilité de ce site au public. Le président de notre assemblée et la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, ont plaidé ces dernières semaines pour que le Gouvernement finance la gratuité des transports en commun sur la durée de l’événement. C’est une préoccupation partagée par nombre de responsables politiques locaux, à l’heure où les collectivités locales sont soumises à des contraintes budgétaires extrêmement fortes. Du côté des usagers, certaines réticences apparaissent déjà. On craint qu’une partie de l’Île-de-France ne soit paralysée par la conférence climat. Nous attendons du Gouvernement des réponses à ces inquiétudes légitimes ; il importe que la demande des élus locaux soit entendue.

Je voudrais à présent en venir au fond du débat. Derrière l’organisation de cette conférence de Paris se cache, comme chacun sait, un immense enjeu de société. Il s’agit de savoir si l’ensemble des pays du monde, et d’abord ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre, ou ayant le plus contribué par le passé aux émissions, sont prêts à accorder leurs politiques pour prendre en compte ce bien commun qu’est le climat, en réduisant très fortement et dans la durée leurs émissions.

C’est la condition sine qua non d’une maîtrise des effets du changement climatique pour les peuples et les générations futures. Or c’est toujours sur ces objectifs chiffrés et contraignants de réduction que les négociations internationales connaissent un blocage. Aujourd’hui, les négociations butent notamment sur le financement de l’engagement pris en 2009 par les pays du Nord de fournir aux pays du Sud 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, pour leur permettre de lutter contre le réchauffement climatique et de se développer de manière plus propre. Si cette promesse n’est pas tenue, les pays du Sud ne signeront pas l’accord de décembre.

Le chef de l’État n’a pas dit autre chose : « Il n’y aura pas d’accord à Paris pour lutter contre le dérèglement du climat si les pays riches ne s’engagent pas à financer les politiques climatiques. » Or, pour l’instant, seuls 60 pays sur 195 se sont engagés à réduire les gaz à effet de serre et, ces dernières semaines, les réunions entre les 195 pays n’ont pas donné grand-chose. « On a un texte et on négocie la moindre virgule », déplorait un expert. « On est perdus dans les alinéas, les crochets ».

Les divergences restent profondes sur de nombreux sujets. Les pays les plus pauvres continuent de réclamer une réduction plus ambitieuse des émissions des pays riches pour contenir le réchauffement à 1,5 ° C et une meilleure répartition des efforts entre pays riches, pauvres et émergents. Ils se battent aussi pour obtenir des compensations pour les pertes et dommages causés par les changements climatiques. Le coût annuel des problèmes économiques rencontrés en raison des chocs climatiques est aujourd’hui estimé à 200 milliards de dollars par la Banque mondiale. Face au risque d’échec de la conférence de Paris, le chef de l’État et le Gouvernement se mobilisent, afin de déboucher sur des mesures substantielles et sur un accord contraignant.

Mais il nous faut malheureusement constater que, depuis la crise financière de 2008, et devant les incertitudes qui pèsent sur l’avenir, nous assistons à des dynamiques de repli sur soi et à des pressions toujours plus fortes pour poursuivre sur le modèle d’une économie soumise aux logiques financières et au diktat des grands groupes. Ces dynamiques paralysent la réponse à la dérive climatique. Si nous voulons faire du 11 décembre une date clé dans l’histoire de la défense de l’environnement, il nous faut d’abord constater publiquement que le modèle économique actuel est une impasse.

Il faut le répéter : nous ne sortirons pas de la dérive climatique sans changer en profondeur notre modèle économique, social et politique. Or la conversion de l’économie rendue nécessaire par l’objectif de maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 ° C exige la mobilisation de financements immenses – mais qui ne sont pas hors de portée. Selon Pierre Cannet, du Word Wide Fund – WWF – il faudrait 2 600 milliards de dollars par an sur les trente prochaines années pour y parvenir. Ce fardeau devrait échoir pour l’essentiel au secteur privé et à l’investissement engendré par la transition énergétique. Ce chiffre paraît énorme, mais les ONG soulignent que les 1 100 milliards de dollars investis annuellement dans les énergies fossiles pourraient être redirigés vers le renouvelable.

Nous devons aussi prendre la mesure de la masse de capitaux en circulation sur la planète. Le bon sens voudrait que nous captions une partie de cet argent pour l’orienter vers le financement d’infrastructures favorables à la transition écologique. Or, comme le soulignait récemment Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement, « ce sont les marchés financiers, donc les investisseurs privés, qui ne veulent pas en entendre parler », parce qu’investir sur les marchés financiers rapporte davantage. Il y a un véritable bras de fer à mener entre le politique et les investisseurs privés sur les marchés financiers, afin que ceux-ci investissent massivement dans la transition écologique.

Pour être à la hauteur des urgences climatiques, notre pays et l’Union européenne doivent montrer l’exemple et prendre des initiatives fortes. Prenons l’exemple de la taxe sur les transactions financières, qui est toujours au point mort : la création d’une telle taxe en vue de financer le développement et la transition énergétique pourrait constituer une manne financière pour lutter contre les changements climatiques et leurs conséquences. Cette taxe pourrait constituer un vrai levier dans l’engagement financier des pays riches à l’égard des pays pauvres. La Commission européenne a estimé que sa mise en place au sein des onze pays européens concernés pourrait rapporter, à elle seule, entre 24 et 30 milliards d’euros par an.

Nous pourrions prendre aussi l’exemple des transports, secteur largement oublié par la loi de transition énergétique, et décider d’en finir avec le choix du tout routier qui s’impose aujourd’hui, tant en matière de transport de marchandises que de transport de voyageurs, au détriment du transport ferroviaire. Il faut que notre pays et l’Europe montrent l’exemple et s’attachent en particulier à donner une impulsion nouvelle en matière de coopération, afin d’apporter un véritable appui technique et financier désintéressé et permanent aux pays du Sud.

Alors que les contours du Fonds vert, dont le montant devrait représenter 100 milliards d’euros annuels en 2020, demeurent flous et soumis à la définition de nouvelles innovations financières par les grandes puissances, la France pourrait proposer d’asseoir la constitution de ce Fonds international sur la base d’une contribution sur les ressources financières liées aux énergies fossiles et sur un engagement permanent des pays développés, assis en partie sur leur niveau d’émissions.

Compte tenu des objectifs portés par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – GIEC – et du rythme actuel de croissance des émissions, de telles mesures structurelles sont indispensables pour répondre aux enjeux et éviter que tout le monde ne tombe d’accord, en décembre, sur les options les moins ambitieuses.

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