Intervention de Thomas Gomart

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales :

Il y a en effet un partage des torts. L'erreur la plus grande de l'Union européenne est d'avoir encouragé partout à travers le monde des processus d'intégration régionale, sauf dans l'espace post-soviétique.

Nous sommes aussi confrontés à deux conceptions de l'Europe : l'une atlantiste, l'autre paneuropéenne.

Je ne crois pas non plus que nous soyons dans la main des États-Unis. En revanche, nous tenons fortement celle de l'Allemagne, qui assure un leadership dans la gestion de cette crise – qui s'explique par l'importance qu'elle accorde au volet oriental de la politique de voisinage, ainsi que par la force de ses liens avec la Russie et l'Ukraine.

On entend beaucoup dire aux États-Unis qu'il s'agit d'une crise européenne que les Européens ne parviennent pas à gérer. Il y avait au départ un souci délibéré de l'administration Obama d'écarter le dossier russe. Or, il est significatif que pour nos alliés est-européens, les mesures de sécurité les plus crédibles ne sont pas tant les mesures de réassurance que les garanties apportées par les États-Unis.

L'accord de Minsk 2 a été positif : il a permis de remédier à la dégradation rapide et profonde de la situation et de créer une nouvelle phase « plateau ». Cela ne règle pas pour autant la situation. Il y a deux problèmes relativement insolubles : le non-respect de la frontière orientale de l'Ukraine, la possibilité pour la Russie d'injecter de la violence quand elle le souhaite et de maîtriser l'escalade militaire étant toujours de mise ; du côté de Kiev, le fait que les engagements attendus en termes de fédéralisation et de réformes constitutionnelles soient jugés très insuffisants, ce qui provoquera un regain d'activisme des séparatistes, qui ne s'y retrouvent pas.

Concernant les sanctions, elles ont été prises par l'Union européenne faute d'autre outil. On est dans une situation que certains qualifient d'absurde, car elle pénalise en premier lieu des entreprises européennes. Dans le cas où la Russie enverrait des signaux clairs d'un retrait du Donbass et où on pourrait lever les sanctions, un débat serait relancé sur l'accentuation des pressions pour que ce pays quitte la Crimée – ce qui entraînerait la chute immédiate du régime de Poutine. Par ailleurs, la Russie se réserve le droit, s'il n'y a pas d'accord sur l'Iran, considérant qu'elle est désormais un pays sous sanctions, de lui livrer les armes qu'elle souhaite. Il y a donc probablement une sorte de solidarité qui peut se mettre en place entre pays sanctionnés par l'Occident.

Enfin, avec l'Arabie saoudite, La Russie a un rapport très différent des autres membres permanents du Conseil de sécurité, qui ne consiste pas, comme eux, à – pour simplifier – prendre de l'énergie, vendre des armes et faire preuve de tolérance politique. Elle n'a pas besoin de prendre de l'énergie, elle vend des armes et n'a pas de tolérance politique à l'égard du régime de Ryad ou des monarchies du Golfe. Ce point est d'ailleurs vu comme une contradiction très forte dans notre propre politique. En outre, pour la Russie, l'élément déstabilisant au Caucase du Nord est le comportement de l'Arabie saoudite depuis la première guerre de Tchétchénie en 1994. Je reste donc prudent sur la capacité de Moscou à nouer une relation très étroite avec ce pays.

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