Intervention de Camille Grand

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique :

La Russie, qui ne souhaitait pas que le dossier soit traité – comme il est d'usage – par le pays où a eu lieu le crash et demandait une enquête internationale, s'oppose maintenant à celle-ci, comme les séparatistes. Il est vraisemblable que ceux-ci aient abattu un avion de ligne en pensant qu'il s'agissait d'un appareil de transport de troupes ukrainien, comme tend à le montrer l'enquête méticuleuse menée par les autorités néerlandaises. On ne pourra malheureusement pas aller beaucoup plus loin dans l'établissement des faits, dans la mesure où une partie du travail d'enquête est bloquée, notamment dans l'accès aux témoins.

Au sujet des relations avec l'Asie, je rappellerai le mot de Brzeziński, qui disait que la Russie à long terme n'a pas d'autre choix que d'être un partenaire de l'Occident ou un satellite de la Chine, ce qui est une manière de dire qu'elle n'est plus la grande puissance qu'elle était et qu'elle va devoir choisir entre les deux. Il y a une sorte d'angle mort dans le discours russe sur ce point. Je pense que l'insistance sur le nucléaire est en partie liée à la menace chinoise, puisque ce serait le seul moyen qu'auraient les Russes, dans l'hypothèse d'un conflit avec ce pays, de ne pas être totalement débordés. Mais ils ne le disent jamais : c'est toujours l'OTAN qui justifie la modernisation de leurs forces nucléaires.

La Russie est le premier fournisseur d'armes modernes à ce pays et lui livre presque sa plus haute technologie – un collègue russe avait décrit cela comme la position du vendeur de corde qui doit être pendu et s'assure de ne pas en vendre suffisamment afin qu'on ne puisse faire le noeud…

Il y a une compétition réelle en Asie centrale, que l'Organisation de coopération de Shanghai a été une façon d'organiser. La relation entre les deux pays est très ambiguë, même si affaiblir les États-Unis et l'Europe constitue au moins temporairement un intérêt commun. D'où leur dialogue au sein du groupe des BRICS, sachant que la Russie est une puissance déclinante, par définition plus difficile à gérer, et la Chine une puissance ascendante.

Poutine est l'homme de la restauration d'une certaine idée de la Russie et d'une certaine fierté russe, mais il a une conception héritée de son passé dans les services de renseignement : il souhaite voir son pays « boxer » au-dessus de sa catégorie en quelque sorte et, pour cela, utilise les leviers dont il dispose, malgré la perte de certains moyens, comme les revenus du pétrole. On aime par exemple à dire que la Russie mène le jeu à Damas, alors que je pense que c'est bien plus Téhéran.

Poutine considère au fond que la coopération avec l'Europe est une menace pour son propre pouvoir, ce qui complique la relation. Il ne veut pas de la démocratie, du libre marché et de la transparence que nous promouvons, non seulement en Russie, mais dans son environnement immédiat.

Cela étant, je pense qu'il est là pour encore assez longtemps et qu'il faut travailler avec lui, d'autant que ce qui pourrait lui succéder n'est pas forcément mieux.

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