Intervention de Jean-Marc Lacave

Réunion du 29 septembre 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Lacave, candidat au poste de président-directeur général de Météo France :

J'ai cinquante-huit ans et suis ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et président de Météo France depuis le 1er janvier 2014, ayant terminé le mandat de mon prédécesseur, et président par intérim depuis mai 2015.

Mon intervention portera sur trois points : une fiche d'identité sur Météo France, mon regard sur l'établissement au cours des vingt mois de mes fonctions, et les défis et les ambitions que je souhaite porter pour le mandat suivant.

Je rappelle que Météo France est un établissement public administratif (EPA) datant de 1993 et faisant suite à la direction nationale de la météorologie, qui était un service de l'administration. Il emploie un peu moins de 3 200 personnes, dont 350 en outre-mer, et comporte une forte dimension technique, avec 1 000 ingénieurs et 1 600 techniciens.

Son siège est à Saint-Mandé, avec 250 personnes, auquel il faut ajouter un gros centre scientifique et technique à Toulouse, occupant 1 100 personnes, les autres personnels étant répartis dans des directions interrégionales, sept en métropole et quatre outre-mer.

Nous avons un nombre important d'agents en travail posté, 570 sur des postes permanents et 650 sur des postes semi-permanents. Une grande partie du personnel est présente 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, ou au moins 12 heures par jour tous les jours de la semaine.

Nous avons plusieurs missions principales : la sécurité des personnes et des biens – avec un rôle institutionnel très fort : nous sommes conventionnés avec plus de 23 services ou opérateurs de l'État, aux ministères chargés de l'environnement, de la sécurité publique, de la défense nationale ou de la santé – ; le soutien des forces armées, où qu'elles se trouvent ; l'appui à la navigation aérienne ; et le service aux acteurs économiques, qui comprend les professionnels comme le grand public.

300 personnes font de la recherche, 500 s'occupent des réseaux d'observation, un millier fait de la prévision et environ 500 gèrent les calculateurs, serveurs, transmissions et l'informatique.

Notre budget est de 385 millions d'euros en 2015, dont 20 millions d'investissements. Les recettes sont composées pour 63 % de la subvention de l'État pour charge de service public – environ 200 millions –, pour 23 % de la redevance aéronautique – 85 millions – pour 8 % du commerce – 30 millions – et 6 % de produits divers.

Nous avons quatre filiales – Météo France International (MFI), Météorage, PREDICT Services et Météo France Régie –, auxquelles s'ajoutent deux filiales plus institutionnelles, chargées, non de faire du commerce, mais de la recherche : Mercator et le Cerfacs.

Météo France a enfin beaucoup de connexions internationales : elle est représentant de la France à l'Organisation mondiale de la météorologie (OMM) et dans les centres européens de prévision, en Angleterre, dans EUMETSAT, l'organisation européenne des satellites de météorologie, et dans EUMETNET, consortium des services météorologiques européens.

Mon regard porté sur l'établissement depuis le 1er janvier 2014 fait apparaître des forces indéniables et des préoccupations réelles.

Parmi les forces, Météo France bénéficie d'abord d'une grande notoriété à la fois auprès du grand public, des pouvoirs publics et des entreprises : notre site internet ou mobile est consulté entre 1,5 et 4 millions de fois par jour en France ; et nous sommes le 19e ou 20e site internet le plus consulté dans notre pays. 75 % des gens ont par ailleurs confiance dans nos prévisions et neuf personnes sur dix connaissent notre carte de vigilance.

Nous avons en outre cinq secteurs d'excellence : la recherche, qui donne lieu à beaucoup de publications scientifiques, est connectée avec le CNRS et les grandes universités et a permis par exemple d'élaborer un modèle de climat parmi les meilleurs du monde, contribuant d'ailleurs étroitement aux rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) ; les modèles de prévision, logiciels numériques permettant de donner des prévisions par des algorithmes, des calculs et la résolution des équations de l'atmosphère, qui sont parmi les meilleurs du monde avec un maillage du territoire de plus en plus fin, soit 1,3 kilomètre en France métropolitaine, contre 30 il y a une vingtaine d'années ; le sens du service public, qui se traduit par le côté opérationnel 24 heures sur 24 de nos services à chaque événement critique, avec une mobilisation exceptionnelle des personnels pour anticiper et informer, ainsi que permettre à tous les services et collectivités de jouer leur rôle d'accompagnement auprès de nos concitoyens ; l'expertise métier, qui consiste à accompagner nos clients au plus près, au sein même de leur système institutionnel ; la volonté d'engagement : nos agents sont très mobilisés pour apporter plus que ce que les conventions demandent, comme pour les contributions aux rapports du GIEC, à la COP21, à la recherche de financements européens, à l'éducation, à la formation et au développement de systèmes à l'étranger, avec notamment la volonté de faire bénéficier aux pays les plus exposés au phénomène climatique de systèmes d'alerte.

Parmi les préoccupations, j'évoquerai d'abord les effets de la réorganisation territoriale engagée depuis 2012. Nous devons fermer 53 centres en métropole, sachant que 43 l'ont déjà été, 3 le seront d'ici la fin de l'année et 7 le seront en 2016. Cela exige plusieurs mesures d'accompagnement, les personnels devant par ailleurs se déplacer ou opter pour le télétravail. Cette réforme est longue, toujours mal vécue en interne et synonyme de perte de substance et de présence.

Deuxième préoccupation : les contraintes de ressources, qui diminuent tant en effectifs qu'en recettes publiques. Cela suppose des économies, qu'il est de plus en plus difficile de réaliser. Nous avons en effet été un gros contributeur à la réduction des dépenses publiques. Météo France a perdu 400 personnes en sept ans et ne remplace pas huit départs à la retraite sur dix. Les ressources budgétaires sont en baisse rapide, que ce soit en loi de finances initiale ou en cours de gestion. Résultat : les exercices 2014, 2015 et 2016 sont ou seront déficitaires et notre fonds de roulement atteint un niveau plancher préoccupant. Je rappelle que notre budget sert à faire fonctionner des radars, stations météo ou calculateurs, ce qui laisse peu de latitude pour faire des économies sur des dépenses de fonctionnement. Nous avons donc des inquiétudes pour l'avenir : nous ne savons pas comment par exemple remplacer en 2018-2019 notre supercalculateur, sans parler de la flotte de nos avions de recherche, qui devra être aussi renouvelée à la même époque.

Cela est d'autant plus difficile que l'on a un sentiment d'injustice, les médias parlant souvent de nous à bon compte, en énonçant un certain nombre de contre-vérités donnant une image non conforme aux réalités et aux efforts que nous faisons.

Troisième préoccupation : des évolutions exogènes non facilitantes. Le ciel unique a ainsi conduit à mettre en appel d'offres les soutiens à l'aéronautique au niveau européen, même si la Commission européenne a donné un peu de répit en laissant le choix aux États – la France a choisi de conserver Météo France comme fournisseur exclusif. De même, la politique d'ouverture des données publiques, dont j'accepte la légitimité, amène forcément à des baisses de recettes, qu'on évalue entre 3 et 5 millions d'euros par an, sachant qu'on risque d'avoir par ailleurs des coûts importants de mise à disposition auprès de nos clients, le volume de nos données impliquant des transmissions informatiques adaptées. Je ne souhaite donc pas que cette mise à disposition soit gratuite. D'autant que la concurrence, dont je ne nie pas non plus la légitimité, monte en puissance grâce à une meilleure accessibilité des données de base.

Quatrième préoccupation : nous sommes de plus en plus sollicités, notamment pour proposer de la descente d'échelle, ce qui nécessite des temps de calcul et d'étude de plus en plus importants. De même, après l'éruption d'un volcan en Islande il y a quelques années, il a fallu s'équiper de toute urgence d'outils permettant de mesurer la quantité de cendres dans l'atmosphère – pour lesquels on a dû investir et qu'il s'agit de faire fonctionner.

S'agissant des défis et ambitions, il y a à mes yeux deux impératifs : sortir de la régulation par les seules ressources, qui ne permet pas de donner le sens et la vision indispensables au corps social et aux attentes de l'État et des différents secteurs économiques ; dépasser le traumatisme de la restructuration territoriale avec un nouveau projet, en revoyant le contenu des métiers et leur organisation.

Nous avons organisé des séminaires, réaffirmé notre raison d'être et nos ambitions et identifié dix chantiers stratégiques, aujourd'hui à l'oeuvre. L'un d'eux porte sur la vision à dix ans, qui doit nous offrir un chemin en tenant compte des évolutions autour de nous – comme le rôle de l'Europe, le développement des big data, des phénomènes extrêmes ou les progrès des observations satellitaires – ou bien au sein de l'établissement, comme les nombreux départs en retraite à venir.

Nous avons identifié plusieurs éléments structurants pour nos futures évolutions : continuer de miser sur l'excellence de la recherche ; continuer d'occuper la chaîne complète de la recherche jusqu'au commerce, comme les modèles anglais ou allemand ; poursuivre les changements organisationnels, la réforme territoriale ne permettant pas de nous assurer de faire face aux défis futurs – il faut croiser les thématiques de l'aéronautique, des routes, des médias, de l'énergie ou de l'eau avec les logiques territoriales, structurer nos développements et rendre plus efficaces certaines de nos organisations, y compris en regardant la question du temps de travail.

Dernier élément structurant : renforcer la politique des partenariats et de l'ouverture. Météo France ne doit pas être isolé dans une production propre aux services météorologiques ou climatiques, mais se connecter dans tous les domaines avec des partenaires industriels notamment, que ce soit pour l'observation, dans des produits innovants ou sur le climat, pour obtenir un mixage de plus en plus fort entre les intérêts des clients et les données météorologiques et climatiques.

L'ampleur des évolutions à conduire est considérable, avec un impact important sur les métiers et l'organisation, la culture même de l'établissement. Il nous faut du temps et le soutien de l'État, qui doit non seulement partager notre vision mais aussi accepter le rythme et les moyens devant accompagner ces changements. Météo France vaut bien qu'on ne la régule pas par les seules ressources. C'est une pépite scientifique : il ne faut pas gâcher ses fondamentaux, qui sont excellents.

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