Intervention de Yannick Moreau

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Moreau, rapporteur :

Nous remettons, en effet, « sur le métier », la question du meilleur équilibre, en matière de droits et devoirs, entre les gens du voyage et ceux qui les accueillent. Cet été a été marqué par des événements graves et inédits, qui n'ont pas tous fait « la une » des journaux. Partout sur le territoire national, et notamment dans les zones proches du littoral, les élus locaux se sont retrouvés confrontés à des difficultés liées à l'accueil des gens du voyage.

En application des dispositions de la « loi Besson » du 5 juillet 2000, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ont engagé de lourds investissements afin d'accueillir ces populations. En contrepartie du respect de ces obligations, le législateur leur a permis d'interdire l'installation de campements sauvages sur les autres terrains, publics ou privés.

Or, au cours des derniers mois, a été observée la multiplication d'installations, sans respect pour les propriétés publiques ou privées et les riverains. Malgré l'existence de sanctions pénales et d'un dispositif administratif d'éviction forcée, les élus locaux se sont retrouvés trop souvent à devoir négocier une date de départ au bon vouloir des occupants. Ces difficultés touchent toute la population et notamment le tissu économique de chacun de nos territoires.

On assiste à une évolution des modes de vie de ces populations, conduisant à une concentration des problèmes dans la période estivale, et notamment dans les espaces littoraux. Les élus et les habitants ont trop souvent le sentiment que l'équilibre des droits et devoirs entre collectivités et gens du voyage a été rompu : il est impossible de défendre l'obligation d'accueil quand les habitants considèrent que certains membres de la communauté du voyage ne respectent pas leurs obligations et les prescriptions locales. Tout se passe comme si les gens du voyage étaient plus égaux que les autres.

De nombreux rapports ont été récemment produits sur ce sujet. Chacun de ces documents s'accorde sur l'apport qu'a constitué la « loi Besson » du 5 juillet 2000 en définissant les droits et devoirs mutuels des collectivités territoriales et des gens du voyage, mais en constate l'application contrastée sur le territoire national.

Le rapport d'information, défendu en 2011 par notre collègue Didier Quentin, était intitulé : Gens du voyage : le respect des droits et des devoirs comme conditions du respect mutuel. Aujourd'hui, le cadre législatif ne permet plus de garantir cet objectif. Le Sénat a tenté d'améliorer cette situation, mais sans que l'examen du texte déposé par M. Pierre Hérisson en 2013 puisse être achevé.

En juin dernier, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi déposée par MM. Bruno Le Roux, Dominique Raimbourg et plusieurs de leurs collègues, consacrée avant tout à la suppression du statut spécifique des gens du voyage, la majorité de l'Assemblée a voté quelques mesures allant dans le sens d'une amélioration des procédures applicables en cas d'installation illicite, mais elles ne sont pas à la hauteur des problèmes rencontrés sur le terrain.

La présente proposition de loi, élaborée conjointement avec Annie Genevard, entend rétablir l'équilibre entre droits et devoirs : le régime de sanction pénale et le régime de police administrative réprimant l'installation de campements sauvages sur le terrain d'autrui, mis en place depuis quinze ans, sont en effet la légitime contrepartie à l'obligation d'accueil des gens du voyage par les communes et leurs groupements. Cependant, leur mise en oeuvre ne permet pas d'obtenir une éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants, car la voie pénale reste sous-utilisée et la procédure administrative n'est pas assez effective.

Aussi, la présente proposition de loi prévoit-elle de rétablir cet équilibre instauré par la « loi Besson » en renforçant la procédure et les sanctions pénales, en facilitant la mise en oeuvre de la procédure administrative d'éviction forcée, en réaffirmant le rôle de l'État dans la gestion du bon ordre des grands passages, en assurant une juste tarification des aires d'accueil et en favorisant l'intégration scolaire des enfants des gens du voyage.

Faisons un rapide inventaire du droit en vigueur. En contrepartie d'une obligation d'accueil des communes, le législateur a prévu deux régimes réprimant l'installation de campements illicites sur le terrain d'autrui, consacrant ainsi le principe que la liberté des uns s'arrête là où commence la propriété des autres.

Défendue par le secrétaire d'État chargé du logement Louis Besson, la loi du 5 juillet 2000 a recherché un équilibre entre la liberté d'aller et venir, le droit à un logement décent et le droit de propriété, articulant ses dispositions en trois volets. Le premier visait l'aménagement, sur quelques années, d'un nombre d'aires suffisant pour faire face aux besoins, en imposant notamment aux communes de plus de 5 000 habitants un délai pour réaliser les investissements nécessaires et en permettant à l'État de se substituer à elles en cas de carence. Le deuxième prévoyait plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d'accueil. Le troisième renforçait les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites.

Dans une logique de « donnant-donnant », cette loi a introduit un principe clair : seules les communes respectant leurs obligations peuvent interdire le stationnement sauvage et faire respecter cette interdiction. Toutefois, dans les faits, la complexité des procédures à mettre en oeuvre pour obtenir une évacuation de résidences mobiles rendait cette possibilité largement théorique, ce qui a conduit à la modification de l'article 9 de la loi du 5 juillet 2000 par la loi du 5 mars 2007.

Le préfet s'est vu attribuer le pouvoir de mettre en demeure les propriétaires des résidences mobiles des gens du voyage stationnant irrégulièrement sur des terrains publics ou privés de mettre un terme à cette occupation. Il prend cette décision à la demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d'usage du terrain. Sa décision est immédiatement exécutoire, moyennant un délai d'exécution de la mise en demeure qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Cette procédure ne peut toutefois être mise en oeuvre que si certaines circonstances sont réunies : le terrain occupé illégalement doit être situé sur le territoire d'une commune respectant ses obligations ; l'occupation illicite doit être de nature à porter atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques.

À l'issue du délai fixé dans son arrêté de mise en demeure, le préfet est autorisé à procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles. Toutefois, les occupants, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain ont le droit de contester la mise en demeure devant le tribunal administratif. Ce recours a un caractère suspensif, mais le président du tribunal administratif ou son délégué doit se prononcer dans les soixante-douze heures de sa saisine.

Un tel régime de police administrative n'a comme objectif que la fin du trouble à l'ordre public et la restauration de la tranquillité publique – résultat obtenu, dans le cas d'installation d'un campement sauvage, par l'éviction ou, le plus souvent, par le départ volontaire des occupants, à l'heure qu'ils choisissent. Il ne donne pas la possibilité de sanctionner les personnes s'étant rendues coupables de ces agissements, notamment en cas de récidive, ni de réparer les dégâts qui ont pu être causés et les préjudices subis par les personnes ayant vu leur bien illégalement occupé.

La sanction et la réparation relèvent toujours du régime pénal. La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a introduit au sein du code pénal un article 322-4-1 réprimant de six mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende l'installation en réunion, en vue d'y établir une habitation, même temporaire, sur le terrain d'autrui sans autorisation. L'infraction est constituée lorsqu'elle a lieu sur un terrain privé ou sur un terrain d'une commune, soit non inscrite au schéma départemental, soit respectant les obligations fixées par ce schéma en matière d'installation d'aires d'accueil. Lorsque l'installation s'est faite au moyen de véhicules automobiles, le code pénal prévoit qu'il peut être procédé à une saisie immédiate en vue de leur confiscation, à l'exception des véhicules destinés à l'habitation, et à la suspension du permis de conduire pour une durée de trois ans au plus.

Malheureusement, ce dispositif ne permet pas d'obtenir une éviction des campements illicites dans des délais satisfaisants. Les sanctions pénales sont peu appliquées par le juge pénal – en 2012, cinquante-sept condamnations seulement ont été prononcées sur le fondement de l'article 322-4-1 du code pénal. Cette infraction est plus utilisée à titre de dissuasion, voire de pression pour obtenir un départ volontaire, car les instructions données au parquet en 2003 prévoient que « si l'installation illicite a volontairement cessé avant la date de l'audience, que soient prises des réquisitions tendant au prononcé d'une dispense de peine ». En privilégiant la seule fin de l'occupation à la sanction des auteurs du délit et à la réparation du préjudice, cette instruction introduit une confusion des genres entre cette procédure pénale et la procédure administrative d'éviction.

Par ailleurs, le faible nombre de sanctions recensées peut également s'expliquer par les difficultés rencontrées dans le déclenchement de la procédure pénale. Lors du constat d'une installation illicite, il arrive que certains groupes aient recours à des menaces physiques ou de représailles envers les élus locaux, les propriétaires des terrains concernés ou les riverains qui se plaindraient des préjudices qu'ils subissent ; la presse s'en est fait l'écho tout au long de l'été. Le choix de se porter partie civile n'est donc pas évident, ni sans conséquence pour les victimes et les élus concernés. Mais la procédure administrative d'éviction n'est pas forcément satisfaisante non plus.

Les collectivités ont pris en charge leur part et organisé l'accueil des gens du voyage. En application de la « loi Besson », toutes les communes de plus de 5 000 habitants ont dû mettre en place une aire permanente d'accueil. En outre, en application des prescriptions du schéma départemental, elles ont pu se voir imposer la mise en place d'une aire de grand passage.

Au 31 décembre 2014, 65 % des aires d'accueil et 49 % des aires de grand passage avaient été aménagées. Ces chiffres, en forte progression par rapport au 1er janvier 2011, indiquent qu'une dynamique favorable à l'aménagement d'aires d'accueil est engagée. En confiant cette compétence aux intercommunalités, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », permettra d'améliorer encore ces statistiques. Un cercle vertueux s'est installé. Même si le taux global de réalisation masque de très fortes disparités territoriales, la récente modification législative donne de meilleures chances à la compétence d'être exercée et aux aires d'être aménagées.

Par ailleurs, émergent de nouvelles tensions liées aux grands passages, d'une nature différente des grands rassemblements votifs, même s'ils sont souvent une manière de s'y rendre. La montée en puissance des grands passages est aussi associée à des motivations commerciales, telles que la vente sur les marchés, voire à des facteurs météorologiques. Ils ont tendance à se concentrer sur les mois d'été et dans des zones où se pressent déjà les touristes.

La procédure administrative d'éviction forcée a montré ses limites. Selon les statistiques que la mission d'information a pu obtenir en 2011, au cours des années 2008 et 2009, 808 mises en demeure ont été prononcées. Elles ont fait l'objet de soixante-quinze recours, qui ont abouti à un rejet dans cinquante-trois cas et à l'annulation de quatorze arrêtés. À quarante-huit reprises, une évacuation forcée a été finalement mise en oeuvre, soit vingt-quatre par an en 2008 et en 2009. Ainsi, c'est avant tout sur la dissuasion et la négociation avec les gens du voyage, afin d'obtenir leur départ volontaire dans un délai raisonnable, que repose la partie répressive de la « loi Besson ».

Cette situation ne peut être considérée comme satisfaisante, ni pour Annie Genevard ni pour les autres cosignataires de cette proposition de loi, notamment lorsque les collectivités territoriales ont joué le jeu, respecté leurs obligations et mis en place, aux frais des contribuables, des aires permanentes d'accueil. On ne peut se contenter du retour à l'ordre public provoqué par le départ des auteurs de l'occupation. Il faut pouvoir plus sérieusement mettre fin à ce système d'occupation illicite, qui dure généralement une semaine et ne trouve aucune réponse pénale ou dissuasive.

C'est pourquoi la présente proposition de loi vise à restaurer l'équilibre proposé par la « loi Besson », tout en rendant son dispositif plus dissuasif, plus rapide à mettre en oeuvre et plus automatique dans son exécution. Elle reprend un certain nombre de dispositions prévues par la proposition de loi sénatoriale de M. Pierre Hérisson, dont le Sénat a entrepris mais jamais achevé l'examen.

Elle poursuit cinq objectifs : renforcer les sanctions pénales et leur application, notamment en doublant les peines prévues en cas d'occupation sans titre d'un terrain appartenant à autrui pour y installer son habitation, en prévoyant une majoration de cette peine d'amende au-delà de trente-six heures d'occupation illégale et la saisie des véhicules concernés ; raccourcir et systématiser la mise en oeuvre de la procédure administrative d'éviction forcée, en prévoyant que l'arrêté d'expulsion puisse s'appliquer non seulement sur la parcelle concernée mais également sur l'ensemble du territoire de la commune ou de l'EPCI afin d'éviter la reconstitution d'un autre campement à faible distance, en introduisant la notion de trouble à l'activité économique, en supprimant le caractère suspensif du recours et en obligeant les préfets à mettre en demeure les occupants dans les vingt-quatre heures à compter de la saisine et à mobiliser les forces de l'ordre nécessaires ; préciser la responsabilité de l'État dans le bon déroulement des grands passages et rassemblements ; assurer que la tarification des aires d'accueil soit juste et équitable ; favoriser l'intégration scolaire des enfants des gens du voyage.

Le Sénat ne s'est pas saisi de la « proposition de loi Raimbourg » que l'Assemblée a adoptée, et n'est pas pressé de le faire, car ce texte ne répond pas aux attentes des élus locaux qu'il représente et qui sont confrontés tous les ans à ce déséquilibre entre les droits et devoirs des gens du voyage et ceux des collectivités. Cette proposition de loi est ainsi un cadre pour parvenir à restaurer cet équilibre, condition nécessaire pour une cohabitation apaisée entre sédentaires et gens du voyage.

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