Intervention de Philippe Goujon

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Goujon, rapporteur :

Les attentats de janvier 2015 ont frappé les esprits par la haine qui les inspirait et le mépris pour la vie humaine dont ils témoignaient. Si beaucoup a été dit et écrit sur les motivations de leurs auteurs, on a trop peu insisté, en revanche, sur le fait que deux d'entre eux, Chérif Kouachi et Amédy Coulibaly, avaient purgé des peines d'emprisonnement. Leur cas est loin d'être isolé : on peut également citer ceux de Mohammed Merah, auteur des attentats de Toulouse, et de Mehdi Nemmouche, auteur de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, qui avaient été incarcérés pour des délits de droit commun avant de se radicaliser en prison. Nul ne conteste plus que le phénomène de radicalisation s'accentue en milieu carcéral, même s'il demeure difficile à quantifier. Faute d'établissements pénitentiaires en nombre suffisant, et du fait de la promiscuité grandissante, le radicalisme et le prosélytisme progressent.

Les syndicats de personnels pénitentiaires que j'ai auditionnés ont tous pointé le risque lié à l'explosion du nombre de téléphones portables clandestins en possession de détenus, qui mettent en danger les personnels et favorisent tous les trafics. Certains détenus continuent même à harceler leurs victimes depuis la prison, en multipliant les appels malveillants. L'administration pénitentiaire est loin de nier le phénomène : sa directrice, Isabelle Gorce, a elle-même reconnu devant la commission d'enquête sur les filières djihadistes que l'introduction de portables en détention constituait un véritable fléau contre lequel il était difficile de lutter. Dans ces conditions, les préconisations de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, visant à autoriser les téléphones portables dans les prisons, paraissent tout à fait inadéquates. Si le ministère de la justice a paru tenté, ce printemps encore, d'y céder au moins pour les détenus en régime de semi-liberté, il est à noter qu'aucun des pays voisins de la France ne pratique de la sorte.

Le plus grave est que les smartphones autorisent les détenus à se connecter à Internet sans aucun contrôle. Ces équipements multiplient les accès aux sources radicales avec lesquelles les détenus peuvent entrer en contact, ils permettent les échanges de photos, l'accès aux réseaux sociaux et aux messageries instantanées, la consultation de sites web hébergés à l'étranger. C'est un danger considérable pour les détenus aux personnalités fragiles ou instables.

Le manque de contrôle des parloirs est également préoccupant. Les fouilles systématiques ont été abandonnées et, faute de moyens humains suffisants, les conversations ne sont pas surveillées. Pourtant, dans l'affaire Mehdi Nemmouche, il est prouvé que le terroriste a été approché durant sa détention, puis mis en condition par un ou plusieurs visiteurs, qui ont largement contribué à sa radicalisation.

Face à ces phénomènes, l'administration pénitentiaire et ses personnels paraissent dépourvus des moyens juridiques indispensables à une lutte efficace. Des expériences de regroupement de détenus islamistes radicaux ont été menées sur le terrain afin d'isoler ceux-ci et de protéger les autres détenus, notamment au centre pénitentiaire de Fresnes, où une unité de prévention du prosélytisme a été créée en octobre 2014. Cette expérience tardive semble, de surcroît, résulter d'une initiative individuelle, prise sans l'accord du ministère.

Le 21 janvier 2015, dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme, le Premier ministre a finalement annoncé la création, d'ici à la fin de l'année, de cinq quartiers dédiés au regroupement des personnes détenues radicalisées ou perméables au prosélytisme. Force est cependant de constater que le dispositif proposé échoue à prendre la mesure du phénomène de radicalisation en milieu carcéral. Ce regroupement ne correspond à aucun cadre légal précis. Les modalités et les critères du regroupement sont flous, tandis que le nombre de places se révèle très limité. Il faut rompre avec les attitudes irréalistes face à la menace du terrorisme radical. Je vous propose donc de garantir, par des mesures législatives adaptées, l'isolement effectif des personnes détenues, et de renforcer les moyens aujourd'hui beaucoup trop modestes et limités des services de renseignement pénitentiaire.

L'article 1er de notre proposition de loi donne un fondement législatif à l'interdiction faite aux personnes détenues de disposer de téléphones portables et, plus généralement, de terminaux – téléphones 3G ou 4G, tablettes, ordinateurs – permettant un accès non contrôlé à internet. Il préviendra ainsi toute tentation de modifier sans l'accord du législateur les circulaires et règlements intérieurs qui excluent pour le moment encore l'usage des téléphones portables en détention.

Dans un souci de clarification, l'article 2 précise le régime de protection dont bénéficie, à juste titre, la correspondance échangée entre les détenus et le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

L'article 3 complète l'article 1er en prévoyant une exclusion expresse de la correspondance électronique pour les personnes détenues. Il revient à interdire aux détenus les SMS, les e-mails, les messageries instantanées et l'utilisation des réseaux sociaux.

L'article 4 permet de retirer leur permis de visite et d'empêcher l'accès au parloir aux visiteurs ayant des comportements prosélytes, encourageant la violence ou le terrorisme.

L'article 5 vise à permettre à l'administration pénitentiaire de disposer d'outils juridiques pour détecter et lutter contre l'usage des téléphones portables clandestins en prison. Il crée un dispositif ad hoc permettant à l'administration pénitentiaire de recueillir les données de connexion relatives aux appels passés ou reçus grâce à un téléphone portable clandestin.

L'article 6 ouvre le débat sur l'opportunité de modifier la composition du Conseil national du renseignement, et l'article 7 correspond au gage financier de la proposition de loi.

Enfin, mes chers collègues, je vous proposerai plusieurs amendements visant à compléter les outils mis à disposition des personnels pénitentiaires. Je ne me fais guère d'illusions sur le sort souvent réservé à une proposition de loi émanant de l'opposition, mais je pense que la gravité des menaces auxquelles nous devons faire face justifie que nous ne négligions aucun moyen dans la lutte contre le terrorisme radical. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'opposition a voté récemment les projets de loi gouvernementaux sur le terrorisme et le renseignement pénitentiaire, en dépit du fait qu'elle n'a pas bénéficié de la réciproque par le passé. En tout état de cause, je vous remercie, mes chers collègues, de bien vouloir examiner cette proposition de loi avec bienveillance.

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