Intervention de Sébastien Pietrasanta

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Pietrasanta :

Cette proposition de loi a pour objet de régler de façon générale et par la loi la question des communications par portable et sur internet des détenus, en invoquant la lutte menée contre le djihadisme en prison. Elle s'inscrit dans un contexte très particulier, puisqu'elle a été déposée en février 2015, quelques mois après la loi sur le terrorisme du 13 novembre 2014, et quelques jours après les attentats de janvier 2015. Inspirée par l'émotion, examinée sept mois après son dépôt, elle est devenue inopérante depuis l'adoption, il y a deux mois, de la solide loi sur le renseignement de juillet 2015, qui a réglé un grand nombre de problèmes sur lesquels votre groupe est d'ailleurs divisé.

Cherchant à occuper le terrain de la lutte contre le terrorisme, vous multipliez les propositions de loi, vous livrant, jour après jour, à un concours Lépine des propositions les plus démagogiques sur un sujet qui devrait tous nous rassembler. Aujourd'hui, vous nous proposez de réinventer l'existant en interdisant par la loi les téléphones portables dans l'enceinte des établissements pénitentiaires, alors même que le décret 2013-368 du 30 avril 2013, cité dans tous les règlements intérieurs et assorti de sanctions allant de la confiscation à une peine de « mitard », interdit aux détenus de posséder un portable.

Vous considérez que la question relève du législateur, nous non : la Constitution prévoit en effet que tout ce qui ne relève pas du législatif est du domaine du réglementaire. Au demeurant, l'interdiction est déjà effective et bien réelle, puisque, en 2014, 27 524 téléphones portables ont été saisis par l'administration pénitentiaire, et 23 495 l'ont été en 2013.

Sur ce sujet, évitons les caricatures. Les contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue puis Adeline Hazan, ont une vision pondérée des choses. En tout état de cause, il nous semble essentiel de ne pas limiter, comme vous essayez de le faire, les prérogatives du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Pour ce qui est des permis de visite, un pouvoir d'appréciation est déjà conféré aux directeurs de prison afin d'assurer la sécurité et le bon ordre de leurs établissements. Dès lors, pourquoi créer une catégorie à part, qui n'apporterait aucun bénéfice juridique mais fragiliserait, au contraire, la décision du directeur, car les avocats introduiraient des recours plus facilement ? Le renseignement pénitentiaire est ici abordé sous l'unique angle de l'IMSI catcher, ce qui n'est d'ailleurs pas très cohérent puisque vous souhaitez collecter du renseignement en prison en mettant les portables sur écoute, tout en affirmant vouloir éradiquer la présence de ces appareils en détention.

Sur le fond, je ne peux qu'être d'accord avec l'utilisation de l'IMSI catcher au sein des prisons. Vous reprenez d'ailleurs quasiment l'amendement que j'avais déposé avec Jean-Jacques Urvoas et fait adopter dans le cadre de l'examen de la loi sur le terrorisme de novembre 2014. Depuis, la loi sur le renseignement a amplement évoqué le sujet et tranché. Vous avez raison de souligner l'importance du rôle du renseignement pénitentiaire, dont le Gouvernement a d'ailleurs annoncé la montée en puissance avec la création de 111 équivalents temps plein (ETP). Nous aurons à très court terme une restructuration importante du bureau du renseignement pénitentiaire, ce qui est sans doute prioritaire avant l'utilisation de telle ou telle technique. Oui, le renseignement pénitentiaire doit être renforcé, comme j'ai eu l'occasion de le dire dans le cadre de l'examen de la loi sur le renseignement, mais de ce point de vue, l'article 6 que vous proposez manque sa cible. Le Conseil national du renseignement n'a rien à voir avec la communauté du renseignement. Aux termes de l'article R. 1122-7 du code de la défense, tous les ministres dont la présence est requise par l'ordre du jour, y compris le garde des sceaux, peuvent y siéger aux côtés des services spécialisés. Il faudrait donc plutôt élargir le second cercle de la communauté du renseignement en y admettant le renseignement pénitentiaire, qui y aurait toute sa place.

In fine, vous nous proposez une loi censée régler d'un trait de plume un problème d'actualité sensible et complexe. Vous en appelez à la fermeté de principe, tout comme nous. Le problème est que votre proposition ne tient compte ni du droit existant ni des règlements pénitentiaires, et affirme l'existence de besoins juridiques que les acteurs de terrain ne constatent pas au quotidien.

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