Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 30 septembre 2015 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, rapporteur :

J'ai l'honneur de rapporter cette proposition de loi au nom de mon groupe et, en particulier, de plusieurs de mes collègues dont Marc Le Fur, afin de réparer par la loi la conséquence involontaire d'une autre loi, votée à l'unanimité par notre assemblée et le Parlement tout entier. Il s'agit de rétablir le dispositif qui soumettait le franchissement des frontières françaises par un mineur à l'autorisation de ses parents.

Ce dispositif a été supprimé en novembre 2012, suite à ce que nous considérons comme une interprétation aléatoire de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. J'ai de bonnes raisons de croire à une mauvaise interprétation de cette loi : je la connais bien pour compter parmi ses auteurs et en avoir été le rapporteur. Elle avait pour objectif de mettre un terme aux enlèvements d'enfants dans les couples où les choses ne se passent pas comme elles le devraient.

Dès la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 – dont j'étais également le rapporteur –, le législateur a souhaité qu'en matière de violences intrafamiliales, le droit soit conçu pour réprimer non seulement tous les actes de violence commis pendant l'existence du couple, mais également tous ceux perpétrés après sa dissolution et par lesquels se poursuit la violence exercée par un membre du couple sur l'autre.

S'agissant des enfants, nous savons que d'autres types de violences se produisent après la séparation et, éventuellement, après la condamnation des auteurs de violence. D'autres événements très graves peuvent survenir. Des parents séparés, divorcés, qui partagent la charge des enfants dans des conditions douloureuses, peuvent se trouver en situation conflictuelle. Il arrive qu'un parent emporte son enfant à l'étranger, l'autre restant désemparé en France. La justice se trouve elle-même en difficulté parce qu'elle doit compenser avec des institutions locales qui, s'agissant de certains pays étrangers, partagent peu notre conception du droit – il s'agit d'un simple constat de ma part, n'y voyez aucune connotation. C'est pourquoi nous avons créé des procédures d'inscription préventive des enfants concernés au fichier des personnes recherchées pour que la police les arrête à la frontière. Cette procédure, qui fonctionne assez bien, doit être portée au crédit de la loi de 2010.

Le Gouvernement a tiré argument du succès de la mise en oeuvre de ces dispositions pour supprimer l'autorisation de sortie du territoire signée des parents dont devait disposer un mineur quittant seul la France. Il en avait la possibilité, puisque celle-ci reposait sur une circulaire. Or nous avons constaté, à la lumière des événements récents, qu'il s'agissait d'une erreur. En 2010, nous avons traité le cas particulier d'un parent agissant contre l'intérêt de ses enfants, et nous n'envisagions pas que ce dispositif législatif, voté à l'unanimité je le rappelle, soit utilisé dans un cas plus général – celui dans lequel un parent veut le bien de ses enfants. C'est le rôle des parents de déterminer ce que peuvent faire ou non leurs enfants ; l'État se doit de ne pas intervenir, sauf s'il est avéré que les parents s'acquittent mal de leurs responsabilités.

Avant sa suppression, l'autorisation de sortie du territoire était exigée pour le passage de tout enfant quittant la France sans ses parents, qu'il le fasse seul ou en groupe. Elle était visée, suivant les cas, par le maire ou le préfet, ou encore par le directeur d'école ou le chef d'établissement dans le cadre de voyages scolaires à l'étranger. En supprimant cette autorisation, la France a aligné le droit des mineurs sur celui des majeurs. Cela veut dire que pour quitter la France seul et se rendre en Europe ou dans des pays amis de la France, un enfant n'a besoin aujourd'hui que de sa carte nationale d'identité. Cela peut conduire à des conséquences tout à fait aberrantes car il n'y a pas de limite d'âge. C'est possible à dix-huit ans moins deux jours, mais aussi à quinze ans, à dix ans, et pourquoi pas à cinq ans.

Il est facile de comprendre pourquoi mon groupe, dans un esprit qui n'est absolument pas lié à une quelconque actualité ou une volonté de se différencier par rapport à la majorité, a souhaité inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée.

La situation dans laquelle nous nous trouvons est parfaitement aberrante, j'espère vous en avoir convaincu. Je suis sûr qu'elle est ressentie comme telle par tous ceux qui, au sein de notre Commission, ont des enfants ou des petits-enfants. La loi commande à la police de laisser un enfant partir à l'étranger, sauf si ses parents ont préalablement saisi le juge ou le préfet pour le lui interdire. Or on ne le fait pas : d'une manière générale, il n'y a rien de particulier à craindre dans les familles.

Des pays voisins, tels que la Belgique, ont conservé l'autorisation de sortie du territoire ; on comprend pourquoi. Si le ministre de l'Intérieur estime que cette autorisation n'est pas nécessaire, ce n'est pas tout à fait l'avis de son collègue des Affaires étrangères qui recommande, sur le site internet du Quai d'Orsay, de délivrer une telle autorisation sous seing privé. Il a probablement de bonnes raisons pour cela, de même que la ministre de l'Éducation nationale, qui a donné pour consigne à ses personnels de maintenir la pratique antérieure pour les voyages scolaires. Il faut remettre tout cela en bon ordre, sous la protection de la loi. Ainsi, nous réparerons la conséquence malencontreuse d'un texte qui ne l'est pas.

Pourquoi agir par la loi ? Je réponds par avance à une objection qui a été faite aux propositions de loi précédentes mais qui, je le sais, ne sera pas utilisée contre ce texte qui ne suscite pas les mêmes confrontations idéologiques et politiques. La liberté d'aller et venir est un droit fondamental ; l'altérer ou la défendre est donc du domaine de la loi. C'est la raison pour laquelle l'article 34 de la Constitution me semble s'appliquer. Il s'agit bel et bien d'accorder des garanties fondamentales aux citoyens pour l'exercice de leurs libertés publiques.

J'en viens au contexte. Tout le monde est conscient que la situation internationale est troublée. Si des mineurs ont fugué de tout temps, pour toutes sortes de raisons, la plupart du temps pas très bonnes, il faut aujourd'hui compter parmi celles-ci un sujet qui préoccupe tous nos concitoyens et qui fait l'unanimité entre nous : l'appel au djihad. Nous savons que des réseaux existent pour endoctriner la jeunesse ; ils sont très structurés et sévissent notamment sur internet pour faciliter le départ des victimes que sont, la plupart du temps, les jeunes qui partent faire le djihad au Moyen-Orient.

En n'exigeant pas de formalité légale pour le voyage de ces mineurs, en particulier vers la Turquie, nous abandonnons ces jeunes et leur famille au plus grand désarroi. C'est une des raisons pour lesquelles il me semble absolument nécessaire d'adopter cette proposition de loi qui n'est pas, je le répète, fondée sur une posture mais sur un simple constat de bon sens. J'ai noté avec plaisir que ce souci était partagé par notre collègue Patrick Mennucci, qui a recommandé le rétablissement de l'autorisation de sortie du territoire dans son rapport d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.

En conclusion, il s'agit tout simplement de protéger des enfants, de combler un vide, d'éviter des drames. Quand tel est le sujet, les querelles politiques sont inutiles. J'en appelle à la conscience de chacun et au bon sens collectif pour que nous puissions, tous ensemble, adopter cette proposition de loi et son article unique.

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