Intervention de Jean-Yves Caullet

Réunion du 6 octobre 2015 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Caullet, rapporteur pour avis :

Le 14 septembre dernier, pour la première fois de sa courte histoire, la Commission s'est saisie pour avis de la première partie du projet de loi de finances. Elle s'est saisie de l'ensemble du texte, pour donner corps à l'idée que le développement durable est une préoccupation transversale, au regard de laquelle il est légitime de s'interroger sur la cohérence des dispositions retenues dans d'autres textes, et en particulier de la loi de finances.

Cependant, pour être durable, toute innovation de ce type doit se construire pas à pas. Je vous propose donc, compte tenu du délai imparti, de concentrer mon rapport sur les aspects fiscaux concernant les énergies, et en particulier les carburants.

Plusieurs raisons nous incitent à agir vite en ce domaine. Tout d'abord, la France s'apprête à accueillir la vingt-et-unième Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21). C'est une échéance cruciale, qui doit permettre un accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l'objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de deux degrés. Il est donc légitime d'analyser la cohérence de notre projet de budget avec les engagements publics pris à cet égard.

Par ailleurs, le vote récent de la loi de transition énergétique et l'importance du secteur des transports dans ce domaine donnent pertinence à une analyse de la cohérence de la loi de finances à cet égard.

De fait, le premier sentiment à la lecture du PLF est en demi-teinte. En effet, aucune disposition ne concerne le développement durable, non plus que la fiscalité des carburants et des biocarburants. C'est sans doute pour cette raison que le cabinet du ministre du budget m'a indiqué qu'il souhaitait traiter ces questions dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR), et que le cabinet de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'a pas donné suite à mes demandes d'audition. Seuls les services et le cabinet du ministère de l'agriculture ont accepté de répondre à mes interrogations techniques, notamment sur les biocarburants. Je les en remercie, car la matière est relativement ardue.

Pourtant, ce PLF n'est pas complètement neutre au regard de la thématique des transports. Il prévoit par exemple une diminution de 424 millions d'euros du budget pour 2016 de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), ce qui constitue une raison de s'interroger sur l'affectation des recettes fiscales issues de la taxation des carburants.

Par ailleurs, le scandale des tests de pollution d'une grande société européenne de construction automobile est une autre bonne raison, conjoncturelle celle-là, pour réfléchir à l'attribution des bonus et des malus en fonction des rejets polluants des véhicules. Notre réflexion doit donc englober la taxation du gazole et son effet incitatif.

Notre débat doit également être replacé dans le contexte de la directive européenne portant à 10 % le niveau d'énergies renouvelables à atteindre dans les transports d'ici 2020, mais avec un plafond fixé à 7 % pour les biocarburants issus de cultures alimentaires dits « de première génération », de manière à laisser une marge de 3 % aux biocarburants dits « avancés », produits à partir de déchets tels que les huiles usagées ou les huiles animales. Vous vous souvenez que ce sujet nous a occupés à plusieurs reprises à propos de la loi de transition énergétique et de la loi croissance et activité.

Le gouvernement français, qui est en avance sur l'Union européenne sur ce point depuis un certain temps, a autorisé depuis le 1er janvier 2015 la commercialisation du gazole B8, qui permet d'incorporer jusqu'à 8 % d'ester méthylique d'acide gras, biodiesel produit à partir d'huiles végétales, animales ou usagées. On ne peut que regretter que l'industrie pétrolière continue de produire majoritairement du B7, qui n'incorpore que 7 % de ces esters méthyliques, d'autant que le B8 est une norme temporaire dans l'attente de l'avènement du B10, qui portera à 10 % la cible d'incorporation d'huiles d'origine végétales, animales ou usagées dans le gazole.

Le Gouvernement a annoncé le 3 septembre 2015 sa volonté de renforcer la fiscalité écologique – ou de renforcer le caractère écologique de la fiscalité – en 2016. Il nous a assuré que les dispositions relatives notamment à la fiscalité des carburants et au développement durable seront abordées dans le projet de loi de finances rectificative. Mais, outre le fait que ce genre de vecteur législatif est davantage destiné aux ajustements de l'exercice en cours plutôt qu'aux mesures nouvelles, on peut s'interroger sur l'opportunité d'examiner ce type de dispositions en novembre, sans donner de signal politique préalable, alors que la COP 21 sera en train de se réunir.

C'est la raison pour laquelle, sans attendre le dépôt du projet de collectif budgétaire, j'ai souhaité déposer un certain nombre d'amendements au présent PLF qui, même s'ils ne sont pas tous finalement adoptés en l'état, auront le mérite de lancer le débat sur des points essentiels et d'envoyer des signaux correspondants à la position de notre pays au sein de la COP 21.

En premier lieu, j'ai souhaité vous proposer de préciser la trajectoire de l'évolution de la valeur carbone intégrée aux tarifs de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) – valeur communément appelée « taxe carbone ».

Le code des douanes fixe ce prix à 14,50 euros par tonne en 2015, à 22 euros par tonne en 2016, puis s'arrête là. La loi sur la transition énergétique que nous avons adoptée cet été a fixé ce montant à 56 euros en 2020. Entre les deux, rien n'est prévu pour les années 2017, 2018 et 2019. Ce manque de précision pourrait jeter un doute sur la volonté d'atteindre l'objectif fixé pour 2020. Pourquoi ne pas dire comment nous allons faire pendant les trois années qui manquent ? Je propose donc un amendement pour préciser cette trajectoire en appliquant une simple interpolation linéaire : j'ai tracé un trait. L'objectif est de rendre cette évolution suffisamment précise et lisible pour que les acteurs économiques s'y préparent, et en même temps suffisamment contraignante pour que personne ne revienne sur cette trajectoire, quels que soient les résultats des échéances électorales à venir.

Je me suis également intéressé à la fiscalité des carburants, et notamment à celle du gazole.

Tout d'abord, il paraît essentiel que le gazole, considéré comme plus polluant que l'essence sans plomb, soit à terme taxé au moins au même niveau que cette dernière. C'est le fameux rattrapage dont tout le monde parle sans qu'on le voie venir, telle l'Arlésienne d'Alphonse Daudet. Depuis plusieurs décennies, le gazole bénéficie d'un avantage fiscal qui n'a été que très peu réduit jusqu'à présent. Le gazole routier bénéficie ainsi d'un différentiel de 16 centimes par rapport aux supers 95 et 98.

Je vous proposerai, par voie d'amendement, de fixer une trajectoire contraignant le Gouvernement à annuler ce différentiel d'ici à la fin de l'année 2025. Au moment où j'ai élaboré ce rapport et proposé mes amendements, il n'y avait rien de prévu dans le PLF, et faute d'information sur les projets du Gouvernement, j'ai eu l'excellente surprise d'entendre hier la ministre indiquer qu'en cinq ans, elle prétendait faire ce que je vous propose de faire en dix. Je m'en tiendrai néanmoins là ; le Gouvernement aura toujours la possibilité d'accélérer le mouvement par rapport à ce que nous lui aurons proposé.

Si cet amendement était adopté, cela donnerait le signe fort d'une volonté progressive mais constante, qui permettra aux industriels et aux consommateurs de préparer l'avenir en sachant à quoi s'en tenir. En même temps, le délai de dix ans permettra d'anticiper la transformation du parc et de le renouveler, soit vers des moteurs à essence, hybrides ou électriques pour les véhicules légers, soit vers le gaz sous ses différentes formes pour le parc poids lourds, qui est important dans la consommation de carburant routier.

Je proposerai un second amendement relatif à la fiscalité des carburants. Outre le rattrapage que je viens d'évoquer, dans une conjoncture favorable de cours pétroliers historiquement bas, cet amendement aura pour objet d'augmenter de deux centimes la TICPE applicable au gazole routier, d'un centime celle relative au super 95 et au super 98 et de baisser d'un centime la TICPE applicable au super E 10, qui incorpore davantage d'éthanol. Nous enverrons donc un signal clair sur la fiscalité des carburants, avec la trajectoire de rattrapage d'une part, et ces premières mesures d'autre part.

L'objectif est double : commencer à réduire le différentiel de taxation entre le gazole et les autres carburants, et favoriser le recours au carburant E 10, qui incorpore 10 % de biocarburant contre seulement 7 % pour le super 95. La France est le premier producteur européen de bioéthanol, et la matière première utilisée pour fabriquer ce biocarburant est issue du territoire national, cela mérite aussi d'être souligné, notamment au regard de l'indépendance énergétique.

Les ressources apportées par cet amendement, de l'ordre de 800 millions d'euros, permettront de réévaluer le budget de l'AFITF, qui est fortement réduit dans ce PLF. Cette mesure s'ajoutera à la hausse de la composante de la taxe carbone également prévue à la même échéance. Au total, si vous adoptez l'amendement que je vous propose, la TICPE sur le gazole augmentera donc de 4 centimes en 2016, celle relative au super 95 et au super 98 de 2,7 centimes et celle relative au super 95 – E 10 de 0,7 centime seulement. Ces deux éléments viennent donc se cumuler. Je signale que l'ordre de grandeur de ces montants est largement inférieur, compte tenu du cours actuel du pétrole, aux différences des prix au détail que l'on constate dans un même département.

Un autre amendement permettra d'élargir l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) au gazole non routier (GNR). Le gazole non routier est destiné à l'alimentation des moteurs des engins mobiles non routiers : engins agricoles, forestiers ou de chantier, locomotives diesel, bateaux de plaisance lorsqu'ils ne sont pas en mer et batellerie intérieure. Ce fameux gazole est coloré en rouge pour éviter les usages détournés.

L'objectif n'est pas de créer une recette, puisque la TGAP est destinée à ne pas être payée si l'on incorpore suffisamment d'énergies renouvelables dans le carburant. Je le précise donc avec beaucoup de fermeté : il ne s'agit pas de renchérir le prix de ces carburants, mais d'inciter leurs distributeurs à la même vertu que pour les carburants routiers, c'est-à-dire la même obligation d'incorporation d'énergies renouvelables pour atteindre nos objectifs en la matière.

Cette mesure écologique fait l'objet d'un consensus de la part des acteurs économiques que j'ai pu rencontrer, qui se déclarent en capacité de produire suffisamment de biocarburants pour obtenir l'exonération de la TGAP qui leur sera donc désormais applicable. Cette mesure offrira aussi aux producteurs de carburants élaborés à partir d'huiles animales, végétales ou usagées un petit débouché supplémentaire permettant de stabiliser leur modèle économique. Je vous rappelle par ailleurs que ce sont les distributeurs de carburants qui sont éventuellement redevables de cette taxe, s'ils ne remplissent pas leurs obligations en termes d'énergies renouvelables. Les usagers de GNR ne verront aucun changement de prix, c'est essentiel dans le contexte économique actuel.

Même si je n'ai pas déposé d'amendement sur ce thème, je souhaite dès à présent poser la question d'un nécessaire travail sur les stocks stratégiques. Ils ont été conçus pour faire face à des chocs pétroliers, mais les biocarburants ne sont pas inclus dans cette démarche. Cela soulève de nombreuses questions techniques de tout ordre, mais il serait bienvenu de s'interroger sur la façon d'inclure dans cette démarche stratégique ces carburants produits sur le territoire national et qui participent à l'indépendance énergétique du pays.

Je vous proposerai un dernier amendement sur la qualité des huiles incorporées dans les biocarburants. Actuellement, les industriels peuvent incorporer des huiles d'origine animale ou végétale issues de colza, essentiellement produites en France et faisant l'objet d'un contrôle rigoureux. Mais ils peuvent également utiliser des huiles usagées ou des huiles issues d'huiles de palme, généralement importées, et dont la provenance, s'agissant surtout des huiles usagées, est parfois suspecte. Pour parler franchement, dans la mesure où le recyclage des huiles usagées est fiscalement favorisé, on peut parfois se demander si certains fournisseurs ne vendent pas à nos industriels, au prix d'huiles usagées, des huiles vierges dont la valeur est devenue paradoxalement inférieure aux huiles usagées, devenues surcotées en raison de l'avantage fiscal qu'elles procurent. On comprend qu'un tel commerce n'est pas sain et que l'importation de ce type d'huiles, outre qu'elle concurrence la production nationale, ne participe pas d'un développement durable. Il convient donc de mettre un terme aux incitations à ces pratiques.

La liste des produits autorisés à entrer dans la composition des biocarburants, et donc éligible à l'exonération de TGAP, est fixée aujourd'hui par voie réglementaire. Je vous proposerai simplement de compléter le dispositif existant en indiquant au Gouvernement que dans l'arrêté, la liste ne doit prévoir que des produits compatibles avec le développement durable et l'indépendance énergétique de la France. Et pourquoi ne pas s'appuyer sur des certifications de type RBO – Register for Biofuels Origination ? On ne change donc pas le dispositif, mais on donne un certain nombre d'orientations au pouvoir réglementaire pour que les pratiques soient plus vertueuses en la matière.

Enfin, je souhaite aborder un dernier sujet, sans pour autant déposer d'amendement à ce stade, afin d'ouvrir le débat sur l'élargissement de l'assiette de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). C'est un sujet que nous avons déjà évoqué à de nombreuses reprises au sein de cette commission. Il n'y a rien de prévu dans le PLF pour 2016, peut-être que cela le sera dans le collectif de novembre, mais je pense qu'il faut y réfléchir dès à présent. La CSPE est un outil historiquement destiné à assurer la péréquation du service public d'électricité, mais aussi à lutter contre la précarité énergétique, or elle ne repose aujourd'hui que sur la consommation d'électricité.

La précarité énergétique est un sujet plus général, le financement de la transition énergétique est nécessaire, la question se pose donc de savoir si sa base peut être élargie aux autres énergies. Cette question sera examinée au regard des besoins de financement de la lutte contre la précarité énergétique et de la transition énergétique. J'imagine que nous poserons cette question dans le cadre du débat sur le PLFR.

Compte tenu de toutes ces considérations, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du projet de loi de finances pour 2016 que nos amendements, je n'en doute pas, contribueront à améliorer.

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