Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 17 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires économiques

Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement :

À vos côtés, Monsieur le Président, je suis toujours parfaitement à l'aise ! Je veux d'abord tous vous remercier, au terme de cette audition impromptue, pour l'intérêt que vous portez aux sujets qui relèvent de mon ministère. Je formule le souhait que nous travaillions au cours des prochains mois dans la plus grande concertation. Mme Annick Lepetit a opportunément rappelé toutes ces lois votées parce qu'un ministre pensait avoir trouvé une solution magique et qui sont restées inappliquées, parce qu'elles étaient votées trop rapidement et s'avéraient en fait souvent inapplicables. La réglementation en matière d'urbanisme, y compris d'urbanisme commercial, mérite d'être débattue et discutée pour être opérationnelle.

Le dispositif que nous avons mis en place pour l'encadrement des loyers part du constat d'une véritable explosion des prix à la relocation, - plus de 40 % d'augmentation en cinq ans dans Paris et la proche couronne -, avec pour résultat aujourd'hui des montants insupportables. Nous avons poursuivi en cela la démarche entreprise par M. Benoist Apparu sous la précédente législature, visant à plafonner les loyers des petites surfaces à 40 euros le m², mesure à l'efficacité relative puisqu'elle a eu pour effet immédiat une fixation des loyers à 39,95 euros le m2... L'intervention de la puissance publique dans la régulation des loyers m'apparaît indispensable. Le décret en préparation constitue une mesure d'urgence qui s'appuie sur la loi du 6 juillet 1989, et sera valable pendant un an. Mais, comme l'a souligné M. Daniel Goldberg, ce décret ne pourra s'appliquer aux logements de type « meublés ». Peu de monde pensait que nous parviendrions à adopter un tel dispositif, applicable à compter du 1er août, mais nous l'avons fait ! Je ferai d'ailleurs une communication en conseil des ministres à ce sujet demain matin. D'ici mars-avril 2013, dans le cadre de la refonte de la loi de 1989, et en nous appuyant sur toutes les études qui ont déjà été menées pour pointer les comportements abusifs de certains bailleurs, nous mettrons en place un dispositif qui s'appliquera à l'ensemble des territoires ainsi qu'aux différents types de baux, y compris ceux applicables aux meublés. Nous n'entendons pas bloquer les loyers mais les réguler et donc freiner leur augmentation, à l'image de ce qui a été fait en Allemagne. À titre de comparaison, le prix moyen des loyers à Munich, qui est la ville la plus chère d'Allemagne, est de 9 euros, contre 23 euros à Paris… L'objectif est de faire en sorte que le dispositif permette même, dans certaines zones, une diminution du montant des loyers. Selon les éléments dont nous disposons, le taux de rentabilité des loyers perçus par certains propriétaires par rapport au remboursement du prêt pour l'acquisition du bien loué, est de plus de 70 %. Cette situation encourage l'explosion des prix, sans permettre d'enrayer la crise du logement, comme M. Jean-Luc Laurent l'a justement souligné. La fédération française du bâtiment évalue ainsi à 35 000 les pertes d'emplois dans le secteur, d'ici la fin de l'année, et s'inquiète des perspectives pour 2013. Notre réponse doit donc consister à stabiliser le secteur, tout en dégageant un périmètre d'intervention et des moyens de financement pour le logement social et le logement privé. C'est ainsi que nous rétablirons la confiance et inciterons les opérateurs à investir dans la construction de logements, tant dans le parc privé que dans le parc public.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué la question du foncier, notamment M. Germinal Peiro. Je tiens à vous assurer de la très forte détermination du Gouvernement dans ce domaine. Des dispositifs fiscaux permettront de lutter contre la rétention foncière, notamment pour les terrains constructibles privés. Actuellement, l'intérêt des propriétaires est de garder ces terrains le plus longtemps possible, et il est nécessaire d'inverser cette logique. Dans le même temps, plusieurs outils seront mobilisés tels que les baux emphytéotiques ou un système de décote adapté pour le foncier public, en insistant sur la contractualisation. Nous devons également travailler à la construction de logements sociaux, y compris très sociaux, en établissant notamment une typologie de ces logements pour répondre aux besoins différenciés des territoires.

Ces orientations correspondent à la volonté affirmée par le Président de la République, reprise par le Premier ministre dans son discours de politique générale et elles seront mises en place. Plusieurs questions ont porté sur un sujet important, rendu public dans la presse, à savoir le rôle d'Action Logement et de l'actionnariat des entreprises sociales pour l'habitat (ESH). Il s'agit en effet d'une question pendante, pour l'heure non arbitrée, qui porte sur la budgétisation du 1 % logement. Je considère absolument indispensable que nous disposions des moyens nécessaires à la réalisation de l'objectif de 500 000 nouveaux logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Cela implique la mobilisation de tous les financements existants, dont les financements du 1 % qui permettent d'équilibrer les opérations, en particulier dans les zones tendues, et dont le montant est égal, voire supérieur, aux aides à la pierre de l'État et des collectivités locales.

Le doublement du plafond du livret A est un autre sujet en discussion. Je souhaite indiquer que, si une partie des possibilités de prêts de la Caisse des dépôts n'est pas aujourd'hui consommée par les opérateurs, c'est parce que les taux ou les types de financement proposés ne permettent souvent pas l'équilibre des opérations. L'augmentation des financements disponibles permettrait à la Caisse des dépôts de proposer aux collectivités locales des prêts plus intéressants. Je pense notamment à des « super » Prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) qui seraient adaptés en zones très denses avec, à la clef, des loyers d'un niveau inférieur à ceux des PLAI actuels qui ne sont pas supportables pour une partie de la population, par exemple en cas de sortie de logement insalubre dans certaines zones spécifiques. Outre le fait que les loyers PLAI s'avèrent inaccessibles pour certaines familles, il y a aujourd'hui 30 000 demandeurs de logement au titre de la loi DALO (droit au logement opposable) qui ne sont pas en situation de bénéficier d'un logement. Il y a par ailleurs plus d'un million de demandeurs de logement sociaux en attente sur l'ensemble du territoire français. On le voit, les situations sont en lien les unes avec les autres et tous les leviers doivent être mobilisés pour atteindre l'objectif fixé.

En matière de droit de l'urbanisme, mon objectif est de promouvoir clarification et simplification. L'idée de différencier les règles en fonction de la taille de la collectivité locale me parait difficile à appliquer car les initiatives en ce sens ont montré leurs limites, comme cela a été souligné pour l'application des dispositions de la loi « montagne ». Ce type de dispositif requiert, a minima, la possibilité d'un recours pour les collectivités concernées sur les différences d'application des dispositions réglementaires et la mise en place d'une instance de médiation. Mais, comme cela a été souligné pour le logement social en milieu rural, - c'est également le cas en outre-mer et nous travaillons étroitement avec le ministre M. Victorin Lurel -, il est nécessaire d'avoir une grande proximité entre les opérateurs et les lieux de construction.

En ce qui concerne d'une part la question du logement dégradé en zone rurale et d'autre part celle de la consommation de l'espace rural, je voudrais rappeler que la densité n'est pas réductible à la hauteur et insister sur la nécessité de travailler sur une forme de densité qui laisse subsister de l'espace pour satisfaire les demandes des citoyens. Ces derniers souhaitent en effet à la fois une appropriation personnelle du logement et l'accès à des services publics et aux commerces, il convient donc de lier ces différentes préoccupations, comme cela a d'ailleurs été fait chez certains de nos voisins.

S'agissant du montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et de l'équilibre entre zones rurales et zones urbaines, il s'agit d'une question à la fois récurrente et quelque peu insaisissable. À titre d'exemple, le Président des communautés urbaines m'a indiqué ce matin même qu'il existe une véritable iniquité, dans la mesure où les habitants des zones rurales sont plus favorisés que ceux des zones urbaines et que, in fine, la répartition de la DGF est plus favorable aux zones rurales. Il convient donc d'apporter des éléments objectifs pour éclairer ce débat, notamment en matière de péréquation horizontale et verticale.

La répartition des aides à la pierre et l'avenir du plan de rénovation urbaine sont des sujets liés puisqu'il y a débat sur les capacités financières de l'État à mener à bien ces deux projets. Il est tout d'abord nécessaire de mobiliser des aides à la pierre significatives du côté des collectivités locales mais surtout de l'État et il est indispensable de les flécher pour qu'elles répondent exactement aux besoins. En ce qui concerne l'ANRU, il manque environ 7 milliards d'euros pour mener à bien le premier projet de rénovation urbaine (PNRU1), mais la possibilité d'une nouvelle étape de la rénovation urbaine ne doit pas être négligée. Chacun est conscient de la nécessité de poursuivre ce projet et de ne pas laisser certains quartiers au milieu du gué mais aussi de la nécessité d'être plus sélectif dans les opérations de démolition-reconstruction, dont certaines ont été extrêmement consommatrices d'argent public pour une efficacité relative. Il y a une véritable réflexion à conduire autour des notions de rénovation, de démolition-reconstruction et d'intervention dans le parc social.

Je reprends à mon compte l'idée de « muscler » la taxe sur les logements vacants, dont le nombre varie entre 1 et 2 millions. Parallèlement à l'objectif de construction de nouveaux logements, la possibilité de récupérer même 5 % de ce parc de logements vacants représente une perspective importante. Cette taxe constitue un véritable sujet au regard notamment du phénomène des « dents creuses » en milieu rural, qui participe à la détérioration de l'habitat de centre-ville alors même que des opérations de lotissements sont mises en oeuvre à proximité. On aboutit ainsi à la coexistence de constructions neuves, qui ne sont pas toujours de très grande qualité et d'un patrimoine ancien en centre-bourg qui se dégrade. Il est donc nécessaire de réfléchir au périmètre de la taxe sur les logements vacants ainsi qu'aux modalités d'attribution de ses ressources à la rénovation du parc de logements et à sa mise en location, dans le cadre de dispositifs du type « louer solidaire » ou « solibail » qui ont montré leur efficacité et qui permettent de créer du parc social dans les zones rurales qui en ont besoin. Par ailleurs, nous avons la ferme intention, d'ici la fin de l'année comme pour le dispositif sur le foncier public, de relever le seuil de logements sociaux imposé par la loi SRU de 20 % à 25 %, de quintupler les pénalités et de supprimer l'article 57, afin de ne plus donner la possibilité aux intercommunalités de réaffecter aux communes qui ont acquitté la contribution à la solidarité le fruit de cette même taxe, sans qu'il y ait de démarche de construction de logements sociaux. Je vais également faire étudier par les préfets la possibilité d'intervenir dans les communes qui ont des programmes de construction depuis plus de dix ans et qui n'ont pas répondu à leurs obligations découlant de la loi SRU. Ces situations vont bien au-delà du constat de carence et relèvent d'une volonté délibérée de ne pas répondre à l'obligation légale qui pèse sur l'ensemble des communes de plus de 3 500 habitants. L'association « ville et banlieue », dont les responsables sont de sensibilités politiques très diverses, a beaucoup insisté sur ce point, faisant part d'un profond sentiment d'injustice quant à l'application de cette loi.

La question foncière représente une réelle source de préoccupation et il est important de doter les établissements publics fonciers d'une vraie capacité à intervenir en amont, en préparation de projets locaux et communaux qui ont besoin de mûrir. La possibilité de faire bénéficier ces établissements du produit de l'amende pour non application de la loi SRU est une piste de réflexion.

Sur la cartographie des aides, la question du zonage est très importante au regard de la superposition de différents dispositifs qui rendent le paysage assez peu clair. Une des hypothèses sur laquelle nous travaillons, en collaboration avec mon collègue François Lamy, consiste à tendre vers un dispositif unifié dans les domaines aussi bien social qu'urbain afin d'offrir une meilleure lisibilité aux élus locaux.

En ce qui concerne les liens entre la conférence sur l'exclusion et la politique du logement, il se trouve que la question de l'hébergement fait partie du périmètre de mon ministère et que j'ai l'intention d'agir très vite dans ce domaine, sans attendre l'hiver prochain. J'ai confié une mission au préfet Alain Régnier, délégué interministériel pour l'hébergement et l'accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées, afin de proposer, en lien avec les différents intervenants associatifs, un dispositif pérenne qui dépasse la problématique de l'hébergement hivernal, qui va à l'encontre de l'obligation légale d'hébergement.

Je souhaite dire un mot en particulier sur la Société nationale immobilière (SNI). Il y a effectivement un souci avéré et identifié avec cet établissement et nous sommes dans une démarche volontariste visant à ce que ceux qui ont pu profiter, certes en toute légalité, de ce dispositif, soient placés devant un certain nombre de responsabilités. Il n'existait pas, sous l'ancienne majorité, de volonté de résoudre cette question. Cette volonté est désormais bien présente et je suis déterminée à aboutir, sans pour autant méconnaitre les difficultés du dossier. L'argent du logement doit toujours rester celui des locataires et en particulier celui des locataires du parc social. Dès lors, les opérations compliquées qui ont eu cours ne doivent pas se poursuivre et l'on peut s'interroger sur l'apport de la SNI à la politique globale du logement dans notre pays.

S'agissant du SCOT, cet outil, qui a mobilisé beaucoup d'intercommunalité et d'élus locaux autour d'un projet, doit être préservé dans le cadre de la réforme de l'urbanisme. Il s'agit d'un outil à la fois complexe et vulnérable tout au long de sa durée, contrairement au permis de construire ou à tout autre document d'urbanisme. Il convient donc de le doter d'une armature juridique plus solide. La question du périmètre des PLU, comme celle de la compétence en matière d'urbanisme, est également un sujet de débat avec des options très tranchées autour du choix de la bonne formule entre l'incitation, la pédagogie et la coercition.

Je pense que l'on va avoir une vraie difficulté avec les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM), dans la mesure où, après la révision générale des politiques publiques (RGPP), les services territoriaux de l'État ne sont plus en mesure de fournir l'ingénierie qu'ils apportaient antérieurement aux communes rurales pour l'instruction des permis ou de projets de centre-bourg. De manière non assumée, les petites communes ont été incitées à s'engager dans des démarches d'intercommunalité, tout en étant privées du recours aux capacités d'ingénierie dont elles pouvaient disposer. Les communes concernées sont totalement désarmées en l'absence d'ingénierie partagée dans un cadre intercommunal souple. En qualité de ministre chargée de l'égalité des territoires, je constate qu'une fracture est en train de s'instaurer entre les collectivités qui sont insérées dans des agglomérations ou des dispositifs intercommunaux, intégrant une grande métropole et bénéficiant de ce fait de l'ingénierie collective, et celles qui sont complètement déconnectées de tout dispositif mutualisé. À travers ce sujet, la question centrale de l'accès au service public et de l'égalité territoriale est posée. Cette situation résulte d'une absence de volonté d'aller plus loin en matière de compétence d'urbanisme. Il s'agit d'un sujet épineux sur lequel j'aurai besoin de l'appui de la représentation nationale pour avancer. Mon ambition ne consiste pas à faire une énième réforme mais davantage à tenter de clarifier le dispositif existant en étroite concertation avec les collectivités locales et non à vouloir décider de tout, sans en avoir véritablement les moyens.

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