Intervention de Virginie Tournay

Réunion du 2 octobre 2015 à 10h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Virginie Tournay :

J'ai été heureuse de participer à cette réflexion collective. Ce fut d'abord pour moi un très bel exercice d'expérimentation démocratique en raison tant de la composition hétérogène de ce groupe de travail que du format des discussions et de la dimension prospective de nos travaux.

Ce fut aussi un bel exercice de lucidité. L'idée de départ n'était pas de proposer un nouveau Meccano institutionnel mais d'imaginer ce que pourraient être demain les institutions en partant d'une démarche socio-historique. Cet angle d'attaque est indispensable pour poser un diagnostic précis de nos institutions politiques mais ce faisant, vous n'avez pas adopté la voie la plus facile car, d'emblée, elle nous sort de la logique qui consiste à penser la crise des institutions uniquement à partir de l'ingénierie institutionnelle. Nous ne pouvions entrevoir à l'avance nos résultats, ce qui nous a placés dans une stimulante situation d'incertitude intellectuelle.

L'originalité de ce rapport réside dans le pari de rendre compte de nos institutions politiques en travaillant sur la relation qu'entretient leur mécanique interne avec les dynamiques sociales à l'oeuvre dans les médias, la démocratie sociale, les questions européennes et la culture scientifique.

Je tiens à remercier les présidents d'avoir ouvert la discussion à partir de ce présupposé et d'avoir pris un risque en choisissant de composer le groupe de travail comme ils l'ont fait. Je remercie également le personnel de l'Assemblée nationale pour le travail qu'il a réalisé pour aboutir à ce rapport car saisir cette relation entre institutions politiques et dynamiques sociales est complexe.

Il me semble que c'est cette relation même qui est à l'origine des divergences que l'on a pu observer au sein du groupe : sur le diagnostic même de crise, sur la représentativité politique et les quotas. A priori, on pourrait penser que la défiance des citoyens vis-à-vis de leurs élus est susceptible de trouver un début de réponse dans une plus grande correspondance sociologique entre la société civile et ses représentants. La prise en compte des dynamiques sociales introduit cependant une nouvelle variable : la proximité, qui n'est pas synonyme de représentation. Et de cette variable dépend la confiance des citoyens à l'égard de leurs élus.

Je suis très sensible aux réflexions et propositions qui placent le citoyen en leur centre, en en faisant le bénéficiaire direct de nos réflexions. À cet égard, je suis séduite par la proposition de Cécile Untermaier de créer des ateliers législatifs citoyens car elle est susceptible d'influer sur la variable de proximité et ce faisant sur la confiance politique du citoyen en lui permettant de participer à la vie politique. À mon sens, cette initiative a une efficacité supérieure à celles qui se rapportent plus immédiatement à la machine représentative.

J'ai également été séduite par les réflexions concernant les terminaisons de l'action publique, même si elles n'ont pas forcément débouché sur des propositions concrètes. Moderniser le Parlement en diminuant l'inflation législative et en s'efforçant d'assurer un suivi de l'effectivité des politiques engagées me semble fondamental. Il importerait de favoriser les études d'impact et de développer des indicateurs de suivi. Cette question rejoint le débat que nous avons eu sur l'accountability, autrement dit la nécessité pour le citoyen que la mécanique institutionnelle assure non seulement une bonne fabrique de la loi mais aussi un contrôle de sa mise en application.

Sur le plan de la justice, la création d'un ordre de juridictions sociales pourrait être une très bonne chose comme, plus largement, toutes les mesures permettant aux citoyens défavorisés de se constituer en sujet de droit. Elles m'apparaissent doublement marquantes : d'une part, elles touchent à la fois le fonctionnement in situ de nos institutions et la façon dont elles sont vécues par les citoyens ; d'autre part, elles sont de nature à améliorer la confiance vis-à-vis des responsables politiques.

Je formulerai toutefois un regret : il n'y a pas de trace dans le rapport de nos débats sur les tenants et aboutissants de la démocratie dite participative, en particulier sur l'ingénierie participative en lien avec le principe de précaution. Il est peut-être prématuré de faire des propositions sur les formats de débats publics en matière de choix scientifiques et technologiques mais il aurait été bon, je crois, de mentionner dans le rapport les divergences qui sont apparues au sein de notre groupe de travail à propos de la constitutionnalité du principe de précaution. Cela aurait permis de montrer la complexité institutionnelle de la participation citoyenne et d'introduire les grands absents que sont les experts et les institutions scientifiques. Il est bien évident que ce problème du principe de précaution a des répercussions sur les relations entre institutions politiques et institutions scientifiques.

Enfin, s'agissant de la réception du rapport, il faut effectivement faire passer le message qu'il constitue un instrument de travail. Pour le reste, je ne doute pas que dans les trente prochaines années, les thésards qui s'attacheront aux représentations sociales de nos institutions s'approprieront ce matériau, le faisant vivre et proliférer.

1 commentaire :

Le 12/12/2016 à 15:21, Laïc1 a dit :

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"Enfin, s'agissant de la réception du rapport, il faut effectivement faire passer le message qu'il constitue un instrument de travail. Pour le reste, je ne doute pas que dans les trente prochaines années, les thésards qui s'attacheront aux représentations sociales de nos institutions s'approprieront ce matériau, le faisant vivre et proliférer."

C'est assez paradoxal qu'un rapport censé intéresser les citoyens ici et maintenant, pour résoudre une situation de crise démocratique actuelle, n'ait finalement d'autre avenir que celui d'intéresser les thésards dans 30 ans...

Déjà, les thésards, c'est tout sauf l'ensemble des citoyens, on est dans une configuration délibérément oligarchique, donc anti-démocratique, mais en plus dans trente ans, c'est-à-dire pas loin de jamais...

En plus, les thésards, c'est pour étudier, ce n'est pas pour appliquer, donc à quoi bon faire des rapports s'ils sont programmés pour ne pas être appliqués? C'est se moquer de la démocratie et des citoyens.

Comme preuve de mépris pour son propre travail, c'est aller un peu loin.

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