Intervention de Harlem Désir

Séance en hémicycle du 19 octobre 2015 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Article 22 et débat sur le prélèvement européen

Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes :

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de vos interventions. Vous avez surtout insisté sur la nécessité d’avoir un budget suffisamment ambitieux au regard des politiques communes que nous souhaitons voir mener en Europe. Vous voulez également des politiques plus transparentes, plus équitables et plus prévisibles dans leurs mécanismes – souhait que le Gouvernement partage totalement.

Madame la rapporteure générale, vous avez raison de souligner que la prévisibilité de l’évolution de la contribution française au budget de l’Union serait souhaitable. C’est d’ailleurs en ce sens que nous menons des discussions avec la Commission européenne. Ce n’est toutefois pas facile, car le calcul de la contribution dépend de multiples facteurs, en particulier du niveau des crédits de paiement, qui est susceptible d’évoluer en fonction du niveau d’exécution des politiques communes dans les États membres, et de la variation des ressources propres qui dépendent de la part du revenu national brut de la France dans le revenu national brut de l’Union. Il est possible toutefois de faire plus simple.

Vous avez également insisté, comme Mme la rapporteure Estelle Grelier, sur la nécessité d’accélérer le Plan Juncker. Le retard d’investissement de l’Europe, notamment par rapport aux États-Unis, reste en effet un obstacle à la croissance et à une reprise plus forte. Le problème concerne les investissements tant privés que publics. C’est précisément ce qui a motivé la décision, que nous avons pleinement soutenue, de lancer ce plan de soutien aux investissements, dont le nom porte celui du président de la Commission, M. Juncker.

Il faut quand même noter que le règlement relatif au Fonds européen pour les investissements stratégiques, l’instrument juridique qui va permettre de disposer d’environ 21 milliards d’euros pour servir de garantie ou de prise de participation dans des projets et aider à lever 315 milliards d’euros d’investissements, a été adopté au mois de juin de cette année, c’est-à-dire en un temps record, même si l’on peut toujours trouver que c’est trop long. Cela a d’ores et déjà permis de mettre en place les organes de fonctionnement de ce fonds : son directeur et sa directrice adjointe ont été recrutés, et le comité d’investissement va désormais pouvoir se réunir pour sélectionner les projets.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont souligné, la Banque européenne d’investissement a déjà commencé, par anticipation, à sélectionner des projets, dont trois en France. Certains de ces projets portent d’ailleurs sur des domaines que vous avez considérés comme absolument prioritaires, en particulier le financement de la transition énergétique – recherche dans le domaine des énergies renouvelables, isolation de plusieurs dizaines de milliers de logements…

Je l’ai dit dans mon propos introductif : environ 140 projets que nous jugeons éligibles ont été identifiés par le Commissariat général aux investissements – CGI –, la Caisse des dépôts et la Banque publique d’investissement. Ces organismes, en particulier le CGI et la Caisse des dépôts, aident les porteurs de projets à présenter ces derniers devant le comité d’investissement et la Banque européenne d’investissement. Cependant, permettez-moi d’insister sur le fait que le CGI ne joue pas un rôle de filtre, mais constitue au contraire un appui et une aide.

Madame Grelier, vous avez voulu évoquer le problème de la flexibilité. Vous avez très bien présenté le sujet des instruments spéciaux et de l’opposition qui existe entre le Conseil et le Parlement européen sur la possibilité de les mobiliser au-delà du plafond des crédits prévus. La position du Conseil s’explique bien sûr par l’impact qu’une budgétisation supérieure au plafond aurait sur le niveau des contributions nationales au financement de l’Union. D’ailleurs, cela pourrait entraîner une hausse du prélèvement sur recettes, et c’est une raison supplémentaire de défendre une refonte du système des ressources propres – j’y reviendrai, puisque plusieurs orateurs ont insisté sur ce point.

Vous avez également voulu mentionner le problème des restes à liquider. Leur augmentation est en grande partie liée à la politique de cohésion et au décalage entre les engagements, qui sont automatiques, et les paiements, qui dépendent de la mise en oeuvre opérationnelle des projets.

S’agissant des ressources propres, nous voulons, comme vous, une réforme en profondeur du système.

Comme Mme Auroi, vous avez également insisté sur la position du Conseil sur le budget 2016. Si le Conseil souhaite opérer des coupes par rapport à la proposition de la Commission européenne, celles-ci restent cependant modestes. Ainsi, le Conseil a opéré une coupe d’un peu plus de 500 millions d’euros par rapport à la proposition de la Commission, mais il a souhaité préserver les lignes dédiées à un certain nombre de crises, d’urgences, en particulier à la réponse à la crise des réfugiés. Depuis, la Commission a présenté une lettre rectificative à son projet de budget, qui permettra, comme je l’ai dit tout à l’heure, de mettre en oeuvre les dernières décisions prises en réponse à la crise migratoire.

S’agissant des marges sous plafond, il faut les conserver, car il s’agit d’un principe de bonne gestion en début de programmation qui nous permettra de conserver des marges de manoeuvre pour faire face à de nouveaux défis. Le recours à des redéploiements de crédits de paiement vise simplement à tenir compte du rythme d’exécution des différentes politiques. À aucun moment, le niveau des engagements, qui correspond à notre capacité réelle à agir, n’a été diminué. Nous dégageons bien de nouveaux moyens pour faire face, en particulier, à la crise des réfugiés.

Monsieur Asensi, vous avez fait porter votre propos sur le budget, mais aussi sur les politiques générales de l’Union européenne. Je ne veux pas revenir sur l’ensemble des politiques de l’Union européenne – c’est un débat que nous devrons rouvrir –, mais sur le budget lui-même. Je veux appeler toute votre attention sur ce point : il n’est pas juste de le qualifier de libéral.

Ce budget permettra par exemple à la France de bénéficier, sur l’ensemble de la période de la programmation 2014-2020 – les montants annuels dépendent de l’exécution, comme je viens de l’expliquer –, de 26 milliards d’euros au titre des fonds structurels et d’investissement. Dans chacune de nos régions, nous voyons très bien à quoi ces fonds sont utilisés.

Je pense notamment au soutien à des universités – avec Mme Barbara Romagnan, j’étais récemment à Besançon, où nous avons visité un certain nombre d’équipements de recherche ou d’accueil des étudiants, qui sont financés grâce aux fonds européens. Financer l’université, ce n’est pas une politique libérale !

Ces fonds servent aussi à financer des infrastructures, souvent de transport, qui contribuent au désenclavement de nos régions et à la mise en oeuvre de grands projets ferroviaires – j’ai parlé de la ligne Lyon-Turin – ou fluviaux – j’ai aussi parlé du canal Seine-Nord-Europe.

Ce sont aussi des fonds pour l’agriculture – environ 9 milliards d’euros par an –, des fonds pour les dépenses de cohésion, ou encore l’Initiative européenne pour la jeunesse, qui permet un financement conjoint avec le FSE de la « garantie jeunes » destinée à ceux qui sont en recherche d’emploi et ont besoin d’être aidés dans leur formation au retour à l’emploi.

Tous ces dispositifs ne constituent en rien les éléments d’un budget libéral ! C’est, au contraire, un budget qui apporte de la justice sociale, qui soutient les investissements et qui prépare l’avenir.

Il est paradoxal, monsieur Asensi, que vous évoquiez la campagne des anti-européens britanniques pour critiquer le budget. Eux reprochent au budget européen d’être trop important et à l’Europe d’être trop régulatrice – c’est sur cette idée que sont fondées leurs critiques de l’Europe et du budget européen.

Quant aux remarques de Christophe Caresche, elles soulignent, comme celles d’autres intervenants avant et après lui, la nécessité d’un nouveau système de ressources propres. La France a porté ce sujet d’une remise à plat du système de financement de l’Union européenne tout au long des négociations sur les perspectives financières 2014-2020. Les autorités françaises ont d’ailleurs présenté une contribution aux travaux du groupe de haut niveau présidé par Mario Monti sur les ressources propres ; nous avons notamment soutenu la création de nouvelles ressources propres qui assureraient au budget européen un financement plus autonome que ne le permet aujourd’hui le rôle prédominant des contributions basées sur le revenu national brut.

La France souhaite donc une réflexion large, qui examine un éventail de ressources potentielles à l’aune de plusieurs critères, au premier rang desquels le rendement, qui doit être suffisamment important. Certes, nous sommes favorables, par exemple, à l’utilisation d’une part de la taxe sur les transactions financières, dont on débat actuellement et qui serait mise en place dans le cadre d’une coopération renforcée entre onze États de l’Union européenne, mais nous avons tous déjà souhaité aussi qu’une part de cette taxe soit affectée à l’aide au développement ou à la lutte contre le changement climatique, entre autres. Ainsi, on voit bien que cette option ne serait pas suffisante, même si elle peut constituer une piste.

Il faut que le rendement des nouvelles ressources propres soit stable, afin d’éviter les aléas sur les contributions basées sur le RNB des États membres, et que les charges administratives liées à leur recouvrement ne soient pas trop lourdes. Il faut aussi que l’impact économique des nouvelles ressources soit cohérent avec les politiques de l’Union européenne.

On pense parfois à une forme de taxation qui soit écologique et qui puisse s’appuyer, par exemple, sur l’empreinte carbone. Cependant, il faut évidemment ajuster à chaque fois l’instrument que l’on envisage aux effets économiques qu’il pourrait entraîner.

Un projet de création de nouvelles ressources a davantage de chances d’aboutir si le dossier est suffisamment mûr – par exemple, si l’assiette fiscale est harmonisée et proche de la ressource RNB, afin d’éviter que l’introduction de cette nouvelle ressource produise des effets redistributifs entre États membres.

Nous sommes totalement engagés dans cette réflexion. La France demande également la remise à plat de l’ensemble des rabais et insiste sur l’importance d’une meilleure prévisibilité des contributions nationales, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Monsieur Lequiller, vous avez d’abord évoqué la question des rabais. Je viens de le dire : nous pensons qu’il faut effectivement sortir de ce mécanisme.

Vous avez ensuite souligné la nécessité, pour la France, de faire des propositions ambitieuses, tant sur l’approfondissement de la zone euro que sur la convergence, la stabilité de la présidence de l’Eurogroupe et d’autres sujets comme la politique des migrations ou Schengen. Sur tout cela, non seulement nous sommes d’accord, puisque je pense comme vous que la France doit faire des propositions ambitieuses en la matière, mais c’est ce que nous faisons ! Si le Conseil européen extrêmement difficile de juillet dernier a pu aboutir à un accord sur la Grèce, c’est parce que la France voulait que la Grèce ne sorte pas de la zone euro et qu’elle a porté, avec l’Allemagne, une solution allant dans ce sens. C’est le Président de la République qui a lancé le débat, en Europe, sur la nécessité d’une nouvelle étape dans l’intégration de la zone euro, avec un gouvernement économique de la zone euro, un budget de la zone euro et un Parlement de la zone euro. Actuellement, nous sommes évidemment en train de travailler, de débattre et de mettre en place, avec nos partenaires, cette nouvelle étape de l’intégration de la zone euro que vous avez vous-même appelée de vos voeux.

Quant à la réponse à la crise migratoire, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont eu à plusieurs reprises l’occasion de s’exprimer devant votre assemblée. Ce sont également les positions de responsabilité et de solidarité défendues par la France qui ont permis de dessiner la réponse européenne qui doit maintenant être mise en oeuvre.

Mais quand vous affirmez, monsieur Lequiller, que la France n’aurait pas la crédibilité nécessaire pour porter ses propositions, je trouve que votre propos est excessivement et inutilement polémique. Ne sous-estimez pas le poids de la France, ne dévalorisez pas le rôle que notre pays peut jouer dans le débat européen !

Pour illustrer vos propos, vous avez évoqué les déficits et le respect du Pacte de stabilité et de croissance. Or, contrairement à ce que vous affirmez, la situation est marquée par l’amélioration de notre capacité à respecter nos engagements européens – c’est cela qui est noté par nos partenaires et par la Commission européenne. Juste pour mémoire, je vous rappelle qu’en 2011, le déficit public était de 5,1 %. En 2012, nous l’avions déjà ramené à 4,8 %, notamment par le biais d’un projet de loi de finances rectificative soumis à votre assemblée au mois de juillet, qui a permis de réduire le déficit de 7 milliards d’euros. En 2013, il est passé à 4,1 %, puis, en 2014, à 3,9 %. En 2015, il sera de 3,8 %. Dans le projet de loi de finances que vous examinez actuellement, il sera ramené à 3,3 %. Nous respecterons donc le retour aux 3 % d’ici à 2017, ce qui est notre engagement vis-à-vis de nos partenaires européens.

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