Intervention de Denis Jacquat

Séance en hémicycle du 20 octobre 2015 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les rapporteurs, si cette année, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et le projet de loi de modernisation de notre système de santé ont exceptionnellement permis d’aborder la question des accidents du travail et des maladies professionnelles en dehors du cadre de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, je trouve regrettable que le Parlement se saisisse trop rarement des enjeux de santé et de sécurité au travail. Preuve en est que ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 ne comporte aucune mesure nouvelle concernant la couverture du risque AT-MP.

Néanmoins, les auditions que j’ai menées en septembre dernier ont permis de prendre le pouls de la branche AT-MP et d’identifier les sujets de préoccupation des partenaires sociaux, des associations représentant les accidentés du travail et les victimes de l’amiante ainsi que des représentants d’organismes institutionnels ou juridiques.

Je n’ai pas manqué d’alerter le Gouvernement sur leurs sujets de préoccupation. À cet égard, je tiens à remercier les ministres et leurs services qui répondu aux questions que j’ai adressées au Gouvernement : le taux de réponse à mon questionnaire du mois de juillet dernier s’est élevé à 95 %, et le taux de réponse à mon questionnaire complémentaire du mois de septembre dernier à 100 %.

Cependant, les questions que j’ai posées à Mme la ministre et à M. le secrétaire d’État lors de leur audition par la commission des affaires sociales le 7 octobre dernier sont, elles, restées sans réponse, ou à tout le moins sans réponse satisfaisante.

Tout d’abord, lorsque je vous ai interrogée, madame la ministre, sur l’horizon temporel et le véhicule législatif possibles pour la mise en oeuvre des préconisations du groupe de travail sur l’aptitude et la médecine du travail qui n’avaient pu être concrétisées dans le cadre de la loi du 17 août 2015, notamment en matière de suivi de l’état de santé des salariés, vous n’avez pas fourni de calendrier précis.

Par ailleurs, je vous ai interrogée sur les dispositions du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIéme siècle prochainement examiné par le Sénat, dispositions qui ont pour ambition de simplifier l’organisation judiciaire en matière de Sécurité sociale en regroupant au sein des pôles sociaux des tribunaux de grande instance les contentieux actuellement traités par les tribunaux des affaires de Sécurité sociale – TASS – et par les tribunaux du contentieux de l’incapacité – TCI –, ainsi que les litiges relatifs à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé – l’ACS – et à la couverture maladie universelle complémentaire – CMU-C –, aujourd’hui traités par les commissions départementales d’aide sociale. J’ai alors souhaité obtenir du Gouvernement la garantie que la future réforme ne remettrait en cause ni le caractère écheviné et paritaire des juridictions amenées à connaître des litiges aujourd’hui tranchés par les TASS et et par les TCI, ni le principe de gratuité du recours au tribunal dans ces matières. Mais, là encore, aucune réponse n’a été fournie lors de l’audition du 7 octobre dernier. Pour ma part, je forme le voeu que la commission des affaires sociales se saisisse, au moins pour avis, de la réforme des TASS et des TCI lorsque ce projet de loi sera soumis à l’examen de notre assemblée.

Enfin, j’ai demandé les éléments de justification précisément chiffrés qui vous ont amenée à fixer à nouveau, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016, à 1 milliard d’euros le montant du versement dû par la branche AT-MP à la branche maladie du régime général au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles – comme vous l’aviez fait dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015, sans plus d’explications du reste. J’ai tout de même noté que les 1 000 millions étaient devenus un milliard… Vous m’avez indiqué, ce que je savais déjà, que d’après le rapport de la commission présidée par M. Jean-Pierre Bonin – rapport dont les personnes que j’ai entendues regrettent unanimement qu’il n’ait pas été publié –, l’évaluation globale de l’effectif des asthmatiques sur la base d’études plus approfondies aboutirait à un quintuplement, l’accroissement des cancers résulterait d’une détection plus précoce des maladies et de l’allongement de l’espérance de survie et que les affections du rachis lombaire ont pu, cette fois, être évaluées, ce qui n’avait pas été possible précédemment. Mais au-delà de ces motifs relativement généraux, j’aurais souhaité connaître, comme bon nombre des personnes que j’ai auditionnées, notamment les partenaires sociaux, les données objectives et chiffrées qui vous conduisent à fixer à 1 milliard d’euros un montant dont je rappelle qu’il a été multiplié par dix depuis 1997.

Cette hausse continue du versement de la branche AT-MP à la branche maladie est un sujet d’inquiétude majeure pour les partenaires sociaux : les uns regrettent que les données servant de fondement à l’évaluation du montant dû par la branche AT-MP à la branche maladie ne soient pas définies de manière suffisamment précise et transparente ; les autres regrettent que la méthode utilisée pour déterminer le montant dû empêche un réel débat sur les causes de la sous-déclaration et l’engagement de plans d’action pour mieux traiter ces causes.

La branche AT-MP a été excédentaire en 2014 – avec un solde de 691 millions d’euros – et devrait le rester en 2015, même si l’excédent devrait se réduire à 603 millions d’euros, avant de diminuer encore en 2016, pour atteindre 525 millions d’euros en raison du transfert de cotisations de 0,05 point entre la branche AT-MP et la branche maladie du régime général qui est organisé par le PLFSS. Mais cette situation excédentaire – dont on ne peut que se réjouir – est le fruit d’efforts de restructuration de la branche ainsi que de réformes de la tarification et des processus d’instruction des dossiers.

Il ne faudrait pas que le versement de la branche AT-MP à la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles siphonne la branche AT-MP au point de menacer la logique assurantielle sur laquelle elle repose. Nombre des organisations que j’ai entendues ont fait part de leur crainte que la branche AT-MP ne devienne une variable d’ajustement pour combler les déficits de la branche maladie. Leurs représentants ont exprimé le souhait que les excédents de la branche AT-MP soient mobilisés à des fins autres que le versement de sommes à la branche maladie au titre de la sous-déclaration ou que le remboursement des dettes de la branche. Ils réclament notamment, et à juste titre, que les excédents soient conservés au sein de la branche pour qu’y soient engagées des actions de prévention ou d’amélioration de la réparation des accidents du travail. Je partage leur point de vue : il faut poursuivre les actions de lutte contre la sous-déclaration afin qu’une proportion croissante d’accidents du travail et de maladies professionnelles soit effectivement imputée sur le compte de la branche AT-MP et ne pèse plus à l’avenir sur les comptes de l’assurance maladie.

Par ailleurs, les excédents de la branche AT-MP devraient être davantage mobilisés au service du monde de la santé au travail. Certaines organisations syndicales que j’ai entendues militent notamment pour que ces excédents servent à améliorer la prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel – plus connu sous le nom de burn out. Nos débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 permettront peut-être de revenir sur ce sujet déjà abordé lors de l’examen de la loi du 17 août dernier relative au dialogue social et à l’emploi.

Certaines des personnes que j’ai auditionnées ont salué l’avancée résultant de l’article 27 de cette loi qui énonce expressément que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d’origine professionnelle ». D’aucuns voudraient aller plus loin dans la reconnaissance de l’origine professionnelle des pathologies psychiques et militent pour que le burn out soit mentionné dans un tableau de maladies professionnelles annexé au code de la Sécurité sociale, ou à tout le moins pour que soit abaissé ou supprimé le taux de 25 % d’incapacité permanente aujourd’hui requis pour la reconnaissance de l’origine professionnelle de maladies non mentionnées dans les tableaux annexés audit code. Mais d’autres se montrent plus prudents dans la mesure où il est impossible d’établir une liste exhaustive et détaillée des symptômes et des facteurs d’exposition pour les pathologies psychiques. Les risques psycho-sociaux sont souvent la résultante de difficultés d’ordre autant personnel que professionnel, et les problèmes de management relèvent davantage des conseils de prud’hommes que de la branche AT-MP. Pour ma part, en raison des difficultés d’ordre médical qu’il peut y avoir à imputer un burn out aux seules conditions de travail et de l’absence d’indicateurs précis permettant de déterminer le degré d’incapacité provoqué par telle ou telle pathologie psychique, j’estime préférable que les pouvoirs publics attendent les conclusions du rapport sur l’intégration des affections psychiques dans le tableau des maladies professionnelles ou l’abaissement du seuil d’incapacité permanente partielle pour ces mêmes affections – rapport que le Gouvernement est tenu de remettre au Parlement avant le 1er juin 2016, en application de l’article 33 de la loi du 17 août 2015.

En matière de rapports, je m’étonne que le Gouvernement ne tire pas suffisamment les conséquences de celui que mon collègue Michel Issindou vous a remis en mai dernier, madame la ministre. Ce rapport fait notamment apparaître la nécessité de modifier un certain nombre de textes relatifs à la médecine du travail dont l’application apparaît aujourd’hui soit impossible, soit difficile, soit peu utile. C’est notamment le cas des textes qui conduisent à privilégier des examens cliniques systématiques plutôt que des actions ciblées que les médecins du travail sont pourtant les mieux à même de définir au regard de l’état de santé des travailleurs et de leur environnement. Il est aujourd’hui impossible de pratiquer systématiquement une visite médicale d’embauche à l’issue des périodes d’essai car plus d’une vingtaine de millions d’embauches ont lieu chaque année. En octobre 2014, le Conseil de la simplification pour les entreprises constatait que la visite médicale, pourtant obligatoire, n’était réalisée que dans 15 % des cas, qu’elle pouvait relever de la formalité impossible, notamment en raison de la faiblesse des effectifs de la médecine du travail et de la brièveté de certains contrats, que les visites périodiques – annuelles ou biennales – étaient chronophages et peu ciblées, au détriment de la prévention.

En septembre dernier, l’Association nationale des internes en médecine du travail, s’interrogeant sur l’avenir de celle-ci, a exprimé le souhait de recentrer l’activité du médecin sur ses compétences médicales qui lui permettent de résoudre avec une logique spécifique à sa formation des problématiques préventives de santé au travail et de maintien dans l’emploi, et non pas sur le fait de remplir des quotas de visites. Selon les membres de cette association, « c’est à cette condition que le médecin du travail pourra être reconnu comme un spécialiste du lien santé-travail ». Cette reconnaissance se gagnera, selon eux, par la concentration des efforts des médecins du travail sur les situations où leur formation de médecin est la plus pertinente. Je partage le point de vue de cette association de jeunes internes en médecine du travail : si cette spécialité attire aujourd’hui si peu, c’est notamment parce que rien n’est fait pour rendre cette médecine plus efficiente et donc plus attractive.

J’attends par conséquent avec impatience, madame la ministre, de connaître les initiatives que le Gouvernement compte prendre pour que les excellentes propositions de Michel Issindou ne restent pas lettre morte.

Afin de conclure mon propos sur une note positive, je tiens à souligner que les personnes que j’ai auditionnées ont globalement salué la qualité du dialogue social au sein de la branche AT-MP, branche où les débats et les négociations sont menés dans le respect et de façon constructive.

L’efficience dont le paritarisme a fait preuve au sein de la branche accidents du travail et maladies professionnelles n’est sans doute pas pour rien dans son succès : en 2014, elle a, une nouvelle fois, enregistré une baisse de la sinistralité pour atteindre un niveau historiquement faible. Cette diminution est sans doute aussi à mettre au crédit de la démarche – votre rapporteur ne peut que la louer – qui a conduit les gouvernements successifs à ériger la prévention du travail et des maladies professionnelles en priorité.

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