Intervention de Amiral Bernard Rogel

Réunion du 15 octobre 2015 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine :

épondre à vos invitations est toujours un plaisir car cela me permet de lever les yeux de mes tâches quotidiennes pour me projeter dans le futur. Or la mission d'un chef d'état-major n'est pas seulement de diriger les opérations en cours mais de préparer l'outil de combat dont la France aura besoin à l'horizon 2040. Avant d'aborder la question du PLF, je commencerai par un bref panorama du contexte stratégique, qui est particulièrement évolutif, et des missions remplies par la marine nationale, car ce sont des éléments essentiels pour comprendre nos besoins.

Le monde actuel se caractérise par une série de ruptures, dont quatre sont essentielles à mes yeux. La première est une rupture économique. Le centre de gravité économique s'est sensiblement déplacé vers l'Asie. Les routes maritimes qui en émanent sont aujourd'hui les artères de nos économies, le réseau sanguin qui permet de les alimenter : en vingt ans, la quantité de biens transportés par mer est passée de 4,5 à 9 milliards de tonnes et devrait atteindre 14 milliards de tonnes en 2020 – je parle ici essentiellement de marchandises en conteneurs et non du pétrole.

Cela nous rend plus vulnérables car, si demain le détroit de Bab-el-Mandeb ou le canal de Suez devaient être fermés à la circulation, le contournement de l'Afrique entraînerait trois semaines de délai dans les livraisons, ce qui ne serait guère supportable pour nos économies à flux tendu. C'est la raison pour laquelle nous surveillons attentivement la situation au Yémen, car si les milices rebelles disposent de missiles sol-mer, les marines occidentales n'auront d'autre choix que d'accroître leur présence dans la zone pour assurer la sécurité du transport. Il nous faut par ailleurs nous prémunir contre un autre danger : la piraterie, qui explose notamment dans le golfe de Guinée et connaît une forte recrudescence en Asie du sud-est.

L'explosion des volumes transportés par mer a également entraîné une course au gigantisme qui nous pose des défis en termes de sécurité. En effet, on n'assiste pas un navire comme le Bougainville de la CMA-CGM, baptisé la semaine dernière par le président de la République et capable de transporter 17 500 « boîtes », comme un petit porte-conteneurs. C'est la même chose pour les paquebots, qui peuvent désormais transporter jusqu'à cinq mille passagers, là où le Titanic « insubmersible » n'en accueillait que deux mille. Nous devons être d'autant plus au point sur les questions de sauvetage et de sécurité que ces paquebots vont de plus en plus loin, jusqu'en Arctique ou en Antarctique, ce qui nécessite que nous nous coordonnions au niveau international, en particulier avec les pays limitrophes comme la Norvège.

Enfin, la territorialisation croissante des mers – en Chine, en Arctique ou en Méditerranée orientale – par des pays d'autant plus soucieux de préserver leurs ressources océaniques que les ressources terrestres s'épuisent est, elle aussi, un défi pour la marine nationale, qui doit protéger notre zone économique exclusive (ZEE).

La seconde rupture est une rupture environnementale. Le dérèglement climatique a d'ores et déjà des conséquences en mer. Il se traduit d'abord par une augmentation de la violence des phénomènes climatiques – je pense notamment au cyclone qui a ravagé le Vanuatu, où la marine française a été la première à intervenir pour convoyer de quoi réparer les routes et les aéroports afin de permettre l'acheminement de l'aide humanitaire.

Ces phénomènes climatiques extrêmes alourdissent nos missions, a fortiori dans nos DOM-COM, situés dans des zones sensibles et qui ne sont pas à l'abri d'une grave catastrophe humanitaire. Je me réjouis donc de l'arrivée des bâtiments multimissions qui répondent au strict besoin d'assurer les missions de sauvegarde et d'assistance confiées à la marine.

Les changements climatiques induisent aussi des phénomènes migratoires, sur mer comme sur terre. Dans ce dernier cas, apparaissent avec les populations qui s'agglutinent sur les littoraux des problèmes de pollution et de pêche illégale ainsi que le développement de trafics côtiers ou océaniques : cigarettes, drogue, armes ou êtres humains – car n'oublions jamais qu'avant d'être coupables, les migrants sont d'abord des victimes.

Nous devons enfin surveiller de près l'évolution de la zone arctique, où la fonte des glaces va donner accès à de nouvelles ressources et ouvrir de nouvelles routes qui, à la différence de celles empruntant le canal de Suez ou le détroit de Bab-el-Mandeb ne présenteront pas de point bloquant. D'où des enjeux stratégiques importants, qui poussent déjà la Russie à renforcer ses bases navales tout au long de la route du nord-est. Nous devons donc être capables de sécuriser les flux maritimes français dans la région.

Le troisième phénomène de rupture concerne l'émergence de nouvelles puissances en mer. Il s'opère dans l'ombre de la menace actuelle, essentiellement non-étatique, mais n'en est pas moins réel. La Chine, la Russie, l'Inde, le Brésil ou le Japon, qui ont parfaitement compris la nature des enjeux maritimes, développent une stratégie navale ambitieuse et se dotent de tous les outils susceptibles d'asseoir leur puissance en mer.

Quant à la Russie, sa marine est partout et se déploie aussi bien dans le golfe de Guinée qu'en Amérique latine, dans le Pacifique dans la Manche ou l'Atlantique. Elle a fait à plusieurs reprises la démonstration de ses capacités, d'abord en évacuant ses ressortissants du Yémen au printemps dernier, opération qui était une première pour elle, puis en procédant la semaine dernière au tir de vingt-six missiles de croisière navals sur la Syrie, ce qui confirme ce que je prédis depuis longtemps, à savoir le retour de la Russie parmi les puissances maritimes de premier plan.

La Chine a pour sa part publié récemment un nouveau Livre blanc de la défense, consacré pour l'essentiel au volet naval de sa stratégie. Elle a, en 2014, mis sur cale, lancé ou livré soixante bâtiments. Les Chinois, comme les Russes, sont partout, en Baltique, dans le golfe de Guinée et dans l'océan Indien où ils déploient des outils de puissance comme les sous-marins nucléaires d'attaque. On ne peut donc plus parler à propos de la marine chinoise de marine émergente, mais bel et bien d'une marine moderne, puissante et mondiale.

Reste l'Europe, qui a encore du chemin à faire pour prendre la mesure de ces nouveaux enjeux. La marine française, îlot de verdure relatif dans le marasme européen, tente humblement d'agréger autour d'elle les forces européennes, ce qui est parfois couronné de succès puisque, lors de son prochain déploiement, notre porte-avions devrait être escorté par un groupe comprenant une frégate britannique, une frégate belge et une frégate australienne.

Enfin, la quatrième rupture est une rupture technologique. L'avance considérable dont disposaient encore il y a une dizaine d'années les pays occidentaux grâce à ce que l'on a appelé la « révolution dans les affaires militaires » s'est considérablement réduite. Cela s'explique en partie par un phénomène que nous avons mal anticipé, à savoir la démocratisation de l'accès aux technologies modernes – je pense par exemple à celles qui permettent la construction d'engins explosifs improvisés (IED) sur terre, ou de bateaux-suicides sur mer mais surtout à toutes les cybertechnologies.

L'informatisation croissante de nos bâtiments nous rend plus vulnérables à la cybermenace, que nous prenons très au sérieux. C'est la raison pour laquelle un amiral de mon état-major est spécifiquement chargé des opérations de cyberdéfense. De même le porte-avions, s'il se déploie en fin d'année ; embarquera une équipe vouée à la cyberdéfense. Nous ne devons en effet pas sous-estimer les capacités grandissantes de nos adversaires dans ce domaine. J'ajoute que les Américains sont très en avance en matière de cybertechnologies même si nous nous tenons actuellement à leur niveau et que parvenir à démontrer nos propres performances dans la durée est une condition nécessaire pour coopérer avec eux et intégrer leurs réseaux.

La capacité d'action de notre marine doit également se mesurer à l'aune de trois paramètres transverses, au premier rang duquel la contraction du temps – j'entends par là la réactivité croissante dont doivent faire preuve les militaires pour s'aligner sur l'accélération du temps politique et médiatique. À l'inverse, l'espace, lui, se dilate, ce qui signifie que notre champ d'action s'étend désormais bien au-delà de nos frontières. En d'autres termes, on nous demande aujourd'hui d'agir plus vite et plus loin. Et la France a d'autres frontières que métropolitaines, il ne faut pas l'oublier. Enfin, il ne faut pas oublier non plus que la menace d'aujourd'hui n'efface pas celle d'hier, pas plus qu'elle ne préfigure celle de demain, ce qui implique, pour adapter notre marine aux enjeux des prochaines décennies, de faire dès à présent les bons choix stratégiques.

J'en viens à présent aux opérations. Les moyens de la marine restent fortement sollicités et, aujourd'hui, ce ne sont pas moins de six mille marins engagés sur la moitié de la flotte qui sont en mer, en opération ou prêts à intervenir. Notre mobilité nous permet d'intervenir au plus près des menaces, et nous avons à l'heure actuelle des bâtiments déployés autour du théâtre syrien, en Méditerranée orientale et dans le golfe arabo-persique, pour des missions de renseignement et des frappes aériennes.

Dans le cadre de notre mission de protection, nos bâtiments sont également intervenus au printemps dernier pour évacuer nos compatriotes du Yémen, et nous poursuivons, avec l'opération Corymbe, nos actions de prévention et de lutte contre l'insécurité dans le golfe de Guinée, ce qui inclut notamment des actions de formation des marines riveraines dans le cadre des exercices NEMO.

Dans l'Atlantique Nord, nous participons aux mesures de réassurance de l'OTAN, dans un contexte marqué, je l'ai dit, par le regain d'activité des forces russes. Cela s'inscrit dans la perspective d'une réappropriation des eaux froides de l'Arctique, dont je vous ai souligné les enjeux.

Pour répondre à la crise migratoire, une de nos frégates et un de nos avions de surveillance maritime sont également engagés dans l'opération Sophia – ex-EUNAVFOR Med – opération européenne de lutte contre les passeurs de migrants en Méditerranée, dans laquelle nous occupons le second poste hiérarchique au sein de l'état-major de conduite. Dans le même temps nous poursuivons notre participation à l'opération Triton, dans le cadre de l'agence FRONTEX.

En matière de lutte contre les trafics, une de nos frégates de surveillance a réalisé coup sur coup ces deux dernières semaines quatre importantes saisies d'opportunité, soit au total une prise de 1,6 tonne de cocaïne pure, ce qui correspond à huit millions de doses d'un gramme sur le marché et équivaut à une perte de 500 millions d'euros pour les trafiquants. Ces saisies représentent sept tonnes cette année et quarante tonnes en quatre ans que la marine nationale est ainsi parvenue à retirer du marché. Sans doute devrions-nous mieux communiquer sur ce volet de notre action.

En Guyane, nous menons des opérations de grande ampleur contre la pêche illégale, confiées aux commandos marine. La dernière en date a permis le déroutement de plusieurs bâtiments de pêche qui opéraient illégalement dans nos eaux territoriales.

Il faut enfin mentionner les sémaphores, la gendarmerie maritime, les fusiliers marins et les centres opérationnels de la marine (COM) mobilisés en permanence pour la surveillance de nos approches maritimes.

Je ne m'étendrai pas sur la dissuasion dont nous assurons la composante océanique depuis plus de quarante ans, me bornant à conclure en rappelant qu'intervention, protection et dissuasion forment la marine « 3+1 », le quatrième élément renvoyant à la permanence. La permanence assurée par notre marine est en effet un élément essentiel de notre système de défense, dans la mesure d'abord où il nous permet d'être réactifs – lors de l'évacuation impromptue de nos compatriotes du Liban en 2006, de Libye en juillet 2014 ou du Yémen en mars 2015, nous avons été capables d'intervenir en moins de vingt-quatre heures – mais également parce qu'elle participe d'un dispositif d'anticipation stratégique global, la marine n'ayant pas uniquement vocation à surveiller les mers mais également certains territoires qui ne sont pas accessibles autrement.

L'ensemble de ces missions occupe pleinement la marine qui connaît un dépassement du contrat opérationnel défini par le Livre blanc de 2013 – je ne dis pas une surchauffe –, dépassement qui n'est rendu possible que par des arbitrages permanents. Ainsi, notre participation à l'opération Sophia en Méditerranée n'a-t-elle été possible qu'au prix de notre retrait de la mission Atalanta dans l'océan Indien. De même, nous devons remplacer un peu partout nos avions de patrouille maritime par des avions de surveillance maritime, afin de concentrer l'effort sur les théâtres d'opérations les plus sensibles.

Au-delà de ces arbitrages, ce dépassement du contrat opérationnel ne tient dans la durée que grâce à une diminution de l'entraînement supérieur. Nous avons dû annuler plusieurs participations à des exercices majeurs et nous sommes en deçà des normes OTAN en matière d'activités opérationnelles. Il est évident que tout cela ne peut se prolonger sans problème et qu'il ne peut s'agir que d'une situation ponctuelle, mais nous misons dès cette année sur la remontée de l'activité prévue par la loi de programmation militaire et le Livre blanc.

Le dépassement du contrat opérationnel est aujourd'hui compliqué par deux facteurs. En premier lieu, des problèmes de disponibilité des matériels anciens qui vieillissent : c'est le cas des Atlantique 2, qui devraient être prochainement modernisés et des Lynx, mais aussi des SNA – sous-marins nucléaires d'attaque – de type Rubis, que nous sommes impatients de voir remplacés par les Barracuda. Les Aviso A69 et les patrouilleurs de service public sont également touchés par le vieillissement, ce qui peut conduire à des ruptures nettes de disponibilité, comme cela s'est produit à Cherbourg après que le patrouilleur de surveillance des pêches Cormoran a pris un « coup de tabac » et s'est trouvé immobilisé pour un bon moment. Ces choix de vieillissement résultent d'arbitrages assumés, mais ils n'en viennent pas moins compliquer l'actuel dépassement du contrat opérationnel. En second lieu, les réductions temporaires de capacité inscrites dans le Livre blanc compliquent elle aussi ce dépassement du contrat opérationnel.

Enfin, ce dépassement du contrat opérationnel s'opère à budget constant. Nous dépendons en effet très peu du BOP – budget opérationnel de programme – OPEX dans la mesure où dans leur définition « technocratique » les OPEX sont avant tout des opérations aéroterrestres : en 2014, l'activité de la marine n'a ainsi été couverte qu'à hauteur de 2 % par les crédits OPEX, ce qui signifie que nos opérations à l'extérieur ne sont quasiment financées que par le PLF. Il nous importe tout particulièrement qu'il soit au rendez-vous sur les crédits permettant l'activité des forces.

Au-delà de ces aléas, la transformation de notre marine se poursuit. Nous sommes engagés dans le plan Horizon Marine 2025, qui, plus qu'une évolution est une révolution. Ce plan concerne à la fois les bâtiments mais aussi les RH, les soutiens, la formation. Conformément au Livre blanc, nous diminuons notre format et avons déjà perdu cinq bâtiments cette année. La marine sur FREMM, la marine sur Barracuda, c'est le prolongement de ce qui a déjà initié avec l'arrivée des bâtiments de projection et de commandement (BPC), c'est le passage à une marine automatisée et informatisée qui fonctionnera avec des équipages optimisés.

La phase de conception du plan est derrière nous et nous sommes entrés dans la phase de mise en oeuvre. 2016 sera une année charnière, une année de bascule capacitaire avec l'admission au service actif de plusieurs FREMM, le chargement du coeur du premier Barracuda, le passage de la composante embarquée au « tout Rafale », le développement du missile M51 dans la tenue de notre posture de dissuasion et enfin la mise en service du missile de croisière navale (MdCN).

Parmi tous les défis que nous pose la réforme, l'un me préoccupe plus que les autres, la tenue dans le temps des ressources humaines. Le passage d'une marine mécanique à une marine informatique signifie en effet que, là où les frégates embarquaient auparavant trois cents hommes d'équipage, il n'y en aura désormais plus qu'une centaine. Cela diminue singulièrement la masse salariale mais cela modifie aussi la structure des équipages. Très pyramidale dans l'ancien système, où l'on avait une base peu qualifiée très importante, on évolue à présent vers une structure en sapin, avec une base peu qualifiée très étroite et une proportion beaucoup plus importante de techniciens et techniciens supérieurs, ce qui signifie que l'on ne peut plus compter sur le seul recrutement interne et la promotion par l'escalier social. De plus en plus, la marine va devenir une armée de microfilières, la gestion de nos ressources humaines n'obéissant plus à une logique d'effectifs mais à une logique de compétences. Les arbitrages qui nous concerneront devront tenir compte de cette logique.

2016 sera aussi l'année des réorganisations. Avec l'abandon des sites de l'hôtel de la Marine et de la caserne de la Pépinière, l'installation de l'état-major à Balard et la migration de services vers Tours et Vincennes, le siège de la marine nationale se « dématérialise » ce qui prouve certes que nous sommes une armée moderne mais exige une réorganisation de nos services.

J'en viens au projet de loi de finances pour 2016. Vous avez voté en juillet une actualisation bienvenue de la LPM, dans la mesure où, grâce à l'augmentation des crédits d'entretien, elle permet de sécuriser les ressources. En ce sens, le PLF est tout à fait conforme à cette LPM actualisée. Il va permettre de financer la remontée d'activité à partir de 2016, et les engagements du ministre sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) sont tenus. Nous sommes donc optimistes sur notre capacité à remonter l'activité de la flotte entre 2016 et 2018 pour atteindre les normes OTAN ; nous pourrons ainsi combler le déficit d'entraînement supérieur que j'évoquais plus haut.

Dans la marine, les contrats de MCO sont pluriannuels. Les engagements pour 2016 contribueront à consolider la hausse des crédits d'entretien dans la durée. Nous avons par ailleurs réalisé un travail de fond sur le MCO naval, explorant toutes les pistes d'optimisation. J'observe cependant que les négociations avec les industriels se durcissent et qu'il devient de plus en plus difficile de parvenir à un niveau d'accord optimum.

Le MCO aéronautique connaît lui aussi des difficultés, et certains aéronefs subissent encore des retards en sortie-visite mais, globalement, nos efforts ont porté et, dans le domaine naval comme dans l'aéronautique, on constate une remontée de la disponibilité globale des équipements malgré des difficultés ponctuelles.

Pour ce qui concerne ses équipements, la marine poursuit à la fois sa réduction de format et sa modernisation. En 2016, elle se verra livrer la FREMM Languedoc, deux bâtiments multimissions qui seront basés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, un patrouilleur léger guyanais, deux hélicoptères Caïman et six Rafale au standard multimissions, dont quatre retrofités de leur standard d'origine. Dans le même temps sera commandé le quatrième bâtiment multimissions (B2M) destiné aux Antilles, le troisième bâtiment ayant été basculé vers La Réunion, à la demande du ministère des Outre-mer. Nous attendons également deux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), utilisés dans nos missions d'assistance, de remorquage et de soutien, en particulier dans le golfe de Gascogne où, du fait de la rudesse des conditions météorologiques, nous devons repêcher un nombre croissant de conteneurs tombés en mer et qui constituent autant de dangers pour la navigation.

Ces nouvelles livraisons ne suffiront pas à compenser la réduction de format inscrite au Livre blanc et n'éviteront pas certaines ruptures temporaires de capacité. J'ai déjà évoqué les patrouilleurs, mais les hélicoptères légers sont également concernés : les Alouette III et les Lynx ont leur âge, et il n'est pas convenable que certains bâtiments partent aujourd'hui sans hélicoptère. C'est pourquoi nous attendons avec impatience le futur hélicoptère interarmées léger.

Il nous faut également porter notre attention sur les infrastructures. L'arrivée des frégates et des sous-marins de nouvelle génération, très informatisés, a en effet une incidence sur le bilan de puissance électrique demandé aux quais. Or nos infrastructures portuaires – grues, quais bateaux-portes – et électriques datent du plan Marshall et ont besoin d'être remplacées. Les travaux peuvent certes paraître coûteux, mais il faut évidemment rapporter ce coût à la durée de vie des installations – plus de soixante-cinq ans pour celles que nous utilisons aujourd'hui.

En matière de ressources humaines, nous allons être l'armée qui va expérimenter le nouveau système de paiement de la solde. C'est certes une charge de travail supplémentaire et une prise de risque, mais aussi la reconnaissance du travail que nous avons fait pour maîtriser Louvois. Notre masse salariale sera cette année encore à l'équilibre, ce que l'on doit à tous les marins qui arment le Centre d'expertise des ressources humaines (CERH) à Toulon, qui ont su faire face aux dysfonctionnements majeurs que nous avons connus.

En termes d'effectifs, la marine poursuivra dans le cadre de ce PLF les déflations prévues par la LPM. 2 120 postes identifiés par analyse fonctionnelle seront supprimés au cours de la période 2014-2019, ce qui représente 8 % des effectifs du BOP-marine. C'est d'autant plus lourd que cela intervient après une réduction encore plus importante au cours de la LPM précédente, et que la multiplicité des compétences et des certificats nous oblige à être particulièrement vigilants.

La déflation des effectifs s'appuie sur la diminution de format mais aussi sur le remplacement de bâtiments anciens à forts effectifs par des bâtiments neufs à équipage réduit. Mais ce qui la rend possible, c'est que, grâce à la LPM, nous avons pu renforcer les fonctions de protection, sécurité et sûreté, avec la création de 800 postes permanents dont des fusiliers, des atomiciens, des cyber-spécialistes ou des techniciens du renseignement, auxquels s'ajoutent 250 postes temporaires répondant à des besoins nouveaux, comme la prolongation d'un an de trois frégates d'ancienne génération suite à la vente de la FREMM Normandie, ou encore la formation des équipages étrangers sur les bâtiments que nous exportons. Au total, ce sont 2 120 postes qui sont supprimés dans la structure fonctionnelle et un peu plus de 1 000 postes créés par ailleurs.

Le maintien des compétences est un enjeu important. Nous devons entretenir un nombre croissant de microfilières de techniciens hautement qualifiés, et les viviers dans lesquels nous les puisons se réduisent, d'une part sous l'effet des déflations mais aussi à cause d'un problème de fidélisation, ces compétences étant extrêmement convoitées par des industries qui ne connaissent pas la crise. Nous devons nous assurer de ne pas en arriver au stade où en sont certaines marines européennes, qui connaissent de graves problèmes de ressources humaines, au point que certains de leurs bateaux doivent rester à quai faute de personnel pour les faire naviguer. Aujourd'hui, notre surengagement opérationnel, le nombre et la multiplicité de nos missions, notre politique de formation interne et notre valorisation des carrières jouent en faveur de notre attractivité, mais nous devons rester attentifs à ce que pour ceux qui s'engagent au service de la Nation, la balance entre contraintes et avantages penche en faveur de ces derniers, ce qui implique de leur offrir de bonnes conditions de travail et de bonnes conditions de vie.

On nous demande cette année encore d'économiser sur les frais de fonctionnement mais la diminution des crédits peut avoir des incidences sur le moral des troupes. Outre que les dépenses de fonctionnement ne sont pas des dépenses de confort mais servent, par exemple, à financer des formations ou l'externalisation de certains contrats auprès de sociétés civiles – comme la société Bourbon pour les remorqueurs de haute mer –, le métier de marin a des contraintes particulières. Au port-base, il y a des astreintes, des gardes, des alertes ; quant aux conditions de vie à bord, j'invite tous les membres de cette commission à passer une semaine à bord d'un Aviso A69 dans le golfe de Gascogne… En mission, nous sommes séparés de nos familles pendant de longues durées, parfois sans pouvoir communiquer. Il est donc important, dans notre gestion des ressources humaines, de mieux prendre en compte ces familles et les questions de garde des enfants, de travail des conjoints, tout en nous adaptant aux nouvelles réalités sociales dans lesquelles les familles pèsent plus qu'autrefois : célibat géographique, familles recomposées, etc.

J'en terminerai en mentionnant les trois décrets signés du Premier ministre qui viennent d'étendre la superficie du plateau continental sous responsabilité française aux Antilles, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Kerguelen. Cette extension représente 550 000 mille kilomètres carrés supplémentaires, soit exactement la superficie du territoire métropolitain. C'est un nouveau champ d'action pour la marine, à qui je ne doute pas qu'on fournira les moyens pour qu'elle y accomplisse au mieux ses missions…

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