Intervention de Amiral Bernard Rogel

Réunion du 15 octobre 2015 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Bernard Rogel, chef d'état-major de la marine :

Je vous remercie, monsieur Rouillard, de m'avoir interrogé sur le coût du porte-avions en OPEX, car on nous fait souvent un très mauvais procès à ce sujet. Qu'en est-il, tout d'abord, du porte-avions lui-même ? À ceux qui font remarquer qu'un seul bâtiment ne permet pas d'assurer la permanence, je réponds que nous n'avons qu'à en prendre deux, et nous n'aurons plus de problèmes... Plus sérieusement, la question n'est pas récente : elle a été examinée dans les deux derniers Livres blancs. Le porte-avions est un outil de puissance qui nous vaut la considération de nos alliés. Je fais d'ailleurs observer qu'il s'en construit partout : les Chinois devraient en construire quatre, de même que les Indiens, les Américains en possèdent onze et les Britanniques en construisent deux.

J'en viens à votre question. La marine, qui déploie en permanence 5 000 personnes en mission, ne coûte au BOP OPEX, notamment pour les missions Chammal et Corymbe, que moins de 100 millions par an sur 1,2 milliard d'euros ; cela ne me paraît pas excessif. Il faut donc savoir raison garder et éviter d'utiliser de mauvais arguments dans des combats de périmètre.

Par ailleurs, oui, les FTI sont un enjeu majeur. Oui, elles ont été voulues par la marine. Oui, elles représentent une bonne solution. Le Livre blanc recommandait d'équiper la marine de quinze frégates de premier rang, c'est-à-dire des frégates dotées de capacités anti-sous-marines et anti-aériennes pour pouvoir se rendre dans n'importe quelle zone de crise – les frégates La Fayette, qui ne disposent pas de sonar et ne sont équipées que d'une défense anti-aérienne rapprochée, n'en sont donc pas. Nous avons alors réfléchi à la manière dont nous pouvions atteindre l'objectif fixé par le Livre blanc – qui est en réalité de treize frégates de premier rang car nous disposons déjà de deux frégates anti-aériennes (FDA) –, grâce à un panachage de FREMM et de FTI. Nous avons abouti, en étroite collaboration avec le ministre de la Défense et ses services, à une solution consistant à prendre, outre les deux FDA, huit FREMM et à bâtir un navire qui corresponde au principe de différenciation énoncé dans le Livre blanc tout en ayant la capacité de frégates de premier rang. Je me félicite que le programme ait été avancé pour une première livraison en 2023, ce qui nous fait gagner deux années durant lesquelles nous aurions pâti d'une nouvelle rupture temporaire de capacité.

Si nous avions choisi 11 FREMM en plus des deux FDA, il nous aurait fallu deux frégates supplémentaires ; or je ne crois pas à une série de deux unités : la rupture de capacité aurait été définitive. Le plan que nous avons retenu offre donc, selon moi, la meilleure solution. Il permet à la fois de respecter l'enveloppe budgétaire, de doter la marine de quinze frégates de premier rang et d'augmenter la prestation export de l'industrie française.

Selon nous, la principale menace est sous-marine : aujourd'hui – et c'est inédit, me semble-t-il –, plus de 49 nations disposent de sous-marins modernes. La FTI doit donc être dotée de capacités anti-sous-marines – je précise, à ce propos, que l'une de nos difficultés actuelles est liée au nombre des frégates anti-sous-marines (ASM) car, en raison de l'effet de biseau et de l'arrivée des FREMM, nous n'en avons aujourd'hui que six au lieu de huit prévues. Pour autant, la FTI doit être également équipée de capacités anti-aériennes pour pouvoir s'approcher des zones de crise car, et c'est la deuxième caractéristique des opérations navales actuelles, dès lors que l'on s'approche de la terre, on s'expose notamment à la menace aérienne et aux missiles sol-mer.

J'estime que ce bâtiment, qui fera entre 4 000 et 4 500 tonnes, doit être d'abord anti-sous-marin, avec une capacité d'emport NH90, puis qu'il doit disposer une capacité anti-aérienne significative. Je ne pense pas que sa taille permettra d'y installer le missile de croisière naval. Les discussions avec les industriels se dérouleront sur cette base, qui correspond aux besoins opérationnels minimums de la marine – je me battrai pour qu'ils soient reconnus, et je ne doute pas que je parviendrai à être entendu. Ensuite, il faudra s'efforcer de faire le bateau le plus intelligent possible pour qu'il soit facilement exportable. Nous travaillons « en plateau » avec les industriels et la DGA, et j'ai bon espoir que nous arriverons très vite à une définition intéressante.

Par ailleurs, il est vrai que nous rencontrons des difficultés avec les Atlantique 2, en raison tout d'abord de leur vieillissement et de la suractivité opérationnelle, car ils interviennent partout, de l'Arctique à la Syrie en passant par le Sahel. Ces difficultés sont également liées à l'appréhension de cette disponibilité par le service industriel, qui a rencontré quelques problèmes avec un logiciel de commande des pièces de rechange. De surcroît, nous allons retirer certaines cellules pour, enfin, les moderniser. Cette modernisation, décidée par le ministre de la Défense, est importante car cette capacité, que n'ont plus d'autres marines européennes, et elles le regrettent – je pense à nos amis britanniques en particulier –, est un véritable couteau suisse : de la lutte anti-sous-marine à la lutte antiterroriste en passant par le sauvetage en mer, cet avion peut tout faire. Nous nous efforçons donc de concilier le retrait de certaines cellules avec l'amélioration du taux de disponibilité, qui est actuellement de 27 %. Nous avons ainsi adopté un plan d'urgence, qui crée quelques frictions, puisque nous avons imaginé d'envoyer des avions directement chez l'industriel sans passer par le service industriel de l'aéronautique.

Le NH90, quant à lui, pèche au contraire par sa jeunesse. Il s'agit cependant, je tiens à le souligner, d'un aéronef exceptionnel – et c'est le sous-marinier qui parle – qui va bouleverser la lutte anti-sous-marine. Les capacités de l'hélicoptère et de son sonar FLASH, développé par Thales, sont tout à fait exceptionnelles, et je puis vous dire que même les nations dont les budgets militaires sont beaucoup plus importants que les nôtres nous envient le tandem FREMM-NH90.

J'ajoute, car j'ai omis de l'indiquer tout à l'heure, que le Groupe aéronaval (GAN) sera escorté, outre les bâtiments étrangers, par une FREMM et une FDA. Il s'agit déjà de la marine de 2025 que j'évoquais tout à l'heure.

J'en reviens au NH90. Celui-ci présente des défauts de corrosion – cela provient d'une perte de compétence de l'industriel, qui du reste l'a reconnu. Nous avons donc élaboré un plan pour y remédier et prévu, avec Airbus hélicoptères, d'embarquer des ingénieurs sur les bateaux dans le cadre de leur formation. Ces machines sont également souvent immobilisées pour des opérations de soutien, de sorte que nous avons élaboré un autre plan afin d'adapter le soutien aux besoins opérationnels. Sur ces deux points, les plans d'urgence devraient nous apporter des réponses assez rapidement.

Vous avez évoqué ensuite les contraintes pesant sur les familles ; c'est un sujet important. Entre les jours de mer, les jours d'alerte – durant lesquels il doit pouvoir se rendre sur son bateau en 48 heures, voire 24 heures – et les jours de garde, un marin est actuellement soumis à environ 180 jours de contrainte par an, soit la moitié de l'année. Les fusiliers marins travaillent, vous l'avez dit, plus de 70 heures par semaine. J'ai donc réclamé, et j'ai été entendu, des effectifs supplémentaires, d'abord pour faire baisser la pression, que le passage au plan Cuirasse a fait monter d'un cran supplémentaire. De fait, la force professionnelle de protection des emprises n'est pas extensible : lorsqu'on augmente le niveau d'alerte, la contrainte croît d'autant.

Nous avons également élaboré un grand plan destiné à développer l'attractivité du métier de fusilier. Il n'est en effet guère motivant de garder des clôtures entre 70 et 90 heures par semaine, pour un salaire à peine égal au SMIC. Or, nous avons besoin de spécialistes de la protection, en particulier dans la situation actuelle. Nous avons donc décidé de favoriser la mobilité des fusiliers marins : désormais, ils changent régulièrement de centre, partent en OPEX pour garder, avec les fusiliers de l'air, les avions de l'aéronautique navale et participent à la protection embarquée des bâtiments que nous devons protéger contre la piraterie. Cet effort porte ses fruits, mais nous devons avoir cette préoccupation constamment présente à l'esprit : en améliorant l'attractivité du métier, on favorisera la fidélisation des personnels, qui est absolument nécessaire.

Par ailleurs, nous ne pouvons plus raisonner en suivant une logique de nombre ; nous menons une analyse fonctionnelle permanente. Ce qui m'a beaucoup frappé, lors de l'élaboration du Livre blanc, c'est que l'on n'est pas parvenu à faire le lien entre les équipements de demain et les métiers de demain, de sorte que ce qui devait arriver arriva : les déflations se fondent sur des logiques d'effectifs et non sur des logiques de compétences. Or, aujourd'hui, il y a danger, car nous ne pouvons plus raisonner en termes d'effectifs.

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