Intervention de Colette Capdevielle

Réunion du 21 octobre 2015 à 21h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour la protection judiciaire de la jeunesse :

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » bénéficie d'un accroissement de ses crédits de paiement de 2,3 % et s'élève à près de 796 millions d'euros. Quant au plafond des autorisations d'emplois, il augmente de 196 emplois. Sur les trois dernières années, 293 emplois auront ainsi été créés.

Je tiens à souligner ces chiffres, car la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est un service public qui revient de très loin. En effet, entre 2007 et 2012, ses crédits avaient baissé de 4 % et la PJJ avait perdu, en ce qui concerne son plafond d'autorisations d'emplois, pas moins de 632 emplois, ce qui représentait une diminution de 7 % du plafond. On avait pu craindre, à l'époque, une remise en cause de la pérennité même de cette institution.

Le défi de la protection et de l'éducation des mineurs délinquants n'a pourtant jamais été aussi urgent. Ces jeunes, qui cumulent des ruptures familiales, des addictions, parfois de très graves problèmes psychiatriques, doivent être pris en charge le plus en amont possible. Plus cette prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d'insertion, de respect de la loi et des autres, et de respect d'eux-mêmes.

Lorsqu'au contraire, la prise en charge intervient tard, il est beaucoup plus difficile d'aider et d'accompagner ces mineurs à s'en sortir, et les coûts à moyen et long terme, sont très lourds, bien plus élevés pour la société, que ce soit en termes d'atteintes aux biens ou aux personnes, d'incarcération ou d'aides sociales.

Il faut donc se féliciter que le Gouvernement n'ait pas choisi, comme sous la précédente législature, de sacrifier la protection judiciaire de la jeunesse à une application aveugle et à très courte vue, de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), si abrupte en ce domaine.

Les efforts consentis, malgré les contraintes imposées par le contexte budgétaire, en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse traduisent de manière concrète et ferme la volonté du Gouvernement de redonner du sens au contrat social qui nous unit, et dont tant de mineurs sont exclus ou s'excluent eux-mêmes en commettant des infractions. Ils confirment la priorité que le Président de la République, le Gouvernement et notre majorité ont choisi de donner, dès le début de ce quinquennat, à la justice et à la jeunesse. Je donnerai donc un avis favorable aux crédits de ce programme.

J'en viens à la présentation du thème que j'ai choisi de traiter prioritairement cette année, celui de la prise en charge des mineurs en milieu ouvert.

La majorité des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse fait l'objet non pas d'une mesure d'incarcération ou de placement, mais d'un suivi en milieu ouvert, exécutée à partir du lieu de vie du jeune, sur prescription de l'autorité judiciaire. Le suivi en milieu ouvert représente ainsi 53 % de l'activité de la protection judiciaire de la jeunesse et 56 % de ses éducateurs travaillent dans ce secteur.

La réussite de la prise en charge d'un mineur qui n'est pas encore ancré durablement dans la délinquance dépend notamment de la rapidité, de la cohérence globale du parcours de protection du jeune, de l'adaptation et de la souplesse des moyens mis en oeuvre.

Or j'ai pu mesurer, lors des diverses auditions au j'ai menées, comme lors de mon déplacement à l'unité éducative de milieu ouvert de l'Est parisien, à quel point les moyens dont dispose la protection judiciaire de la jeunesse sont encore tendus. En milieu ouvert, un éducateur s'occupe en moyenne de vingt-cinq jeunes ; les psychologues, accaparés par les mesures d'investigation, ont trop peu de temps pour suivre les mineurs qui en ont besoin ; les psychiatres sont en nombre très insuffisant, alors que de nombreux jeunes souffrent de troubles du comportement et de la personnalité ; enfin, les moyens matériels, tels que les véhicules ou les ordinateurs, ne sont pas encore à la hauteur des besoins réels.

Cela m'amène, madame la garde des sceaux, à ma première question : pouvez-vous confirmer l'intention du Gouvernement de poursuivre, l'année prochaine, le redressement du budget et des moyens humains et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse, que vous avez entamé depuis trois ans ?

J'ai également visité, en compagnie du président de l'association « Sauvegarde de l'enfance à l'adulte du Pays basque », le centre éducatif fermé (CEF) d'Hendaye. J'ai pu échanger là-bas avec des éducateurs et certains jeunes. Il me semble que certains de ces centres ont montré leurs limites, lorsqu'on songe notamment à leur prix de journée élevé et au grand nombre d'éducateurs qui sont mobilisés pour un nombre restreint de jeunes. Ces éducateurs font un travail rude, souvent mal connu. Nous devons leur rendre hommage, eu égard à la difficulté de leur tâche.

Ne pourrait-on pas, madame la ministre, réorienter vers le milieu ouvert une partie des moyens aujourd'hui dévolus aux centres éducatifs fermés ?

Par ailleurs, des efforts ont été faits pour garantir plus de cohérence dans le parcours des mineurs pris en charge. Dans cet esprit, une note d'orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 30 septembre 2014, saluée par l'ensemble des professionnels, a défini le milieu ouvert comme étant le socle de l'intervention éducative. C'est au milieu ouvert qu'il appartient de coordonner les autres modalités d'intervention lorsque les circonstances exigent qu'elles soient mises en oeuvre.

Toutefois, il reste incontestablement des marges de progrès dans ce domaine. Trop souvent, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse méconnaissent les autres dispositifs de protection ou négligent de rencontrer les enseignants et les chefs d'établissement, ou encore ne viennent pas consulter les dossiers d'assistance éducative au greffe du juge des enfants. J'ai également pu constater qu'ils cessaient parfois de suivre les jeunes qui faisaient l'objet d'un placement en centre éducatif fermé.

Au-delà du manque d'effectifs, que comptez-vous mettre en oeuvre, madame la ministre, pour que l'on puisse progresser dans le sens d'une plus grande culture partenariale et d'un décloisonnement entre les différents dispositifs ? Quel jugement portez-vous sur l'idée de confier un mandat global aux services de la protection judiciaire de la jeunesse ? Sans aller jusqu'au mandat global, comment pourrait-on accroître le rôle de pilotage des services de milieu ouvert de la protection judiciaire de la jeunesse ?

Comme je l'ai indiqué, le facteur temps est fondamental pour la réussite du suivi d'un mineur. Le délai total de prise en charge par un service éducatif était de trente et un jours en 2014. Il est parfois, pour certaines mesures et dans certains endroits, beaucoup plus long. On observe alors des phénomènes de files d'attente.

Quelles mesures pourrait-on prendre, madame la garde des sceaux, pour faire diminuer le délai moyen de prise en charge en milieu ouvert, notamment pour la mise en oeuvre des libertés surveillées préjudicielles, des réparations, des sanctions éducatives et des stages ?

J'en viens à un phénomène que l'on commence à observer chez certains jeunes pris en charge, celui d'une forme de radicalisation. Cette problématique n'est pas ignorée du Gouvernement puisque le plan de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 comporte un volet relatif à la PJJ. Il prévoit notamment la création de 169 emplois : dix coordonnateurs, cinquante-neuf référents laïcité et citoyenneté affectés en direction territoriale, quatre-vingt-deux psychologues et dix-huit éducateurs.

S'agissant de la soixantaine de référents laïcité et citoyenneté, je m'interroge sur la pertinence de leur affectation en direction territoriale. De mon point de vue, l'urgence porte sur la prise en charge directe sur le terrain des jeunes en voie de radicalisation. Madame la ministre, quelles actions pourraient être envisagées ?

Je conclurai mon propos en vous demandant dans quelle mesure le présent budget de la protection judiciaire de la jeunesse préfigure une prochaine réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, réforme très attendue et à laquelle je vous sais très attachée.

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