Intervention de Dominique Bureau

Réunion du 20 octobre 2015 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable, président du Comité pour l'économie verte :

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation qui me permet de vous rendre compte de ce que fait le Comité pour l'économie verte et de réfléchir à ce qu'il pourrait faire.

Le Comité pour l'économie verte a été « réinstallé » au début du mois de février dernier sur la même base et avec la même composition que le Comité pour la fiscalité écologique en termes de composition et de fonctionnement. Il a trois missions.

Premièrement, poursuivre les travaux sur la fiscalité écologique proprement dite. Il était apparu que la France était en retard dans l'utilisation d'instruments incitatifs pour modifier les comportements et réduire les atteintes à l'environnement. Ma lettre de mission, cosignée par trois ministres, Ségolène Royal, Michel Sapin et Christian Eckert, indique que le Comité doit poursuivre les travaux entrepris par le Comité pour la fiscalité écologique qui avaient conduit à créer une fiscalité écologique incitative dans la fiscalité existante par substitution puis à mettre en place non un nouvel instrument à taux élevé mais une démarche plus progressive qui s'appuie sur les outils existants. Je reviendrai sur les leçons que je tire depuis huit mois, car je crois que la démarche est de portée plus générale.

Deuxièmement, diversifier la panoplie des instruments dans une logique d'instruments incitatifs. Il s'agit de trouver de nouveaux instruments économiques comme les marchés de compensation, des systèmes de paiement pour services écologiques. Le Comité sur la fiscalité écologique avait bloqué surtout ce qui concerne les pollutions agricoles de l'eau. Il s'agit de savoir si la fiscalité écologique est le bon instrument par rapport à des marchés de permis ou à des certificats d'économie de produits phytosanitaires (CEPP) qui vont être mis en place dans le cadre de l'ordonnance publiée le 7 octobre dernier.

Troisièmement, réfléchir au financement de la transition écologique et énergétique. Comme elle nécessite beaucoup d'investissements et que ce sont souvent des investissements risqués et de longs termes, il est nécessaire de développer une ingénierie afin de permettre un financement par le secteur privé. Sont exclues du champ du Comité les interventions publiques plus traditionnelles – réglementation, subventions, crédit d'impôt, etc. Notre action est centrée sur la mobilisation des acteurs privés, dans la mesure où c'est l'ensemble de la société qui doit évoluer.

Nous n'avons pas jugé utile de reprendre les avis qui avaient déjà pu être donnés, notamment sur la composante carbone, l'écart de taxation entre le gazole et l'essence ou encore la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets. Les avis du CFE, que l'on peut consulter sur le site, sont assez robustes. Je n'aurais été amené à modifier que quelques virgules, et non les messages que l'on veut délivrer, ce qui n'aurait pas apporté une réelle plus-value.

En revanche, nous avons considéré que le travail du Comité pour la fiscalité écologique n'était pas abouti en ce qui concerne l'artificialisation des sols et la taxe d'aménagement. J'y reviendrai tout à l'heure.

Nous avons estimé également que le Comité n'avait pas pu examiner dans des conditions satisfaisantes tout ce qui concerne les produits phytosanitaires, les nitrates etc. et qu'il fallait aussi ouvrir de nouveaux sujets de recapitalisation écologique. Nous avons donc constitué deux groupes de travail. Le premier doit rendre très rapidement un avis sur les paiements pour services environnementaux et le second sur les pollutions.

Nous avons entrepris un travail de plus long terme sur les questions de financement. Au mois de juillet, nous avons rendu un avis sur la labellisation écologique. Il sera publié sur le site la semaine prochaine ; le but est plutôt de donner des lignes directrices sur des instruments.

Nous nous sommes penchés également sur le reporting des investisseurs institutionnels, traité à l'article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Lors de la prochaine séance, qui aura lieu le 29 octobre, nous discuterons d'un projet d'avis pour essayer de remettre en perspective le projet de décret qui doit être élaboré rapidement sous l'égide du ministre de l'économie.

La France a besoin d'une green tax commission, comme le souligne depuis des années l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les sujets d'incitation pour transformer les comportements sont assez compliqués et nécessitent l'élaboration d'un consensus sur les enjeux, les impacts, etc. Nous essayons de renforcer les études d'impact sur tous les sujets que l'on traite, comme on nous le demande de façon récurrente. Nous avons besoin également de détecter ce qui pourrait aboutir à des conflits. Si l'on veut que le travail législatif puisse se faire dans de bonnes conditions, il est impératif d'engager un dialogue entre les parties prenantes en amont, ce qui permet d'éviter de découvrir des problèmes lorsque le sujet arrive en discussion.

Sous la présidence de Christian de Perthuis, le Comité pour la fiscalité écologique s'était comporté sans doute en militant du prix du carbone. C'était utile à un moment où il fallait faire avancer ce dossier qui était enlisé. Pour ma part, je m'inscris davantage dans une perspective de travail au long cours dans la mesure où un certain nombre de dossiers ont progressé.

Nous essayons d'avoir une bonne assertion entre l'expertise et la décision. Notre comité étant une réunion de parties prenantes, nous avons impérativement besoin d'une expertise de qualité si nous ne voulons pas que nos réunions de travail soient de simples échanges d'opinions avec un compte rendu des désaccords à la fin… C'est la raison pour laquelle nos groupes de travail sont présidés par un expert qui a une forte reconnaissance académique sur les sujets traités : Harold Levrel, professeur à AgroParisTech et spécialiste mondial des sujets relatifs à la biodiversité, préside le groupe de travail sur la biodiversité ; Stefan Ambec, de la Toulouse School of Economics, spécialiste reconnu sur les sujets relatifs à la politique de l'eau, préside le groupe de travail sur l'eau et l'agriculture. Quant au groupe de travail sur l'artificialisation des sols, il est présidé par Philippe Billet, spécialiste reconnu en droit de l'urbanisme. Le groupe de travail sur les financements, en revanche, n'a toujours pas de président : après la conférence bancaire et financière, les relations entre les experts étaient tellement tendues que l'on n'a pas réussi à trouver une personnalité qui fasse consensus, sans doute parce que le sujet était plus nouveau. Pour le moment, c'est moi qui me retrouve à assumer ce rôle… J'espère bien que les choses vont s'apaiser et progresser.

Quelques mots rapides sur le contenu de nos avis. Nous sommes convaincus que l'artificialisation des sols est un sujet très important qui nécessite une panoplie d'instruments complète. Nous rencontrons souvent des problèmes sur les sujets que nous traitons. Lorsque les acteurs proches du monde écologique parlent d'artificialisation des sols, les gens pensent souvent que l'on ne veut plus construire. Il nous a fallu procéder à tout un travail de pédagogie pour faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'empêcher de construire mais de construire là où c'est nécessaire et en ayant mesuré les conséquences.

Notre avis est assez modeste puisqu'il se limite à demander que le thème de l'usage des sols soit présent dans les critères du code de l'urbanisme et à proposer de supprimer un certain nombre de dérogations à la taxe d'aménagement, que l'OCDE considère comme autant de subventions dommageables à l'environnement, en tout cas susceptibles d'inciter à l'artificialisation des sols plutôt qu'à la revitalisation des centres-villes par exemple.

S'agissant des produits phytosanitaires, nous avons énoncé un ensemble de lignes directrices qui seront utiles pour mettre au point le contenu des décrets qui seront pris en application de l'ordonnance. L'avis prend le temps d'expliquer quels sont les impacts de l'utilisation des produits phytosanitaires, en sortant des oppositions idéologiques. Il propose un certain nombre de lignes directrices en matière de pénalités ou de délivrance des certificats ; il souligne également la nécessité de poursuivre notre travail sur la redevance pollution. J'ajoute qu'il faut voir les CEPP comme une phase d'expérimentation : le dispositif est à l'évidence appelé à évoluer.

Pour ce qui est de la labellisation des fonds d'investissement verts, notre avis met l'accent sur la qualité de l'information. Si l'on veut que les investisseurs s'intéressent à la transition écologique et à l'investissement vert, il leur faut une information fiable sur le contenu des fonds verts. Mais il n'y aura pas de fonds vert sans label vert. S'ils admettent une certaine perte de rendement de leurs portefeuilles, ils doivent être convaincus qu'ils le font pour une bonne cause et que cette bonne cause est bien réelle.

Nous nous sommes demandé s'il fallait un label exigeant ou au contraire un label large ; en général, on a les deux types. En revanche, il y a des labels militants et d'autres plus généralistes : on le voit déjà dans l'alimentation et l'agriculture. Encore faut-il qu'ils soient crédibles et sérieux : un label n'a d'utilité que s'il permet de fabriquer un marché. S'il n'a aucun contenu, il ne servira à rien. Un label peut contenir beaucoup d'exigences, d'autres moins, mais dans un cas comme dans l'autre, il doit servir à structurer les marchés. Nous donnons des lignes directrices pour qu'ils puissent effectivement jouer ce rôle.

Pour la composante carbone, le parti pris a été de démarrer à un niveau bas par substitution en utilisant les instruments existants, puis de créer un instrument à vocation purement incitative et d'en augmenter progressivement le taux en relation avec la mesure des dommages. Dans le domaine de déchets également, l'avis du CFE a été un peu de même nature : nous souhaitons un étage incitatif pour faire évoluer le partage entre l'incitation et le recyclage.

C'est un peu la même chose s'agissant des produits phytosanitaires. Les redevances pollution servent essentiellement à financer les dépenses des agences de bassin ; peut-être faut-il envisager un étage plus incitatif pour modifier le comportement des agriculteurs sans que l'argent passe forcément par les agences de bassin.

En conclusion, nous avons beaucoup d'instruments en France, mais pas de composantes incitatives, sauf exceptions. Peut-être faut-il tirer les leçons de ce qui a été fait pour le carbone et l'appliquer là où il est nécessaire de développer des instruments incitatifs.

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