Intervention de Patrick Ollier

Réunion du 27 octobre 2015 à 21h30
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Ollier, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Je ne peux que me féliciter de voir les crédits en faveur de l'outre-mer relativement épargnés par les coupes budgétaires. L'effort financier consacré par l'État aux territoires ultramarins s'élève à 14,2 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, en augmentation de 3,7 % par rapport à la loi de finances initiale de 2015.

Les crédits de la mission « Outre-mer » sont quant à eux stabilisés. Les autorisations d'engagement sont en baisse de 0,6 %, à 2,08 milliards d'euros, tandis que les crédits de paiement augmentent d'un peu plus de 1 million d'euros par rapport à 2015.

Cette enveloppe permettra de continuer à mettre en oeuvre les interventions essentielles en faveur des populations et du développement économique dans les collectivités ultramarines qui, comme vous le savez, sont fortement fragilisées. Je pense notamment aux actions menées dans le domaine de la formation et de l'insertion des jeunes ultramarins, en réponse au taux de chômage des jeunes qui avoisine, voire dépasse, les 50 % dans certaines collectivités. C'est un remède provisoire qui ne règle pas le mal du chômage ; des solutions plus fortes, passant par le développement économique, doivent être apportées.

Cependant, deux sujets majeurs m'inquiètent au plus haut point. Pour le premier, il est déjà trop tard, puisqu'il s'agit du resserrement des exonérations de charges sociales proposé à l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, adopté par l'Assemblée nationale mercredi dernier, alors que les députés d'outre-mer étaient absents, à l'exception de celui de Saint-Pierre et Miquelon. Mes collègues m'ont beaucoup manqué ce soir-là…

Sur la forme, je regrette que le Gouvernement ait contourné tout risque de débat en inscrivant cette mesure en PLFSS, au lieu de le faire dans le cadre du PLF comme cela était le cas en 2014.

Sur le fond, je considère cette réforme comme dangereuse, car elle creuse encore un peu plus qu'en 2014 l'écart de compétitivité qui existe entre les entreprises métropolitaines et les entreprises ultramarines. Cette mesure permet certes de réaliser une économie de 75 millions d'euros ; mais ce gain dérisoire ne sera pas sans effet pour les entreprises qui emploient les 10 000 salariés qui sortiront du champ des allégements, ni pour celles qui emploient les 41 000 salariés pour lesquels le montant de l'exonération va diminuer – ces chiffres proviennent de l'étude d'impact de l'article. De surcroît, l'effet cumulé des deux baisses successives de 2014 et 2016 est évalué à plus de 180 millions d'euros, soit une baisse de 17 % en deux ans, qui peut être considérée comme significative.

Lorsque nous en avons discuté avec la direction générale de l'outre-mer et le ministre, il m'a été indiqué que la baisse des exonérations de charges sociales en outre-mer était compensée par l'extension du taux de réduction des cotisations d'allocations familiales, prévu à l'article 7 du PLFSS. Mais cette mesure s'applique sans distinction à l'ensemble des entreprises françaises. Je ne suis donc pas du tout d'accord : cette réponse ne me paraît pas satisfaisante. L'intérêt des mesures spécifiques pour l'outre-mer est de soutenir l'emploi dans ces collectivités, et non en métropole. Ce qui est vertueux en métropole n'incite pas forcément à investir outre-mer.

De plus, j'ai été étonné de constater que les positions étaient différentes au sein des deux ministères. Je pense que ce sera réglé ce soir, mais c'est la preuve qu'il ne s'agit pas d'un simple coup de rabot vis-à-vis des outre-mer : c'est plus profond que l'on veut bien le dire.

Quant à la majoration du CICE, sa plus-value sera presque entièrement neutralisée par la baisse des exonérations alors qu'il devait représenter un acquis net pour l'outre-mer. Comment le Gouvernement compte-t-il à ce jour renforcer la compétitivité des entreprises ultramarines face à celles de la métropole, puisque les dispositifs existants sont affaiblis ?

Par ailleurs, pensez-vous que ce dispositif d'exonération de charges sociales, outil essentiel au service de l'emploi en outre-mer, où le taux de chômage est deux fois plus élevé qu'en métropole, mérite d'être assimilé, comme le précise à tort le rapport de l'inspection générale des finances de juin 2015, à une niche sociale indue contre laquelle il faudrait lutter ? J'en reviens toujours au problème des vertueux de la doctrine budgétaire face à ceux qui veulent faire de l'aménagement du territoire. Là encore, nous retrouvons une constante dans l'orthodoxie budgétaire contre laquelle nous sommes un certain nombre à lutter.

Mon deuxième sujet d'inquiétude est la fixation dans ce PLF d'un terme au 31 décembre 2018 pour l'ensemble des mesures de défiscalisation et les deux nouveaux crédits d'impôt mis en oeuvre depuis quelques mois.

Je sais que la défiscalisation, comme les exonérations, subit les foudres de ceux que je viens de qualifier de défenseurs vertueux de l'orthodoxie budgétaire. C'est pourquoi, comme je le demande depuis trois ans, il est essentiel d'encadrer les pratiques par une réglementation plus stricte, pour le droit commun mais aussi pour les cabinets de défiscalisation, afin de ne pas délégitimer l'ensemble du système à cause d'une minorité de déviants. Je me suis attelé à cette tâche, et des dispositifs sont désormais inscrits dans la loi. Mais ils ne sont que très partiellement appliqués, à l'instar de la charte de déontologie que le Gouvernement tarde à concrétiser et que je demande personnellement depuis trois ans.

J'ai effectué il y a deux semaines un contrôle sur pièces et sur place au bureau des agréments au titre des pouvoirs de contrôle du rapporteur spécial, afin de vérifier les procédures d'instruction mises en oeuvre par l'administration, sur lesquelles de nombreux doutes pesaient du fait des délais rallongés pour obtenir l'agrément. J'ai découvert un service en sous-effectif – huit temps pleins pour l'instruction non-exclusive de 211 dossiers au moment du contrôle. Ce sont des gens de qualité qui font un travail sérieux, et je reconnais que c'est une charge difficile pour seulement huit personnes à temps plein. Ce bureau doit améliorer la transparence et la communication de ses procédures, c'est aussi très important, mais son efficacité quant au contrôle de l'utilisation des deniers publics ne peut être remise en cause. Le processus d'agrément est perfectible, sauf si on veut le démanteler – ce que je n'espère pas – il s'agit d'un chantier important dans les années à venir, mais le préalable à toute réflexion est la pérennisation de la défiscalisation.

J'ai également réalisé début septembre un déplacement en Nouvelle-Calédonie. J'ai pu y constater une fois de plus, sur le terrain, l'efficacité économique de ces dispositifs que je défends depuis que je suis rapporteur spécial, en matière de logement social comme d'investissements productifs. Cela est d'autant plus prégnant dans nos collectivités du Pacifique qu'elles ne bénéficient d'aucun autre mode de soutien.

On m'a également alerté du fait que le terme de 2017 compromettait d'ores et déjà de nombreux projets, parce que les délais d'instruction sont tels qu'il n'y a plus d'intérêt à présenter des projets lourds, puisque le dispositif devrait s'arrêter dans un an et demi. C'est notamment le cas dans les secteurs de l'investissement productif, pour lequel les délais d'agrément et de mise en oeuvre sont plus longs. La prorogation d'un an proposée à l'article 43, assortie par ailleurs de nombreuses conditions difficilement tenables, n'y changera rien. À ce jour, les investissements soutenus par la défiscalisation sont en chute libre : - 20 % en deux ans pour l'investissement productif. Je déposerai donc plusieurs amendements lors de la discussion des articles non rattachés afin de proroger l'ensemble de ces dispositifs jusqu'en 2025 ; j'espère que vous serez nombreux, mes chers collègues, à soutenir cette initiative…

Madame la ministre, quelle alternative propose le Gouvernement après 2018 à la défiscalisation et au crédit d'impôt, pour soutenir l'aménagement du territoire, le développement économique et la création d'emplois outre-mer à hauteur de près de 850 millions d'euros – coût cumulé des sommes consacrées aux principaux dispositifs de défiscalisation en 2015 ?

J'avoue être satisfait de l'ensemble du budget, sauf sur ce sujet précis. S'il n'y a pas de réponse positive pendant notre débat, je me verrai obliger de donner un avis défavorable à ce budget. Mais j'espère que je n'aurai pas à le faire ; la nuit est à nous !

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