Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 17 novembre 2015 à 15h00
Dématérialisation du journal officiel de la république française — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner une proposition de loi et une proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française.

Selon l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi », et la loi qu’ autrefois on annonçait avec tambours et trompettes est aujourd’hui portée à la connaissance des citoyens par sa publication via le Journal officiel de la République française, à la fois dans sa version papier et sous forme numérique. Pourquoi changer cela ?

L’emprise des nouvelles technologies de l’information et de la communication pousse à la publication de certains actes administratifs sous la seule forme numérique. L’objectif de ces propositions de loi est de permettre l’extension de cette faculté à tous les textes, y compris législatifs, de façon à ce qu’on dispose de la seule publication sous format électronique, ce qui nous interpelle.

Vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, les arguments avancés par nos collègues sénateurs : simplifier et rationaliser la dépense publique – même si vous avez insisté pour dire que ce n’était pas là la motivation principale – et favoriser le développement durable.

Pour ce service comme pour bon nombre d’administrations, il est aujourd’hui un seul mot d’ordre, un seul leitmotiv : dématérialiser !

Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous ayez travaillé en concertation avec les syndicats de la direction de l’information légale et administrative, la DILA. Je sais aussi que plus de 85 % des personnes interrogées dans le cadre d’un certain sondage sont favorables à la dématérialisation, par exemple de la feuille d’imposition ou du BO. Il faut cependant préciser, mes chers collègues que ce sondage a été réalisé exclusivement via l’Internet. Qu’en est-il de l’avis de tous les autres, ceux qui n’ont pas accès à l’Internet ou ceux qui souhaitent le maintien des deux formats ?

Au-delà des avantages indéniables, qui ont été rappelés, tels que la vitesse ou la gratuité, j’aimerais que vous nous disiez sur quelle étude d’impact vous vous appuyez pour défendre ces objectifs.

En outre, le bénéfice de cette mesure devrait être de 400 000 euros sur une dépense d’un million. Même s’il n’y a pas de petites économies, ce n’est pas l’argument primordial. Avez-vous pris en compte le coût de la sécurisation, point crucial à l’heure de l’espionnage informatique – même si vous avez vanté le système de sécurité CAPTCHA, pour completely automated public turing test to tell computers and humans apart, et même si toutes les informations personnelles ne seront pas incluses – mais, aussi, du stockage et de la gestion des données ? Avez-vous considéré les coûts de formation du personnel spécialisé ?

Enfin, madame la secrétaire d’État, vous assurez que le bilan carbone sera meilleur avec une économie de 660 tonnes de C02. D’où tirez-vous ce chiffre ? Arrêtons d’incriminer encore et toujours le format papier ! Le papier a sept vies ! Il est issu de la forêt durable ! Un mail accompagné d’une pièce jointe équivaut à une dépense de 25 watts par heure selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. En une heure ce sont plus de dix milliards de courriels qui sont envoyés, soit une dépense énergétique équivalente à 4 000 tonnes de pétrole ! En 2011 en France, on a échangé 60 000 mails par heure. Alors que la COP 21 se profile, nous devons intégrer l’ensemble de ces données.

Qu’on prenne garde dans cette fureur de dématérialisation à ne pas enlever de la matière aux relations humaines. De notre point de vue, il faut renforcer la démocratie et non l’affaiblir encore davantage. Comme l’a dit l’excellent rapporteur en faisant allusion à Portalis, à l’heure où il est nécessaire que nos concitoyens se réapproprient la loi, il ne faudrait pas les en éloigner. Certes, il faudrait légiférer moins, mieux, simplifier les textes mais il faudrait aussi multiplier et renforcer tous les moyens d’information et de sensibilisation, au lieu de faire l’inverse.

Même si cela ne vous concerne pas, madame la secrétaire d’État, mon collègue Jean-Pierre Maggi et moi-même sommes également interpellés par les projets envisagés de suppression de la propagande électorale sous format papier pour les échéances de 2017. Je n’ignore rien des difficultés budgétaires de notre pays mais, là encore, l’objectif que nous devrions tout faire pour susciter l’intérêt de nos concitoyens pour la chose publique. Je n’ignore rien non plus de leur état d’esprit. Notre démocratie a besoin d’être renforcée et non affaiblie comme cela serait le cas si ces propositions devaient aboutir.

Alexandre Dumas écrivait dans La Tulipe noire : « Le terrible des mauvaises idées c’est que peu à peu les mauvais esprits se familiarisent avec elles. » C’est le cas des idées de haine, mais c’est aussi peut-être le cas de cette idée de dématérialisation.

Je suis navré de ne pas proclamer le « Un pour tous, tous pour un » des mousquetaires, madame la secrétaire d’État, car nous aurions aimé vous accompagner, mais vous comprendrez que le groupe Radical, Républicain, Démocrate et Progressiste, une fois n’est pas coutume, s’abstiendra.

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