Intervention de Olivier Falorni

Séance en hémicycle du 17 novembre 2015 à 15h00
Manutention dans les ports maritimes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans le contexte de souffrance et de tragédie que nous connaissons, notre réponse face au terrorisme passe aussi par la poursuite de l’examen et le vote des textes législatifs pour moderniser notre droit. Tout stopper reviendrait à capituler.

Cette proposition de loi relative aux dockers est l’aboutissement d’un travail assidu et consensuel.

L’accord obtenu en commission mixte paritaire le démontre et les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste s’en félicitent.

Des voix se sont élevées pour regretter l’absence d’étude d’impact, nous les comprenons car elle aurait été utile. Mais cet argument se retourne contre le Parlement et aboutit à se lier les mains puisqu’une étude d’impact accompagne uniquement les projets de loi. Cela revient à dire que les initiatives parlementaires ne valent que dans les domaines où l’étude d’impact n’est pas utile, soit quasiment aucun.

De surcroît, la proposition de loi reprend les propositions du groupe de travail dirigé par Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque.

Dans ce groupe de travail, toutes les parties prenantes de la question de la manutention dans les ports maritimes ont activement participé à la recherche de solutions pérennes, dans une volonté d’échanges féconds. Ils ont été accompagnés par des experts compétents et indépendants.

Ce travail a permis de montrer les points de consensus entre les acteurs portuaires. Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, tiennent d’ailleurs à saluer ce processus de concertation. C’est un bon exemple de démocratie participative, un bon exemple de consultation réussie, en préalable du processus législatif stricto sensu.

Cela dit, aussi utile que fut cette consultation pour parvenir à transcrire dans la loi des équilibres parfois subtils, et aussi précieux que peut être un assentiment général pour bâtir un texte de loi efficace et pragmatique, le temps du Parlement reste le plus important car le plus légitime.

Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sont partisans de l’écoute des corps intermédiaires, monsieur le secrétaire d’État. Si nous avons même de l’affection pour la démocratie collaborative, nous conservons un grand respect pour la légitimité de la démocratie représentative.

Certes, nous devrions en repenser le modèle, j’en conviens volontiers, mais prenons garde à ne pas réduire l’examen au Parlement à une réunion supplémentaire du groupe de travail mis en place. C’est le Parlement qui fixe de façon définitive la législation des conditions d’emploi des dockers.

Le texte issu de la commission mixte paritaire reprend la rédaction des travaux de l’Assemblée nationale. Les sénateurs enrichissent souvent avec beaucoup de pertinence et de justesse les textes, mais en l’espèce, ils ont privilégié la productivité maximale des ports au détriment des avancées obtenues pour harmoniser le cadre juridique du travail de manutention dans les ports.

La proposition poursuit en effet trois objectifs : ajuster l’encadrement juridique de la manutention dans les ports au vieillissement des dockers qui ont encore un statut d’intermittent, clarifier le champ d’intervention des dockers dans le port, donner une traduction législative aux propositions émises par le consensus des parties prenantes.

Il ne s’agit pas de faire une législation d’exception pour une profession, mais bien d’adapter le droit à des conditions d’emploi spécifiques.

Dans les ports il existe une ressource humaine exerçant de nombreux métiers, opérant pour des employeurs et sous des statuts très variés. Ces métiers eux-mêmes ne sont pas toujours bien délimités et se transforment au gré des évolutions technologiques, économiques et juridiques.

C’est le cas des dockers. Ces ouvriers travaillent dans les ports de marchandises. Ils sont chargés d’approvisionner les navires, de préparer le matériel nécessaire aux opérations de chargement, de guider les conducteurs et d’effectuer le déplacement des caisses et des colis, à la force de leurs bras. Ce métier requiert des compétences très particulières. Un docker doit faire preuve d’une bonne résistance physique, d’une concentration et d’une précision élevées, de capacités techniques et mécaniques, mais aussi de ponctualité et de rapidité car certains chargements ou déchargements obéissent à des contraintes exigeantes en termes de délai.

Ce n’est pas un hasard si, dans l’immense majorité des pays du monde, depuis l’Ancien régime, ce métier est régi par des normes spécifiques.

L’enjeu est de bénéficier d’une main-d’oeuvre stable, avec une gestion adaptée aux fortes fluctuations de l’activité portuaire. Il faut concilier les deux impératifs de stabilité et de flexibilité.

En France, aujourd’hui, le droit social applicable aux dockers ne résulte pas d’un dispositif unique. Il ressemble plutôt à une forme de syncrétisme, un enchevêtrement de statuts élaborés par des législations successives, d’époques et d’inspirations différentes. Les dispositions législatives relatives à la manutention portuaire ont connu un point d’ancrage avec la loi de 1947 qui a créé une carte professionnelle et instauré une gestion de l’intermittence : en contrepartie de la fluctuation de l’activité, une priorité d’embauche fut mise en place.

Pour les périodes d’intenses suractivités ponctuelles, les employeurs pouvaient recourir à des dockers « occasionnels », c’est-à-dire des dockers non professionnels. Ces derniers avaient moins de contraintes et moins de garanties.

Ainsi, pour les tâches à réaliser dans le port, il découlait de cette organisation que les dockers professionnels intermittents bénéficiaient d’une priorité d’emploi sur les dockers occasionnels, eux-mêmes bénéficiant d’une priorité d’emploi sur les autres personnels.

Depuis 1947, l’évolution des méthodes de travail et la modernisation des techniques a progressivement rendu désuète l’intermittence. Ainsi, il y a plus de vingt ans, en 1992, la loi dite Le Drian a encouragé la mensualisation avec la priorisation de l’emploi en CDI, en laissant aux dockers préférant le régime de l’intermittence la possibilité de le conserver.

Compte tenu des évolutions démographiques, il reste aujourd’hui moins de soixante-dix dockers intermittents en activité en France et ce régime est appelé à s’éteindre prochainement.

Mais le droit positif comporte aussi un certain nombre d’ambiguïtés. Elles furent à l’origine d’un conflit qui eut lieu en 2013 à Port-la-Nouvelle, dans la belle région chère aux radicaux qu’on pourrait appeler prochainement le Languedoc-Pyrénées. C’est d’ailleurs à la suite de ce conflit que fut mis en place le groupe de travail avec les acteurs du secteur.

Ne nous méprenons pas : Port-La-Nouvelle n’est pas qu’un prétexte pour écrire un texte. C’est aussi un signal d’alarme pour tous les ports français, afin d’apporter une réponse complète avec une réforme globale.

Le texte de l’Assemblée est basé sur un consensus précieux entre le patronat et les syndicats. Nous devions clarifier et conforter le statut social des dockers ainsi que leurs conditions d’emploi pour éliminer les ambiguïtés rédactionnelles, dans la perspective de la fin de l’intermittence.

Le texte que nous allons adopter permettra de sécuriser juridiquement le régime de priorité d’embauche et la pérennisation de l’emploi des dockers professionnels. Le régime de priorité d’emploi des dockers est clarifié par la rédaction de l’article 3 alinéa 1 : « Les employeurs […] recrutent en priorité les ouvriers dockers professionnels mensualisés parmi les ouvriers dockers professionnels intermittents, puis parmi les ouvriers dockers occasionnels […]. »

Ensuite, le périmètre de la priorité d’emploi des dockers devait aussi être clarifié, compte tenu du maintien dans le cadre des transports des notions de « poste public » et de « lien à usage public », devenues largement obsolètes.

Deux principes sont retenus. Tout d’abord, la priorité d’emploi doit être proportionnelle aux objectifs poursuivis de sécurité des biens et des personnes et elle s’applique donc pour les travaux où les risques sont les plus importants. Par ailleurs, elle ne peut s’imposer aux titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, le plus souvent des industriels, dont les besoins de manutention sont liés à l’exploitation même de leur activité.

Enfin, les différentes catégories de dockers sont redéfinies, en référence à la nature de la relation avec leur employeur. L’alinéa 2 de l’article 3 le précise : « Les ouvriers dockers professionnels mensualisés sont les ouvriers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire […] concluent avec une entreprise ou un groupement d’entreprises, un contrat de travail à durée indéterminée. "

Lors de l’examen du texte, des amendements rédactionnels ont été adoptés, notamment un amendement portant la création d’un rapport sur la mise en oeuvre de la charte nationale dans le domaine des relations sociales, dans la manutention portuaire, une innovation juridique et pratique prévue par l’article 6. Ce rapport apparaît utile pour évaluer précisément, et si besoin améliorer, la rédaction et le fonctionnement de la charte.

Au final, compte tenu des tensions et des relations sociales complexes dans certains ports, la proposition de loi nous semble équilibrée. Elle apporte des garanties robustes pour apaiser le climat social et favoriser la compétitivité. En effet, plusieurs ports maritimes français souffrent de la crise économique. Les clarifications juridiques de ce texte étaient nécessaires, elles vont renforcer leur attractivité.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez compter sur le soutien des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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