Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 18 novembre 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Présentation

Laurence Rossignol, secrétaire d’état chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie :

À partir de ce socle fondateur ont été définies les trois grandes orientations de la réforme : mieux tenir compte des besoins de l’enfant, pour soutenir sa réussite et garantir la cohérence de son parcours ; améliorer le repérage et le suivi des situations de maltraitance ; enfin, développer la prévention à tous les âges de l’enfance.

Ces orientations traduisent des intentions partagées, mais elles doivent s’appuyer sur des mesures qui accompagneront les évolutions souhaitées, guideront les professionnels et permettront que ces intentions se traduisent effectivement sur le terrain. En effet, identifier les dysfonctionnements et poser de grands objectifs, cela ne suffit pas à modifier durablement les pratiques. J’ai donc pris des mesures afin de renforcer la gouvernance de la protection de l’enfance – question sur laquelle le travail interministériel devra être exemplaire –, adapter la formation aux besoins des équipes et des cadres, et développer la recherche et la diffusion des connaissances.

La feuille de route, c’est évidemment accompagner les professionnels dans l’évolution de leurs pratiques, mais c’est aussi faire évoluer la loi quand cela s’avère nécessaire. Le texte dont nous débattons aujourd’hui est l’assise législative de la réforme que je mène.

La loi est un outil, lorsqu’il s’agit d’améliorer les dispositions existantes, de mieux encadrer les visites médiatisées, de clarifier les conditions de saisine de l’autorité judiciaire ou de désigner un médecin référent dans chaque département.

La loi est un message, elle affirme des principes lorsqu’il s’agit d’inscrire dans le code de l’action sociale et des familles la prise en compte des besoins de l’enfant comme le coeur de la protection de l’enfance. Elle est le reflet de la société que nous avons l’ambition de construire.

La loi dessine enfin le contour de l’action, les responsabilités de chacun dans la mise en oeuvre de ce dessein commun. La protection de l’enfance relève, en termes de compétences, de financement, de mise en oeuvre, des conseils départementaux mais, lorsqu’il s’agit de garantir à chaque enfant la même protection sur l’ensemble du territoire, de lui garantir le bien-grandir, l’épanouissement, la place qu’il construit petit à petit, c’est aussi une mission de l’État, une mission régalienne. C’est bien l’État qui est garant au plan national et international de la protection de l’enfance.

Les actions de l’État et des départements ne sont pas concurrentes, elles sont complémentaires. Elles se renforcent dans le cadre d’un travail partenarial. Les départements sont les principaux acteurs de la protection de l’enfance. C’est pourquoi je les ai d’emblée associés au travail que j’ai engagé, et je regrette qu’à certains moments de la navette parlementaire, prérogatives départementales et prérogatives étatiques aient pu être opposées et que cette opposition se soit traduite par l’adoption au Sénat d’amendements de suppression de dispositions que vous aviez adoptées.

Sous l’impulsion de Mme la rapporteure, dont je salue le travail, de même que celui des membres de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, ont été réintroduites de nombreuses dispositions supprimées au Sénat, que le Gouvernement a également soutenues.

Parmi ces dispositions, il y a, à l’article 1er, une instance nationale de pilotage de la protection de l’enfance à la fois opérationnelle et interministérielle. Le Conseil national de protection de l’enfance, le CNPE, permettra d’organiser le lien entre les différents champs professionnels et de donner une véritable impulsion à la politique publique de protection de l’enfance. C’est une attente forte des acteurs de la protection de l’enfance.

La commission a également souhaité réintroduire, dans leurs formes initiales, les mesures de soutien aux jeunes majeurs.

Tous les anciens de l’aide sociale à l’enfance que j’ai rencontrés dans le cadre de la concertation me l’ont dit, le moment le plus difficile, le plus brutal, c’est la sortie du dispositif parce qu’on a 18, 19, 20 ou 21 ans. Du jour au lendemain, ces enfants, ces jeunes adultes dont le parcours a déjà été émaillé de ruptures se retrouvent désemparés, souvent isolés et, parfois même, à la rue, sans ressources, sans toit.

Accompagner ce moment charnière de leur parcours, c’est le sens des dispositions que j’ai souhaité introduire dès la première lecture à l’Assemblée nationale et dont nous avons déjà discuté. Je vous sais majoritairement convaincus de leur bien-fondé, puisque vous les avez adoptées alors et que vous l’avez fait à nouveau en commission : il s’agit d’abord de la possibilité pour les jeunes, selon le souhait du Président de la République, d’être accompagnés au-delà de la mesure de protection afin de leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire en cours, ce qui est bien le moins ; et ensuite du versement de l’allocation de rentrée scolaire non pas au département, comme l’aurait souhaité le Sénat, mais au jeune, directement, afin qu’il puisse bénéficier d’un petit pécule à lui, qui soit une aide dans les premières démarches de sa vie d’adulte, mais aussi le symbole de la confiance et de l’attention que lui portent, au moment si particulier et symbolique de l’entrée dans la vie d’adulte, les institutions qui l’ont soutenu enfant.

J’ai reçu cette semaine à mon cabinet le témoignage d’une mère de famille qui accueille chez elle une amie de sa fille parce que, à 18 ans, celle-ci s’est retrouvée à la rue en sortant de l’ASE. Je vous en livre deux phrases. « Cette jeune fille est désespérée, disant qu’elle n’est rien, qu’elle n’existe pas ! » « Avez-vous des solutions pour que cette jeune fille ait une petite ressource ? » Ce que nous dit ce témoignage, c’est que les postures doivent savoir s’effacer devant les réalités.

Ainsi, ces mesures viendront conforter l’action que porte la proposition de loi en faveur de l’accompagnement des jeunes majeurs et dont le principe fait consensus. Je pense notamment à la construction systématique, avec le jeune, d’un projet d’accès à l’autonomie ou au travail de coordination conclu par les préfets et les présidents de conseil départemental, avec le concours des acteurs de la cohésion sociale, de la santé, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, pour favoriser l’autonomie des jeunes de l’ASE.

Le décloisonnement, la mise en place d’espaces permettant d’échanger des informations, de s’enrichir de l’expérience et du regard d’autres professionnels, le tout dans l’intérêt de l’enfant, constituent certainement l’une des avancées majeures de la réforme de la protection de l’enfance.

Les députés de la commission des affaires sociales l’ont bien compris quand ils ont soutenu le rétablissement dans le texte des commissions pluridisciplinaires et pluri-institutionnelles chargées de l’examen régulier des situations des enfants les plus vulnérables.

À quelques jours de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, je voudrais saluer la détermination de la délégation aux droits des femmes et de sa présidente lorsque les droits des enfants et les droits des femmes se répondent directement. Renforcer la lutte contre la maltraitance, c’est aussi continuer de sensibiliser les professionnels et le grand public au fait que l’enfant témoin de violences intrafamiliales ou conjugales est aussi une victime de ces violences.

Il n’est jamais inutile de rappeler que l’aide sociale à l’enfance ne limite pas son action au placement d’enfants maltraités par des parents violents. L’aide sociale à l’enfance, ce sont aussi des enfants oubliés, carencés, ce sont des parents en difficulté, parfois même dépassés, hospitalisés, qui, à un moment de leur vie, ont besoin d’être aidés pour assumer leurs responsabilités éducatives.

Bien sûr, les mesures de l’aide sociale à l’enfance se mettent en place pour protéger les enfants avant tout, mais la protection des enfants n’empêche pas, au contraire, d’accompagner aussi les parents, en les conseillant, en les aiguillant, en les écoutant, parfois aussi en les déculpabilisant. Il n’est pas facile d’être parent aujourd’hui, entre une parentalité que l’on n’interroge pas parce que, génération après génération, on a toujours élevé des enfants, et c’est donc tellement simple, et une parentalité que l’on interroge trop devant la multitude d’injonctions contradictoires.

On ne peut pas défendre le meilleur intérêt de l’enfant sans envisager son environnement immédiat, celles et ceux qui l’entourent, les relations humaines qu’il a déjà construites, ses affects, ses repères. L’enfant, âge à part, n’est pas un monde à part.

C’est pourquoi la prévention s’est rapidement imposée comme une priorité de la feuille de route. Vous la retrouvez aussi dans ce texte, dans les mesures qu’a soutenues le Gouvernement en première lecture à l’Assemblée nationale, en positionnant clairement dans le code de la santé publique l’entretien prénatal précoce comme un temps dédié à la prévention, ou encore en favorisant la création de centres parentaux, parce que défendre le meilleur intérêt de l’enfant, c’est aussi faire de la protection de l’enfance une politique publique qui ne soit plus stigmatisante.

Envisager l’enfant dans son environnement, c’est enfin prendre appui, quand l’intérêt de l’enfant le demande, sur les ressources qui existent à proximité, quitte à parfois sortir des sentiers battus, des logiques institutionnelles. C’est en ce sens que nous avons fait évoluer la définition du projet pour l’enfant, que j’ai voulu inscrire le parrainage, les solidarités de proximité, la prévention par les pairs comme de véritables mesures de prévention.

Placer l’enfant au centre, croiser et enrichir les approches et les interventions, envisager l’enfant dans son parcours et son environnement, repenser les solidarités : nous inscrivons par cette réforme l’innovation au sein de nos politiques sociales. Placer l’enfant au centre, ce n’est pas réformer la protection de l’enfance, c’est construire une véritable politique de l’enfance.

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