Intervention de Bruno Nestor Azerot

Séance en hémicycle du 18 novembre 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Nestor Azerot :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, les fortes inégalités territoriales qui caractérisent la mise en oeuvre de la politique de protection de l’enfance sur le territoire national rendent indispensable une évolution du dispositif de la protection de l’enfance.

En 2013, la cellule de prévention et de protection de l’enfance en Martinique a reçu plus de 2 000 signalements d’enfants en danger. Sur tout le territoire national, les enquêtes les plus récentes de l’Observatoire de l’action décentralisée font état de plus de 100 000 signalements. En Martinique encore, ce sont 1 200 mineurs et jeunes majeurs qui ont été suivis par l’aide sociale à l’enfance.

Dans cette perspective, la proposition de loi que nous examinons en deuxième lecture modifie certaines pratiques et certains principes qui guident aujourd’hui l’action des services départementaux, des juges et de l’ensemble des acteurs intervenant dans ce domaine. Nous soutenons cette réforme car nous pensons qu’il est urgent de donner une cohérence nationale à la politique de protection de l’enfance.

Depuis son adoption en première lecture au Sénat, à l’unanimité, ce texte a beaucoup évolué. Si les modifications adoptées après son examen en première lecture dans notre assemblée ont permis de l’enrichir, les travaux du Sénat en deuxième lecture ont malheureusement abouti à la suppression de plusieurs dispositions importantes. Je pense en particulier aux articles 5 EA et 5 ED qui prévoyaient respectivement un accompagnement des jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance pour leur permettre de terminer leur année scolaire ou universitaire, et la constitution d’un pécule.

Je pense également à la suppression de l’article 7, qui prévoyait un examen annuel du projet pour l’enfant par une commission pluridisciplinaire, ainsi qu’à la suppression des dispositions de l’article ler relatives au Conseil national de la protection de l’enfance.

Il est particulièrement regrettable que ces modifications aient été motivées par des considérations d’ordre économique, au détriment de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant.

De manière générale, le débat au Sénat en deuxième lecture s’est focalisé sur la question de l’insuffisance des moyens financiers des collectivités territoriales. Cette réalité, que nous n’avons de cesse de dénoncer, ne saurait justifier de renoncer à améliorer les dispositifs de protection de l’enfance. Après les reculs du Sénat, nous nous réjouissons que la commission des affaires sociales de notre assemblée ait rétabli un certain nombre d’articles votés en première lecture. Plusieurs dispositions amélioreront en effet le système de protection de l’enfance dans son ensemble.

Tout d’abord, nous nous réjouissons que la commission des affaires sociales ait rétabli l’article 1er du texte, qui propose de créer, auprès du Premier ministre, un Conseil national de la protection de l’enfance – CNPE. La création de cette instance de pilotage interministérielle de la politique de protection de l’enfance répond à la nécessité d’améliorer la coordination entre les différents acteurs ainsi qu’entre l’échelon local et l’action de l’État. Elle permettra de donner une impulsion nationale à la protection de l’enfance et d’améliorer l’évaluation des orientations ainsi définies.

De même, au regard de l’insuffisance de la formation des professionnels de la protection de l’enfance, nous sommes favorables à l’article 2, qui permettra utilement de parfaire cette dernière. La qualité et l’exhaustivité des formations dispensées, l’effectivité de leur suivi et l’octroi de moyens humains et matériels suffisants sont autant de conditions à la réussite de ce dispositif.

Par ailleurs, la désignation d’un médecin référent prévu à l’article 4 est également une mesure nécessaire, afin d’améliorer la détection des enfants en danger du fait d’actes de maltraitance.

S’agissant des dispositions relatives à la sécurisation du parcours des enfants placés, nous relevons plusieurs améliorations notables. Le renforcement du projet pour l’enfant – PPE – nous semble indispensable car cette obligation prévue par la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance n’est toujours pas appliquée par l’ensemble des départements. Le texte prévoit, dans son article 6, que le PPE définit les modalités selon lesquelles les actes usuels de l’autorité parentale sont exercés par la personne physique ou morale qui accueille l’enfant. Les titulaires de l’autorité parentale sont tenus informés de cet exercice selon des modalités qui sont également précisées par le PPE.

S’agissant de la gestion de la vie des enfants placés, cette disposition permettra de lever les difficultés, notamment scolaires, en particulier lorsqu’une demande urgente et simple est formulée pour des actes ne mettant pas en cause les attributs de l’autorité parentale, telle une demande de voyage ou de sortie scolaires.

Notons toutefois que le Défenseur des droits appelle à la vigilance pour que cette disposition « ne se traduise pas par une déresponsabilisation des familles et une rupture du lien lorsque celui-ci est possible ». De même, nous partageons la volonté de mieux encadrer les changements de famille d’accueil et d’éviter les ruptures répétées dans la vie des enfants placés. Nous sommes satisfaits que la proposition de loi insiste désormais sur l’importance de veiller au regroupement des fratries, ce qui constitue, comme le souligne le Défenseur des droits dans son avis no 14-l1 du 27 novembre 2014, « un facteur de stabilité dans la vie de l’enfant placé ».

La problématique des jeunes majeurs qui sortent des dispositifs de protection de l’enfance sans parvenir à s’insérer socialement et professionnellement était absente de la proposition de loi initiale. Or de nombreux jeunes sont perdus de vue dès l’âge de 18 ans, parce qu’ils ne font pas auprès du département les démarches nécessaires pour continuer à bénéficier d’une aide – argent, logement, voire accompagnement – et se retrouvent en situation d’extrême fragilité. Selon une étude de l’Institut national d’études démographiques, 34 % des moins de 30 ans qui vivent dans la rue en Île-de-France avaient précédemment été pris en charge par les services de protection de l’enfance.

Nous nous réjouissons donc que le texte ait acté plusieurs mesures visant à encadrer la sortie de ces jeunes majeurs. L’allocation de rentrée scolaire – ARS –, habituellement versée aux parents, sera placée sur un compte bloqué afin que ses bénéficiaires la perçoivent à leur majorité. De même, un accompagnement sera systématiquement proposé aux jeunes majeurs.

Nous regrettons en revanche que la prise en charge des mineurs isolés étrangers ne soit pas traitée dans le texte. Ces enfants particulièrement vulnérables doivent bénéficier de la protection prévue par les dispositions nationales et internationales, indépendamment de leur situation au regard des règles de séjour. En effet, comme le souligne le Défenseur des droits, un mineur seul et étranger arrivant en France, sans représentant légal sur le territoire, sans proche pour l’accueillir, est, par définition, un enfant en danger : il doit relever à ce titre du dispositif de la protection de l’enfance.

À cet égard, nous ne pouvons accepter la possibilité – quand bien même elle serait encadrée – d’évaluer l’âge de ces enfants à partir de tests osseux, dont la fiabilité est remise en cause par la communauté scientifique et dont les conséquences sont potentiellement désastreuses pour les enfants. C’est la raison pour laquelle nous proposons, avec d’autres députés, d’interdire tout examen médical aux fins de déterminer l’âge d’un individu.

S’agissant de l’article 22 qui crée une qualification pénale de l’inceste, nous avons déjà exposé nos réserves en première lecture et réitérons nos regrets qu’il n’y ait pas eu à ce sujet, en particulier depuis la censure du Conseil constitutionnel, de réflexion approfondie menée avec les plus éminents spécialistes des très nombreuses disciplines concernées par ces questions pour avancer des propositions efficaces dans la lutte contre l’inceste.

Enfin, nous ne pouvons manquer de souligner le silence de la proposition de loi sur la question des moyens humains et financiers, notamment ceux consacrés à la prévention. Je pense en particulier aux services de la protection maternelle et infantile, qui manquent cruellement de moyens. Or, sans les moyens nécessaires, plusieurs dispositions du texte resteront lettre morte. Surtout, alors que la loi de 2007 a transféré les compétences de la protection de l’enfance aux collectivités territoriales, la réduction drastique de leurs budgets est particulièrement inquiétante et le risque d’accroissement des disparités territoriales, bien réel.

Dans ce contexte, nous aurions souhaité que le texte, à tout le moins, réaffirme le rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement de toutes les familles et de tous les enfants sur le territoire, et d’assurer la cohérence du système.

En définitive, comme en première lecture, nous voterons ce texte, en dépit des limites que j’ai soulignées.

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