Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 18 novembre 2015 à 15h00
Protection de l'enfant — Article 5 ed

Laurence Rossignol, secrétaire d’état chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie :

Nous avons déjà eu cette discussion en première lecture, mais je la reprendrai tout de même brièvement. Cette disposition, qui vise effectivement à doter d’un petit pécule les enfants passés par l’aide sociale à l’enfance, s’explique simplement par le fait que, lorsqu’ils en sortent, ils n’ont rien. Nous ne laissons, quant à nous, aucun de nos enfants de 18, 19 ou 20 ans seul, à la rue, sans un centime, sans avoir de quoi payer ne serait-ce que la caution d’une chambre, passer le permis de conduire ou payer toute autre chose indispensable dans la vie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les jeunes passés l’aide sociale à l’enfance sont surreprésentés parmi les jeunes en errance – 40 % environ des jeunes SDF vivant dans l’errance en sont en effet issus.

Cette disposition est relativement modeste, je vous le concède, car l’allocation de rentrée scolaire est versée à l’âge de l’obligation scolaire : pour un enfant qui aurait passé dix ans auprès de l’aide sociale à l’enfance, le petit pécule s’élèverait donc environ à 3 600 euros – ce qui permet tout de même d’acheter un lit et de payer une caution.

Il est étonnant que l’amendement no 6 soit le seul qui mobilise la totalité du groupe Les Républicains. Il n’est donc pas simplement issu du travail de celles et ceux qui ont suivi le texte et contribué à son élaboration, mais il s’agit d’un amendement politique qui incarne la position du groupe Les Républicains, lequel ne veut pas que nous dotions les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance d’un petit pécule. Il est important de le dire, car cela lui donne une dimension et une qualité différentes de celles des autres amendements.

Je n’aurai pas la cruauté d’insister, mais je ne puis m’empêcher de relever, dans l’exposé sommaire de cet amendement, que « cet article consiste en un dévoiement de l’allocation de rentrée scolaire ». Combien de fois ai-je répondu, au même endroit, à cet argument d’un dévoiement de l’allocation de rentrée scolaire par les parents, qui l’utiliseraient pour acheter des écrans plasma et des enjoliveurs – car chacun sait que les mères des familles monoparentales, qui représentent une grande partie des familles touchant l’allocation de rentrée scolaire, achètent beaucoup d’enjoliveurs ! Voilà donc le deuxième dévoiement d’une allocation souvent décriée déjà comme dévoyée.

Votre position m’étonne, car je ne peux pas croire qu’elle se fonde sur la prise en compte des finances de départements. Ceux-ci sont certes confrontés à des charges lourdes et à des difficultés, mais ce n’est pas à 360 euros près, par an et par enfant, que se jouent leurs budgets ! Le hiatus est donc important entre la mobilisation que suscite cet amendement et la réalité de la somme en jeu.

Il n’est pas évident que des parents dont les enfants sont confiés à l’aide sociale à l’enfance et auxquels le juge n’a pas choisi de maintenir le versement des allocations familiales continuent de bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire.

C’est pour cela que j’ai inventé cette disposition. En effet, il m’a paru juste tant sur le plan moral, dans les rapports entre les institutions et la famille, que sur le plan de l’avenir de l’enfant et de ce que nous lui devons, d’attribuer l’allocation de rentrée scolaire non pas à ses parents, non pas à l’institution, au département, mais au jeune lui-même, en lui versant ce petit pécule d’entrée dans la vie.

Je suis réellement désolée que vous n’acceptiez pas cette mesure de justice sociale et d’innovation sociale. Je vous concède qu’elle est atypique car elle ne suit pas les formes habituelles, à savoir la création d’une dépense supplémentaire que l’on finance par un surcroît de recettes. En l’occurrence, il y a de l’argent, il est quelque part, il est déjà versé par les caisses d’allocations familiales et on l’attribue au jeune.

Cette mesure restera, et je peux d’ores et déjà en apprécier l’accueil chez les anciens de l’ASE que j’ai interrogés sur ce sujet, chez les associations caritatives, qui sont très vigilantes sur le respect du droit des familles, en particulier ATD-Quart Monde, ainsi que chez l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance.

J’émets bien entendu un avis défavorable à votre amendement car je pense que vous avez tort de jouer sur cet amendement le débat sur les finances des départements.

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