Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur :

Je ne reviendrai évidemment pas sur les raisons de notre réunion ni sur les précisions que vient de donner le ministre au sujet du projet de loi. Je chercherai plutôt à répondre aux questions qui ont été posées depuis deux jours par nombre d'entre vous, traduisant, j'imagine, ce que pensent nos concitoyens et ceux qui, à cet instant, regardent les travaux de la commission des Lois.

La première question porte sur le rythme de notre travail : pouvons-nous nous réunir si vite ? L'article 42 de la Constitution, ainsi que l'article 86 du Règlement de l'Assemblée, prévoient des délais précis entre le dépôt d'un projet de loi et sa discussion, et entre la mise à disposition du texte de la commission et son examen en séance. Or ces délais ne sont pas respectés dans le cas présent. Mais l'article 42 de la Constitution prévoit qu'ils ne s'appliquent pas « aux projets relatifs aux états de crise » - or tel est l'objet du projet que nous examinons.

La deuxième question souvent posée est celle de savoir s'il existe des précédents à une procédure aussi rapide. Les étapes de la procédure législative vont effectivement s'enchaîner à grande vitesse : le conseil des ministres a adopté, ce matin, le projet de loi ; la Commission se réunit quatre heures à peine après le dépôt du texte – à savoir dans des délais rarement connus – ; nous nous retrouverons en séance dès demain matin, à neuf heures et demie ; la commission des Lois du Sénat se réunira demain en commission et le débat aura lieu vendredi en séance.

Si ce rythme est soutenu, notre commission, tout comme l'Assemblée, l'a déjà pratiqué. Nombre d'entre vous ont d'ailleurs participé aux travaux de 2005 faisant suite à la proclamation de l'état d'urgence. Le projet de loi prorogeant son application avait été déposé le 14 novembre ; la commission des Lois l'avait examiné au cours de sa séance du mardi 15, au rapport de son président, Philippe Houillon ; le texte avait été débattu en séance publique le jour même, après les questions au Gouvernement ; le Sénat l'avait examiné au cours de la journée du 16 novembre, avant de l'adopter conforme ; enfin, la loi avait été promulguée le 18, et publiée le lendemain.

Pourquoi devons-nous travailler aussi vite ? L'état d'urgence a été déclaré par décret en conseil des ministres à compter du 14 novembre à zéro heure. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par une loi. Cette loi devra donc être publiée, au plus tard, le mercredi 25 novembre. Si l'on tient compte d'un éventuel recours auprès du Conseil constitutionnel, cela implique qu'elle soit adoptée par les deux assemblées avant la fin de la semaine. C'est pourquoi, avec le Gouvernement, que je remercie, ainsi qu'avec Philippe Bas, président de la commission des Lois du Sénat, nous avons travaillé depuis deux jours. Évidemment, notre capacité collective d'amendement est restreinte : le texte que l'Assemblée doit adopter demain doit pouvoir être accepté dans les mêmes termes par le Sénat. Il fallait donc que les rapporteurs des deux assemblées anticipent nos débats et que des rapprochements soient réalisés avec le Gouvernement, afin que nous puissions dessiner une ébauche permettant des ajustements – et vous avez déposé une cinquantaine d'amendements sur certains desquels j'émettrai un avis favorable pour peu qu'ils ne touchent pas à l'équilibre général que vient d'évoquer le ministre.

Dans un tout autre contexte, un tel mode opératoire eût été jugé discutable et j'aurais été le premier à le condamner. Cependant, nul besoin d'insister ici sur le fait que les présentes circonstances exigent une réponse forte et prompte, dont on ne saurait attendre qu'elle s'embarrasse d'un excessif formalisme procédural.

Quels droits allons-nous voter ? Si l'état d'urgence permet de déroger à la légalité ordinaire, pour faire face à une situation particulière, il n'en obéit pas moins à un cadre juridique précis, fixé par la loi du 3 avril 1955. Les mesures applicables depuis le 14 novembre sont celles énumérées à l'article 5 sur la circulation et séjour des personnes, à l'article 6 sur l'assignation à résidence, à l'article 8 sur la fermeture des lieux de réunion, à l'article 9 sur la confiscation des armes, à l'article 10 sur les réquisitions et au 1° de l'article 11 sur les perquisitions administratives.

Ainsi, le texte propose d'actualiser nombre de dispositions dépassées par l'évolution des circonstances du droit et de fait. Il assortit la mesure de perquisition domiciliaire des précisions indispensables pour caractériser sa nature de police administrative, pour mieux définir et mieux encadrer les pouvoirs inhérents à son exécution ; il clarifie et consolide le régime des assignations à domicile en renforçant les voies de recours, pour tenir compte du risque contentieux ; il reprend un dispositif de dissolution des associations ou groupements afin de mieux lutter contre ceux qui pratiquent ou prônent la violence ; enfin, il prévoit diverses mesures de cohérence et de coordination, qu'il nous faudra d'ailleurs compléter.

Il n'y a donc pas de prérogative résolument nouvelle qui serait créée par le présent projet de loi. Les aménagements opérés s'inspirent en effet fortement de dispositifs existants du code de la sécurité intérieure, du code des juridictions administratives ou du code de procédure pénale. Je répète donc, après le ministre, que le principal apport du texte est de compléter les dispositions de la loi existante pour mieux garantir les droits et libertés constitutionnellement protégés.

Pourquoi une prolongation de trois mois ? Cette durée doit permettre aux forces de l'ordre de disposer des outils supplémentaires que l'état d'urgence offre – le ministre vient d'en rappeler la pertinence. Il faut craindre, en effet, que le démantèlement des cellules terroristes à l'oeuvre sur notre sol ne prenne du temps. Les opérations, d'ailleurs, se poursuivent. La perspective que d'autres attentats puissent être perpétrés dans les prochaines semaines ne peut pas, non plus, hélas, être écartée.

Eu égard à la nature de l'attaque dont le pays a été victime et à la persistance des dangers d'agressions terroristes auquel il demeure, en l'état, exposé, la disposition visant à proroger l'état d'urgence de trois mois n'apparaît pas excessive. De plus, un regard sur les précédentes applications en 1985 ou en 2005 permet de placer cette prolongation dans le cadre de références acceptables. Par ailleurs, il est notable de souligner que le projet de loi permet à l'exécutif de mettre fin à l'état d'urgence, avant l'expiration du délai de trois mois, par décret en Conseil des ministres.

Enfin, évidemment, la prolongation de trois mois ne modifie pas la loi de 1955 : si demain nous devions réutiliser ce texte, le Gouvernement ne pourrait engager la procédure que pour douze jours.

Quel sera le rôle du Parlement pendant ces trois mois ? Le projet de loi prévoit, sur le modèle de la loi du 18 novembre 2005, que le Gouvernement rende compte au Parlement en cas de cessation anticipée de l'état d'urgence. Cette disposition pose, plus généralement, la question des modalités d'information des parlementaires pendant la durée de l'état d'urgence. Ce point n'est pas le moindre et je n'ai nul besoin, là encore, d'insister sur l'importance que revêt, pour notre commission, un contrôle étroit et constant du Parlement sur les mesures adoptées et appliquées par l'exécutif en temps de crise, qui, par définition, comportent des limitations des droits et libertés.

Par voie d'amendements, je vais donc vous proposer de conforter le rôle du Parlement comme autorité de contrôle durant toute la durée de l'état d'urgence, et cela avec d'autant plus le souci du détail que le contrôle juridictionnel des mesures prises relève de la compétence du juge administratif. C'est à cette fin que Jean-Frédéric Poisson, vice-président de la commission, a été hier désigné comme co-rapporteur d'application. Il pourra ainsi disposer d'une information non pas seulement générale, mais encore précise des orientations adoptées et des stratégies développées. Nous nous appuierons notamment sur la loi du 18 décembre 2013 portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale qui a allongé la liste des informations pouvant être communiquées en ces domaines aux parlementaires.

L'exercice de cette fonction de contrôle, qui sera peut-être la marque parlementaire de cette crise, rappellera que, pour l'Assemblée, l'état d'urgence doit demeurer exceptionnel, autrement dit perdurer pendant la seule période nécessaire. Dès la publication de la loi, nous arrêtons les modalités de ce contrôle, qui pourraient être l'audition régulière du ministre ou la publication d'un rapport régulier.

Voilà les précisions que je souhaitais porter à votre connaissance.

En conclusion, à mes yeux, le grand mérite du présent projet de loi est d'apporter de nécessaires ajustements au défi majeur qu'il nous incombe de relever, conférant ainsi aux dispositions qu'il contient une forme de légalité exceptionnelle. En effet, outre son caractère provisoire, le cadre juridique qu'il construit respecte pleinement les impératifs de nécessité et de proportionnalité. Évidemment, et cela mérite d'être répété, à lui seul il ne résume pas l'arsenal dont nous disposons pour combattre ceux qui se déchaînent contre nous.

Je vous propose d'ouvrir le débat en invitant chacun à faire preuve de responsabilité et de dignité. Je crois indispensable que la commission montre ce visage de rassemblement et présente au pays, mais aussi à nos agresseurs, l'exemple d'une nation unie.

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