Intervention de Gilbert Collard

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilbert Collard :

Comme l'enseignent tous les professeurs de droit, l'état d'urgence fait partie de l'état de droit. Par rapport à l'arsenal législatif pénal, et surtout de procédure pénale, il présente la particularité de conférer des pouvoirs de contrôle à l'autorité administrative. Le Syndicat de la magistrature s'en est du reste ému et a fait paraître un communiqué par lequel il jugeait scandaleux que l'on puisse retirer à l'imperium judiciaire le droit d'exercer ce contrôle. Pour ma part, j'estime qu'il y a nécessité absolue à recourir à l'état d'urgence et je voterai la prorogation, tout en soulignant que penser qu'une prorogation de trois mois suffira à régler la situation relève d'un optimisme béat.

Pour ce qui est du texte proposé, j'en ai discuté avec des juristes de base ayant une grande expérience de la procédure pénale – des soutiers de la procédure, en quelque sorte. Ils m'ont assuré que tous les instruments figurant dans le texte existaient déjà dans la loi actuelle, qu'il s'agisse du flagrant délit ou des perquisitions ordonnées par un juge selon une procédure simplifiée. Ce qui manque en temps ordinaire, c'est la motivation. Or c'est justement ce qu'apporte l'état d'urgence : dès lors que nous l'aurons voté, un instrument de motivation sera légalement mis à disposition des policiers et des gendarmes qui, avec le concours des militaires, accomplissent un travail formidable.

Ce texte qui a vécu toutes les tempêtes de l'histoire depuis 1955 – en demeurant un texte constitutionnel –, je ne vois pas l'utilité de le modifier. Le maintenir en l'état nous permettrait par ailleurs d'échapper au crible de la question prioritaire de constitutionnalité, qui ne manquera pas d'être posée. Je vois dans la démarche du Gouvernement la preuve d'une surprenante lucidité : ne sommes-nous pas là, quelque part, dans le domaine de l'inconscient des lois ? Cela n'a pas échappé à notre ami Tourret : alors que, jusqu'à présent, étaient visées les personnes « dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics », c'est maintenant le « comportement » des personnes qui est visé. Tout est dit ! Ce qui est pernicieux aujourd'hui, c'est le comportement, et c'est bien la seule utilité de ce texte que d'affirmer que ce qui nous tue, c'est le comportement de certains !

Évidemment, ce texte va être voté. Mais quitte à contrarier Mme Taubira, veillons au moins à ce que les sanctions qui l'accompagnent n'entrent pas dans le champ de la contrainte pénale. À défaut, ce texte n'aura aucune portée, car aucun juge ne pourra l'appliquer ! Si le Gouvernement veut nous doter d'une arme, qu'elle soit débarrassée de l'aspect lénifiant de la contrainte pénale ; ce n'est qu'à cette condition que nous aurons peut-être fait un progrès.

Je conclurai sur les communications en ligne. Dieu sait qu'il faut respecter le pouvoir de la presse, ne serait-ce que pour lui permettre de continuer à dire du mal de nous, ce qui nous fait du bien. En revanche, nous devons tout faire pour empêcher la diffusion de la pensée djihadiste. Cela aussi, c'est de l'ordre du comportement, en l'occurrence un comportement qui veut nous tuer par la pensée, avant peut-être de nous tuer pour de bon.

Je voterai donc la prorogation de l'état d'urgence, mais pour ce qui est des modifications apportées au texte de 1955, je considère que, hormis l'introduction du mot « comportement », elles n'apportent rien qui ne figure déjà dans la loi.

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