Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 19 novembre 2015 à 9h30
Prorogation de l'état d'urgence — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne, Jean-Jacques Rousseau écrivait que « tout État libre où les grandes crises n’ont pas été prévues est, à chaque orage, en danger de péril ». Il faut donc se féliciter que notre droit public ait prévu une réponse adaptée afin de faire face à des situations exceptionnelles. En effet, tour à tour, le constituant, le législateur, le juge ont chacun défini des solutions graduées et proportionnées à la gravité et à la nature même de ces crises. L’état d’urgence est l’une de ces possibilités qui nous permet d’affronter avec cette « détermination froide » évoquée par le Président de la République, le moment particulier, au sens premier du terme, que nous traversons. Aucun d’entre nous n’envisageait, au début de cette législature, d’avoir à le vivre. Aucun d’entre nous n’a été élu en pensant qu’il aurait un jour à se prononcer sur une situation aussi difficile. Et pourtant, aucun d’entre nous n’aura d’hésitation au moment de voter ce texte qui sort radicalement de l’ordinaire.

Monsieur le Premier ministre, vous avez largement évoqué le contenu du projet de loi, ce qui me permet de me concentrer sur les trois points, parmi d’autres, qui ont fait hier soir consensus au sein de la commission des lois et qui ont ainsi construit un cadre provisoire qui respecte pleinement les impératifs de nécessité et de proportionnalité.

En adoptant ce projet de loi, nous nous adaptons à une situation dramatique tout en ménageant les règles habituelles de l’État de droit et les libertés publiques. Si je ne partage pas toujours l’intégralité de leur raisonnement, je suis toujours très sensible à la qualité de la pensée de Mireille Delmas-Marty et de Giorgio Agamben. Tous deux ont révélé la voie périlleuse, ce véritable précipice que les démocraties doivent éviter, à savoir la généralisation de l’état d’exception, qui aboutit à la négation de toute idée de droit, au risque de l’arbitraire.

L’État de droit ne peut pas être une donnée à éclipses. Il n’est pas une situation avec laquelle des accommodements sont possibles. Il est notre seul horizon, il est notre seule règle. Toute entaille qu’on lui infligerait, même si elle venait à satisfaire une émotion endeuillée, finirait par distiller un poison plus puissant, celui de l’arbitraire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion