Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 25 novembre 2015 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, chacun conçoit bien que la question de l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes françaises au-dessus du territoire syrien, sur laquelle nous nous prononcerons tout à l’heure, prend un sens particulier à la lumière des événements tragiques que nous avons vécus au cours des deux dernières semaines et qui ont changé la donne, qu’on le veuille ou non.

La France est en guerre au regard du droit international, et notamment de l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui dispose qu’un État peut recourir à la légitime défense –et donc entrer en guerre – dès lors qu’il fait l’objet d’une agression armée.

La France est en guerre parce que les attaques perpétrées à Paris et Saint-Denis et les projets avortés grâce à l’action de nos forces de sécurité intérieure constituent des actes de guerre préparés, coordonnés, et revendiqués par une armée terroriste qui tente de prendre la forme d’un État. La France est en guerre parce que nous sommes engagés diplomatiquement et militairement dans une lutte durable contre le terrorisme au Mali comme au Sahel et au Moyen-Orient.

Cette guerre est singulière. Elle est menée au nom d’une foi dévoyée qui ne reconnaît ni nos lois ni le droit international. C’est une guerre qui nous a été déclarée par un adversaire qui cherche à conquérir par la force toutes les apparences et toutes les prérogatives d’un État mais refuse toutes les responsabilités qui incombent à un État sur la scène internationale.

Cette guerre nouvelle échappe au modèle de la guerre codifiée issue du droit international, un droit né précisément, faut-il le rappeler, en terre babylonienne il y a 4 000 ans. En ce sens, tout se tient et les destructions de trésors archéologiques ne sont pas le fruit du hasard : elles procèdent de la volonté de détruire l’idée même de civilisation. Les combattants qui la servent se nourrissent d’une idéologie singulière faisant de l’apocalypse tout à la fois son moteur et son but.

Cette guerre d’un type nouveau se caractérise par une continuité des menaces intérieure et extérieure. Notre réponse doit donc être elle aussi intérieure et extérieure. Nous avons adopté la semaine dernière plusieurs mesures visant à renforcer la sécurité des Français. Le débat que nous avons aujourd’hui doit préciser le sens, les objectifs et les contours de notre action militaire en Irak et en Syrie.

De part et d’autre de la frontière entre ces deux pays, l’autoproclamé État islamique administre, après l’avoir conquis par la force et hors de tout cadre international, un territoire aussi vaste que la Belgique. Il y lève l’impôt et y gère les services publics. Il y organise un commerce qui échappe lui aussi à toute règle et lui permet de financer ses actions criminelles. Il y développe des postes de commandement, y stocke des armes et y organise des centres d’entraînement. Il y accueille des combattants volontaires recrutés partout dans le monde, en particulier chez nous, qu’il embrigade et forme à la lutte armée et au crime.

Personne ne peut croire que nous parviendrons à circonscrire son pouvoir de nuisance en adoptant une stratégie de cordon sanitaire visant à confiner les terroristes chez eux et à nous barricader chez nous. La nature de la menace, la forme qu’elle a prise au cours des derniers mois et l’absence complète de possibilité de négocier ne laissent pas le choix de l’objectif qui doit être le nôtre et celui de la communauté internationale : détruire cet embryon d’État.

À l’heure où nous parlons, il ne fait guère de doute que la destruction de l’État islamique suppose une intervention militaire d’envergure et durable en Irak et en Syrie.

Par ailleurs, l’attaque terroriste du 13 novembre dernier est la plus meurtrière jamais perpétrée sur notre territoire depuis la Seconde guerre mondiale. Laisser impuni ce crime odieux impuni ou le traiter comme une entreprise criminelle sans prendre en compte son caractère éminemment politique reviendrait à envoyer un dramatique signal d’impunité aux terroristes de Daech.

Ce qui nous est demandé aujourd’hui, nous en avons conscience, ce n’est pas simplement de ne pas nous opposer à une réplique inéluctable, c’est de soutenir une riposte d’envergure.

Depuis le mois d’août 2014, la coalition internationale intervient militairement, notamment avec des moyens aériens, en Irak et en Syrie. Je rends ici hommage à tous nos soldats engagés dans cette opération. Ces frappes, qui viennent compléter l’action des combattants irakiens et syriens au sol, ont permis de briser la dynamique de conquête territoriale de l’État islamique mais sans la refouler ni l’affaiblir durablement. Et pour cause ! Depuis quatorze mois, ni les membres de la coalition, ni les puissances régionales, ni les relais au sol ne parviennent à s’accorder sur une vision et une stratégie communes. C’est pourtant une nécessité. La question des moyens est subsidiaire car en l’absence de stratégie commune, l’action militaire ne peut qu’être dispersée et inefficace. Il n’y aura pas de stratégie militaire efficace contre Daech sans consensus politique international.

De même que nous soutenons l’action militaire de la France, nous soutenons son action diplomatique visant à créer la « grande et unique coalition » évoquée par le Président de la République. Cet objectif est loin d’être atteint. Les rencontres du Président de la République avec le premier ministre britannique David Cameron, le président américain Barack Obama, le président russe Vladimir Poutine mais aussi les principaux chefs d’État et de gouvernement européens doivent avoir pour but, non seulement de coordonner les actions des forces sur le terrain, mais également d’associer à l’action tous ceux qui en ont la capacité et la volonté.

Une coalition unique, ce sont des engagements aériens supplémentaires, c’est le soutien naval de nouveaux acteurs, c’est une aide renforcée et sans arrière-pensée aux combattants engagés sur le terrain – l’armée irakienne et les combattants kurdes – ; c’est un partage effectif du renseignement.

La solidarité européenne que vous avez sollicitée, monsieur le Premier ministre, peut quant à elle prendre la forme de soutiens indirects. Je tiens à saluer ici la décision d’Angela Merkel de soumettre à l’approbation du Bundestag l’envoi de 650 soldats allemands au Mali, ce qui soulagera l’armée française et nous permettra de mieux nous concentrer sur les enjeux de sécurité intérieure et extérieure découlant du péril djihadiste. La solidarité européenne, c’est aussi la capacité à partager les coûts de la guerre car ces combats que nous menons, nous les menons aussi pour protéger l’Europe de la menace.

Enfin, une coalition unique, c’est une vision géopolitique concertée. La mobilisation sans précédent qui se dessine doit permettre de s’accorder sur une feuille de route politique, sur les évolutions de l’intervention militaire et sur la question cruciale de l’après Bachar el-Assad. En effet, si l’ennemi de la France en Syrie est l’État islamique, l’avenir durable de la Syrie ne saurait s’incarner dans un régime qui a gazé son peuple, créé le chaos dans son pays et piétiné les principes élémentaires du droit international.

Quant à l’évolution des opérations militaires, chacun a bien conscience que la nécessaire action au sol aura une efficacité et une légitimité seulement si elle est menée principalement par les acteurs locaux. Cela suppose que toutes les parties de la coalition, y compris la Turquie, acceptent que le rôle des combattants kurdes soit reconnu, respecté et soutenu matériellement et militairement.

Lors de nos trois précédents débats parlementaires sur l’action militaire de la France au Moyen-Orient, les écologistes ont défendu, par la voix de mon collègue François de Rugy, l’idée d’une grande conférence internationale consacrée en priorité à la question des minorités du Moyen-Orient. Cette question est plus que jamais au coeur des solutions car, dans cette région du monde, problématiques sécuritaire et communautaire sont enchevêtrées. C’est du chaos qui règne entre populations sunnites, chiites, kurdes, chrétiennes, yézidies et sabéennes, qu’ils entretiennent et exacerbent, que se repaissent les fondamentalistes.

Poser la question de la juste représentation de ces populations dans les institutions nationales, traiter les questions territoriales et nous interroger sur de nouveaux modèles d’administration respectueux des droits des minorités, notamment des Kurdes, créera les conditions d’un apaisement entre les peuples et privera l’État islamique de son apparence de légitimité auprès de ses soutiens. Cette conférence internationale permettrait en outre de placer un certain nombre de pays devant leurs responsabilités. Je rappelle ici que nous appelons depuis quatorze mois à une clarification de la position certains partenaires. Je pense bien entendu à la Turquie, qui laisse se dérouler sous ses yeux la contrebande d’hydrocarbures qui finance Daech, fait preuve d’un laxisme certain vis-à-vis des combattants européens qui transitent sur son sol et gère l’afflux des migrants en fonction de ses objectifs intérieurs et de la question kurde.

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