Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 3 décembre 2015 à 15h00
Rénovation des casernes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Madame la présidente, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, chers collègues, les journées d’initiative parlementaire sont riches en sujets divers et variés.

Les groupes parlementaires déposent des propositions de loi souvent intéressantes, parfois avec un brin d’opportunisme. La maîtrise de l’ordre du jour du Parlement par les groupes minoritaires est une avancée démocratique incontestable, mais nous pouvons en améliorer les modalités en repensant ensemble la façon dont elle pourrait être plus féconde – à l’image, du reste, de ce qui vient de se produire avec la proposition de loi relative à l’incapacité pénale des personnes définitivement condamnées pour pédophilie.

La proposition de loi visant à la rénovation des casernes par l’Agence nationale de rénovation urbaine, soumise à notre examen cet après-midi, présente plusieurs avantages, dont le premier est de nous donner une nouvelle occasion de rendre hommage aux militaires, aux gendarmes et aux policiers.

Face à la menace terroriste et aux craintes légitimes qu’elle provoque, notre responsabilité est de dire que nous allons tout faire pour nous redresser et pour vivre dans la sécurité, et que nous serons plus forts que les terroristes.

Mais nous devons aussi résister ensemble, ne pas céder aux querelles politiciennes et ne pas ajouter de l’huile sur le feu. Rendre hommage aux policiers, aux gendarmes et aux militaires, c’est d’abord être tous responsables et nous montrer à la hauteur des inquiétudes en évitant les tentatives de récupération, d’où qu’elles viennent.

Ils sont intervenus à Paris, au Bataclan et à Saint-Denis, ils ont risqué leur vie, certains ont été blessés. Policiers de l’unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion – RAID – et de la Brigade de recherche et d’intervention – BRI –, gendarmes, membres des forces de sécurité, pompiers, sans parler des médecins, des chirurgiens, des infirmiers et de tous les fonctionnaires qui ont eu un comportement exemplaire, dans une situation de crise, pour sauver des vies : redire notre respect et affirmer notre soutien à toutes ces personnes dont la mission est d’assurer notre protection, c’est d’abord montrer de la dignité face à l’immense courage et à la générosité dont ils font preuve.

Nous sommes dans un temps où les responsables politiques doivent manifester humilité et modestie. Ce sont ces policiers et ces militaires qui étaient en face de terroristes prêts à se faire exploser à tout moment. Ce sont ces policiers et ces militaires qui chargeaient face aux rafales. Ce sont ces policiers et ces militaires qui étaient dans la salle du Bataclan et qui ont dû dénouer une situation extrême au milieu des cadavres et des blessés. Gardons-nous donc de verser dans les altercations et les chicanes : c’est, dans le temps du deuil où nous sommes, la meilleure façon de témoigner de notre respect.

Au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je veux aussi dire notre respect à nos collègues François de Mazières et Serge Grouard, dont le travail remarquable témoigne de l’implication des parlementaires sur une question finalement assez simple – c’est du reste le lot des propositions de loi, car nous ne disposons pas des services ni de l’administration d’un ministère pour bâtir des propositions de loi complexes.

Monsieur le rapporteur, nous saluons vos efforts et nous vous remercions d’avoir pris en charge cette question de la rénovation des casernes en tentant de lui apporter une réponse. Votre proposition de loi est l’aboutissement d’innombrables heures d’auditions, d’écoute, de concertation et de rédaction. Quelles que soient les positions et les observations de chacune et chacun d’entre nous sur les divers éléments de cette proposition, je pense pouvoir dire sans prendre de grands risques que nous sommes unanimes pour reconnaître la quantité et la qualité de votre travail.

Cette proposition est un bon exemple des possibilités données aux parlementaires pour défendre, diffuser et faire avancer des idées et pour répondre a des problèmes concrets de nos concitoyens. Sans cette initiative, qui apporte une réflexion complémentaire pour prolonger les efforts, il n’est pas impossible que le rythme prévu pour la rénovation des casernes eût été moins rapide.

Pour revenir plus précisément aux dispositions de la proposition de loi, je tiens à dire, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, que nous partageons une grande partie de votre constat : des dizaines de casernes sont dans un état lamentable et méritent des rénovations en urgence. Les milliers de militaires et de gendarmes, mais aussi leurs familles qui vivent dans ces casernes, méritent des conditions de vie dignes – nous parlons en effet de la vie quotidienne concrète de nos forces de l’ordre.

Des installations électriques et de gaz vétustes et dangereuses, des vitres cassées dans les parties communes, des escaliers glissants et dangereux dans des cages dont le dernier ravalement et la dernière mise au propre avec un coup de peinture remontent à trente, voire quarante ans, des caves humides, des moisissures et la présence de plomb, des colonnes d’eau détériorées provoquant des fuites : nous ne comptons plus les dégradations, l’absence d’entretien et parfois l’insalubrité dans certaines casernes. C’est tout simplement insupportable.

Monsieur le ministre, nous ne devons pas nous cacher et « faire les bordures ». Notre devoir est de reconnaître notre responsabilité collective face à ces situations.

Les ministres de l’intérieur et de la défense disposent d’un immense parc immobilier qui représente, au total, plus de 120 000 logements. L’État n’est pas propriétaire de tous ces logements, dont certains appartiennent d’ailleurs à des collectivités territoriales ou des bailleurs sociaux. La situation n’est en outre pas homogène, car certaines casernes – souvent celles qui appartiennent aux collectivités locales – sont en excellent état ou ont fait l’objet de belles rénovations, que nous devons saluer.

Si, dans l’ensemble, le parc immobilier est vieillissant, la vétusté préoccupante des logements ne concerne pas la majorité du parc. Si, globalement, la dégradation des conditions de vie demeure une réalité, des crédits budgétaires et des investissements importants ont été consacrés à la maintenance et la rénovation. De fait, face aux témoignages et aux rapports qui s’accumulent pour constater certaines situations alarmantes, reconnaissons aussi les efforts accomplis.

Le Gouvernement a ainsi annoncé en 2014 un plan de réhabilitation immobilière de cinq ans, couvrant la période 2015-2020. En 2015, ce ne sont pas moins de 62 opérations de réhabilitation et de maintenance qui ont été lancées, en priorité pour les logements des familles, afin de procéder à leur mise aux normes réglementaires et à la rénovation des toitures et des réseaux d’eau et de chauffage.

Les montants et les opérations sont presque nécessairement inférieurs aux besoins réels. Pour y faire face, vous proposez de mobiliser les moyens de l’ANRU pour la réhabilitation des logements. À première vue, l’idée paraît intéressante, voire astucieuse. L’agence spécialisée dans la rénovation urbaine, à qui nous devons de grandes réussites en termes de rénovation de quartiers dans toutes leurs dimensions et de réhabilitation de grands ensembles de logements, possède en effet une expertise qui pourrait être très utile pour rénover des casernes qui constituent parfois de véritables quartiers.

Une coopération avec l’ANRU, c’est de toute façon une bonne idée. Je note avec intérêt les propos du ministre et du président de l’ANRU, M. François Pupponi, sur les casernes situées dans les secteurs relevant de l’Agence. Nous pouvons en effet partager l’incompréhension légitime et le sentiment d’injustice éprouvés par les militaires, qui constatent la réhabilitation de quartiers entiers jouxtant leurs casernes sans que ces dernières bénéficient de la moindre rénovation.

Cela se justifie d’autant plus que l’ANRU est déjà intervenue en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Tout le problème réside dans le fait que les moyens de l’ANRU ne sont pas extensibles.

La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, dite « loi Lamy », a lancé un nouveau programme national de renouvellement urbain, qui bénéficiera de cinq milliards d’euros sur la période 2014-2024, mais ces moyens sont destinés à la réhabilitation de projets de renouvellement urbain dans le cadre de la politique de la ville : ce sont deux cents quartiers d’intérêt national qui sont ciblés et la liste a été fixée selon des critères stricts en termes de pauvreté, en recourant au fameux « carroyage ».

Confier de nouvelles missions à l’ANRU diminuerait nécessairement les moyens alloués aux quartiers les plus pauvres et les plus fragiles. Mettre en concurrence les quartiers prioritaires et les casernes présente donc des risques de confusion.

Le financement des rénovations urbaines repose depuis 2009 sur « Action logement », dont la mission est le logement des salariés des entreprises privées grâce à une contribution de 0,45 % des salaires. Rénover les casernes avec ce financement implique donc une dilution du financement des logements des salariés du secteur privé.

Enfin, nous devons aussi éviter de confondre les missions régaliennes des ministères de la défense et de l’intérieur avec celles d’une agence. Le parc de casernes n’est pas un parc de logements sociaux : il est constitué de bâtiments destinés à l’accueil de certaines catégories de personnels militaires des deux ministères. Les personnes logées dans les casernes relèvent d’un régime particulier qui leur permet d’occuper un logement dans un bâtiment du ministère. Ces personnes, même celles qui perçoivent une rémunération modeste, ne peuvent prétendre à bénéficier d’un logement social.

Cette proposition de loi a le mérite de pointer un problème auquel les ministres concernés doivent répondre avec plus d’énergie et plus de volontarisme. Toutefois, elle contient certaines confusions qui sont dommageables.

Dans ces conditions, tout en reconnaissant l’intérêt que présente cette interpellation – notre groupe sera plus que vigilant et mettra le Gouvernement face à ses responsabilités en la matière – et malgré le travail sérieux et les bonnes intentions du rapporteur, nous ne pourrons pas voter pour cette proposition de loi.

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