Intervention de Yves Durand

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, rapporteur :

La ségrégation observée dans les établissements est protéiforme. Il s'agit d'abord d'une ségrégation sociale. Au primaire, il est difficile d'en avoir une vision claire, faute de données sur les catégories socio-professionnelle des parents, qui ne sont pas collectées par les directeurs d'école. Cela constitue une boîte noire statistique, qui empêche le service public de l'éducation de veiller à la mixité sociale des publics scolarisés au primaire et à l'entrée en sixième.

Au collège, des données sont en revanche disponibles. Une ghettoïsation par le bas et par le haut s'y observe dans le public, puisque 5 % des établissements scolarisent 70 % d'élèves défavorisés, tandis que la même proportion d'entre eux scolarisent 65 % d'élèves très favorisés. Une dualisation sociale des collèges publics et privés s'observe également. Dans l'enseignement public, 40 % de collégiens sont issus de milieux populaires contre 19 % d'enfants de parents très favorisés. Dans l'enseignement privé, 20 % de collégiens sont d'origine défavorisée, contre 36 % de collégiens de milieu aisé.

Au lycée, la ségrégation sociale est encore plus prononcée qu'au collège. Elle résulte du tri social opéré par l'orientation en fin de troisième et de la hiérarchie des filières de formation.

J'en viens à la ségrégation scolaire. Elle est aussi forte que la ségrégation sociale, puisque, en moyenne, un élève parmi les meilleurs – tout comme un élève d'un milieu très favorisé – est entouré, dans sa classe, de deux fois plus d'élèves d'un niveau équivalent au sien – d'élèves très favorisés – que les autres élèves. Cela est souvent expliqué par les choix de langues et d'options. Dans les collèges, la classe accueillant le plus de bons élèves est, dans 78 % des cas, une classe bilangue et comprend, dans 87 % des cas, des latinistes.

S'y ajoute une ségrégation budgétaire, car l'éducation nationale ne donne pas plus de moyens aux élèves qui ont les besoins les plus importants, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Si l'on compare avec le reste de l'OCDE, les moyens d'enseignement apparaissent insuffisamment concentrés sur les élèves les plus fragiles.

Il y a seulement 1,6 élève de moins par classe entre les écoles primaires de l'éducation prioritaire et les autres. Seulement 1,8 % du budget de l'enseignement scolaire est donné en plus à l'éducation prioritaire, soit moitié moins que ce qui est recommandé par l'OCDE. En 2014, seuls 3,25 % des postes du second degré étaient des postes spécifiques académiques, c'est-à-dire des postes à profil. En 2014, 37 % des enseignants de l'éducation prioritaire avaient moins de 35 ans et plus de 55 % des enseignants mutés ou affectés dans l'académie de Créteil étaient des néo-titulaires.

Ces phénomènes de ségrégation ont des effets délétères. Ils renforcent les inégalités d'apprentissage entre élèves en affectant la qualité des enseignements dispensés, en enclenchant un cercle vicieux selon lequel la dévalorisation de soi renforce les difficultés scolaires et en empêchant la coopération et le tutorat entre les meilleurs élèves et les autres.

Les élèves défavorisés, qui ont peu de chances d'être scolarisés dans des établissements socialement mixtes ou favorisés, ont plus de probabilité, de ce fait, d'obtenir de mauvais résultats, l'impact de leur milieu familial étant accentué par la composition sociale défavorisée de leur établissement.

En France, l'écart entre la performance observée et la performance théorique – calculée par l'indice PISA de statut économique, social et culturel – des élèves défavorisés fréquentant des établissements défavorisés est de 113 points, soit le double de la moyenne de l'OCDE. L'effet « établissement ségrégué » sur les résultats des élèves défavorisés est donc considérable dans notre pays : il est équivalent, en moyenne, à celui qui résulterait de deux ou trois années de retard scolaire.

1 commentaire :

Le 30/12/2015 à 16:54, laïc a dit :

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Les élèves des lycées ségrégués ont les mêmes professeurs que les autres lycées, c'est-à-dire que ces professeurs ont un niveau de formation équivalent, donc on ne peut pas rejeter la faute de l'écart des notes sur le degré de qualité des professeurs.

Par ailleurs, ce n'est pas l'environnement des élèves qui crée le niveau scolaire, mais le degré d'implication de l'élève dans ses études. Si pourtant on constate que l'environnement a une influence supérieure à la motivation individuelle, s'il la détermine, c'est que les élèves sont mal surveillés, laissés à eux-mêmes et aux influences des élèves les plus perturbateurs. Il faut donc renforcer la surveillance des élèves pendant et hors des cours, puisqu'ils ne sont pas capables de s'autoréguler par eux-mêmes, capacité à la régulation au contraire plus manifeste dans le cas des lycées dits favorisés, où les parents sont plus concernés, plus présents, et assurent cette régulation qui fait défaut aux lycées dits "ségrégués", et c'est pourquoi les notes sont supérieures dans les lycées dits bourgeois à celles relevées dans les lycées dits ségrégués.

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