Intervention de Dimitris Avramopoulos

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Dimitris Avramopoulos, commissaire européen à la Migration et aux Affaires intérieures :

Je suis très heureux, Mesdames les présidentes, de cette invitation qui me permet, devant une assemblée de responsables politiques – j'en suis moi-même un depuis une vingtaine d'années, d'où mon plaisir d'être parmi vous, non seulement de rafraîchir mon français quelque peu rouillé, même si je devrai pour des raisons terminologiques me résoudre à répondre aux questions des intervenants en anglais, mais aussi de m'adresser aux représentants de trois commissions très importantes de l'Assemblée nationale.

Voilà plus de quinze jours, la France subissait l'inacceptable. Les attaques terroristes perpétrées à Paris ont déclenché une vague d'émotion et des manifestations de solidarité en Europe et au-delà. Elles ont confirmé un renversement des perspectives et des priorités. Le défi migratoire que présente l'arrivée massive de réfugiés et les attaques portées contre notre sécurité par les attentats terroristes répétés depuis le début de l'année occupent désormais le haut de l'échelle des priorités, avant même les questions économiques. Pour faire face à ces événements, l'Union européenne est solidaire de ses États membres et déterminée à agir à leurs côtés. Dans ces moments très difficiles, je vous assure que la Commission est solidaire du peuple français et prête à proposer les mesures qui s'imposent.

Je me félicite des décisions prises par les États membres lors du Conseil « Justice et affaires intérieures » extraordinaire qui s'est tenu le 20 novembre. Pour la plupart inspirées par la France, ces décisions illustrent la détermination des États membres à mettre rapidement en oeuvre les mesures proposées dans le cadre de l'agenda européen sur la sécurité par la Commission européenne en avril.

En matière de lutte contre le trafic d'armes à feu, tout d'abord, nous soutenons le plan d'action adopté par la France juste avant les attaques et y avons donné suite au niveau européen. Le 18 novembre, en effet, la Commission a proposé une législation concernant l'acquisition et la détention d'armes et adopté un règlement sur la désactivation des armes à feu. Nous présenterons dès demain un plan d'action contre les trafics et l'utilisation illicite d'armes à feu et d'explosifs. Nous devons agir, y compris en nouant une coopération opérationnelle avec certains pays voisins qui ne sont pas membres de l'Union et d'où proviennent certaines armes. Nous devons lutter contre le commerce en ligne et agir avec l'aide d'Europol et d'Interpol.

Être opérationnels ne signifie pas qu'il faut renoncer à adopter une législation européenne là où elle est nécessaire. Dès demain, nous proposerons un nouvel instrument juridique de lutte contre le terrorisme. L'objectif est d'établir des règles uniformes dans l'ensemble de l'Union afin de criminaliser les actes liés au terrorisme, y compris les déplacements à des fins terroristes, l'entraînement et le financement du terrorisme.

Nous ne saurions cependant nous cantonner à l'adoption de mesures répressives. Nous ne lutterons efficacement contre le terrorisme qu'en nous attaquant aux causes profondes de la radicalisation et en empêchant que de jeunes Européens succombent à l'idéologie mortifère de Daech. Le centre d'excellence du réseau de sensibilisation à la radicalisation est opérationnel depuis le 1er octobre. Il vise à permettre aux experts et aux praticiens de coopérer et d'échanger des informations et des bonnes pratiques, notamment dans le domaine de la prévention de la radicalisation. Nous lancerons jeudi prochain un forum en ligne avec les grandes entreprises d'internet – Google, Twitter et d'autres. Nous voulons discuter et agir ensemble, dans le cadre d'un partenariat public-privé, afin d'éliminer les contenus en ligne qui incitent au terrorisme.

Par ailleurs, nous sommes déterminés à améliorer le partage d'informations à l'échelle européenne. L'échange d'informations est souvent considéré comme le talon d'Achille de la politique européenne de sécurité, comme l'a rappelé hier le Président de la République à juste titre. Je rappelle que des outils d'échange d'informations comme le système d'information de Schengen et les bases de données d'Europol existent déjà. Ils doivent être systématiquement utilisés. De même, j'ai bon espoir d'aboutir rapidement à un accord équilibré avec le Parlement européen et avec les États membres à propos de notre proposition concernant les données relatives aux passagers aériens – le fameux Passenger name record, ou PNR européen.

Sur le plan opérationnel, le centre européen de lutte contre le terrorisme sera lancé le 1er janvier 2016 et fera partie d'Europol. Il optimisera l'usage des instruments relatifs aux bases de données existantes afin de soutenir les services compétents des États membres.

Le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union, réclamé par la France, est une nécessité. Nous examinons la possibilité de renforcer le Code Schengen afin d'introduire des contrôles systématiques, y compris pour les citoyens européens lorsqu'ils rentrent dans l'espace Schengen.

La menace terroriste est élevée en France mais aussi ailleurs en Europe. Ne confondons cependant pas tout. Les attentats de Paris, mesdames et messieurs les députés, ont immédiatement relancé le débat sur l'accueil des réfugiés dans plusieurs pays ; je ne peux l'accepter. N'oublions pas la réalité : l'Europe est considérée comme un lieu de protection, un refuge pour ceux qui fuient les persécutions et le terrorisme de Daech. Les réfugiés ne sont pas les auteurs des atrocités de Paris ; ils en sont souvent les premières victimes. Gardons cela à l'esprit et ne remettons pas en cause la protection dont ils doivent bénéficier, même si cela nous vaut des défis. Depuis le début de l'année, plus de 800 000 personnes ont demandé l'asile en Europe. Nous sommes face à une situation d'une ampleur exceptionnelle qui ne se limite pas à un ou à quelques pays, mais qui nous concerne tous.

La politique migratoire que la Commission a présentée dans le cadre de l'agenda européen en matière de migration, qui est en cours d'application, vise à mettre au point des solutions européennes fondées sur davantage de coopération, de solidarité et de responsabilité. C'est la priorité de la Commission.

Ces dernières semaines, l'application de nos décisions communes a progressé, mais ces progrès sont encore insuffisants. Les équipes d'appui à la gestion des flux migratoires qui travaillent dans les hot spots situés en Grèce et en Italie doivent être considérablement renforcés – en Grèce surtout. Les premiers transferts réalisés dans le cadre du programme de relocalisation sont un premier pas encourageant, mais la réponse apportée par certains États membres m'a déçu. La France a contribué à cet effort mais n'a jusqu'à présent accueilli que 160 personnes relocalisées ; il est urgent de passer à la vitesse supérieure.

Je demeure convaincu du bien-fondé et de la pertinence du mécanisme de relocalisation des réfugiés et de l'approche par des hot spots. Ces dispositifs peuvent renforcer la sécurité de l'Europe. Leur mise en oeuvre complète et rapide est essentielle pour distinguer entre les personnes qui peuvent bénéficier de notre accueil et celles qui n'y ont pas droit ou, pire, celles qui présentent des risques et qui doivent être identifiées sans tarder. L'efficacité de notre politique migratoire dépend des efforts consentis par l'ensemble des États membres et des institutions européennes, ainsi que du renforcement de nos partenariats avec les pays tiers, en particulier la Turquie et les Balkans occidentaux. Suite à la conférence du 25 octobre avec les pays des Balkans et au sommet entre l'Union et la Turquie, qui s'est tenu dimanche à Bruxelles, l'Union a renoué un dialogue de haut niveau avec ces pays et travaille désormais à la mise en oeuvre des mesures qui ont été décidées.

Il faut néanmoins voir plus loin et établir un système assez robuste pour résister à l'épreuve du temps. Cette approche est au coeur de l'agenda européen en matière de migration et de nos initiatives à venir. Il va de soi qu'une Europe dont les frontières intérieures ne sont pas contrôlées n'est viable que si ses frontières extérieures sont sûres. La Commission présentera bientôt des propositions visant à renforcer le mandat de Frontex et à progresser dans le sens de la création d'un corps de garde-frontières européens. Les frontières extérieures de l'Union européenne ne sont pas du seul ressort de l'État membre concerné ; elles sont des frontières communes, dont nous devons tirer les conséquences en matière de responsabilité partagée. En outre, le système de Dublin tel qu'il existe actuellement n'est ni équitable ni opérationnel à long terme. La Commission proposera une réforme de ce règlement en mars 2016.

Ne nous laissons pas tenter par le discours démagogique et facile qui prône le repli sur soi. Une politique migratoire efficace et globale est nécessaire. C'est pourquoi la Commission est déterminée à réaliser des progrès décisifs sur tous les fronts, qu'il s'agisse de la lutte contre l'immigration irrégulière, de l'asile ou de l'immigration légale, et ce dans les pays d'origine mais aussi dans les pays de transit et de destination. À titre personnel, je suis convaincu qu'en matière de migration comme en matière de sécurité, notre aptitude à surmonter les crises actuelles dépendra de notre capacité à collaborer davantage pour mettre en oeuvre des solutions communes. Je compte sur votre contribution à la construction de politiques qui reflètent une Europe unie autour de ses valeurs.

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