Intervention de Erwann Binet

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, deux événements, survenus l’un en Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine au printemps dernier, nous ont révélé un grave dysfonctionnement dans le circuit de transmission des informations entre les autorités judiciaires et les administrations chargées d’accueillir des mineurs.

Ces affaires mettaient en cause deux enseignants préalablement condamnés par la justice.

En Isère, l’enseignant avait été condamné en juin 2008 à six mois d’emprisonnement avec sursis, assortis d’une mise à l’épreuve pendant deux ans avec obligation de se soigner, pour recel de bien provenant de la diffusion d’images de mineurs à caractère pornographique. L’éducation nationale n’a appris la condamnation de l’enseignant qu’au moment où celui-ci a été placé en garde à vue pour des faits de viol commis cette année, en 2015, sept ans après sa condamnation.

En Ille-et-Vilaine, l’ex-compagne d’un enseignant a prévenu l’éducation nationale de sa condamnation prononcée en 2006 pour des faits de pédopornographie. À la demande de l’administration, le procureur de la République de Rennes a fait état d’une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, mais également de poursuites en cours depuis 2011 pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans par ascendant et détention d’images pédopornographiques en récidive. Dans les deux cas, les dossiers administratifs des intéressés ne comportaient aucune mention de leur situation.

Immédiatement, madame la garde des sceaux, madame la ministre, vous avez diligenté une enquête administrative, confiée conjointement à l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche et à l’Inspection générale des services judiciaires. Deux rapports ont été rendus consécutivement. Le premier, en mai dernier, a mis en évidence les défaillances à l’origine des deux affaires. Le deuxième, rendu un mois plus tard, présente un regard plus large et une analyse structurelle sur la communication d’informations judiciaires de nature pénale concernant les fonctionnaires de l’éducation nationale mis en cause ou condamnés.

Un certain nombre d’obstacles ont ainsi été mis en évidence pour expliquer le défaut de communication entre les magistrats du ministère public et les établissements d’enseignement. À la lecture de ces deux rapports, les difficultés de transmission sont de nature organisationnelle mais aussi de nature juridique. Pendant la phase précédant le jugement, la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale reste aléatoire, le secret de l’instruction et la présomption d’innocence faisant obstacle, aux yeux de nombreux procureurs, à une transmission d’informations à ce stade de la procédure. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les vingt-deux circulaires n’ont souvent pas été suivies d’effet. Après le jugement, la transmission des informations entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale se heurte, du côté de l’autorité judiciaire, à des difficultés de nature organisationnelle et une inadaptation des moyens informatiques mis à la disposition des parquets. Du côté de l’administration, l’organisation territoriale des rectorats ne permettait une identification des interlocuteurs en leur sein, avec de surcroît une absence de dispositif d’alerte structuré.

Cette analyse a conduit la mission à formuler quinze préconisations destinées à combler les failles identifiées. Neuf de ces propositions sont de nature technique et organisationnelle. Elles ont été rapidement mises en oeuvre par le Gouvernement. Une circulaire conjointe du 16 septembre 2015 définit les modalités d’échange des informations entre autorités judiciaires et services de l’éducation nationale. L’efficacité et la pérennité du circuit de transmission des informations sont assurées par des « référents justice » auprès des recteurs d’académie, et, en miroir, par des magistrats « référents éducation nationale » auprès de chaque parquet.

Les autres préconisations de la mission d’inspection sont de nature législative. Il s’agit de prévoir formellement que le procureur de la République informe les administrations des poursuites et des condamnations de leurs agents, de créer une modalité de contrôle judiciaire d’interdiction d’entrer en contact avec des mineurs et d’inclure dans les infractions donnant lieu à une vigilance particulière la consultation habituelle et la détention d’images pédopornographiques.

Avec la même célérité que pour les mesures de nature réglementaire, le Gouvernement a présenté dès le mois de juin des amendements au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, alors en cours d’examen devant l’Assemblée nationale, pour transcrire au plus vite dans le droit des recommandations. Les évolutions proposées ont été adoptées. Mais nous savons la censure qui leur a été réservée, dans sa décision du 13 août 2015, par le Conseil constitutionnel, considérant qu’elles ne présentaient pas de lien avec l’objet du projet de loi – censure pour des objections de forme, donc, et non pour des motivations de fond.

Le Gouvernement a, par voie de conséquence, déposé le présent projet de loi. Avant cela, le Conseil d’État, je tiens à le préciser, a approuvé dans son avis la conciliation opérée entre les impératifs de protection des mineurs et l’indispensable garantie de la présomption d’innocence.

Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions prévues dans le texte. Outre le fait qu’elles ont déjà été longuement discutées par notre Assemblée, comme je l’ai dit, elles ont été présentées de manière exhaustive par Mmes les ministres dans leurs interventions.

Lors de sa réunion du mercredi 2 décembre 2015, la commission des lois n’a apporté qu’une seule modification notable au projet de loi. Elle a modifié l’article 1er afin d’encadrer les transmissions d’informations à l’administration, à l’initiative du ministère public, dans les cas où la juridiction exclut expressément la mention de la condamnation au bulletin no 2 du casier judiciaire.

Nous formalisons donc aujourd’hui dans le code de procédure pénale un dispositif de communication organisé pour l’ensemble des infractions et une information obligatoire pour les affaires concernant des mineurs, assortie bien évidemment de garanties. Nous prévoyons également, dans le code du sport, dans le code de l’action sociale et des familles et dans le code de l’éducation, que les personnes faisant l’objet de poursuites ou de condamnations soient plus systématiquement écartées du voisinage des enfants.

Nous le faisons par un projet de loi qui n’est pas un texte de circonstance rédigé dans l’urgence pour répondre à l’émotion du printemps dernier. Votre texte, mesdames les ministres, corrige les manques et parfois les incohérences de la loi. Ces corrections, il convenait de les opérer sans tarder. Je me réjouis que le projet de loi ait fait l’objet en commission, la semaine dernière, d’un vote favorable à l’unanimité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion