Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’institution judiciaire et à la protection des mineurs.

L’article 1er vise à mettre en place deux dispositifs : d’une part, un dispositif général ouvrant la possibilité, pour le ministère public, d’informer par écrit l’administration de l’existence d’une condamnation ou de poursuites contre une personne qu’elle emploie ; d’autre part, un dispositif spécial rendant obligatoire l’information de l’administration par le ministère public lorsque l’infraction concerne une personne mineure. Il est ainsi prévu d’ouvrir au ministère public une possibilité ou, selon les cas, une obligation d’informer l’administration en cas de poursuites ou de condamnation d’une personne qu’elle emploie, y compris à titre bénévole.

Ce projet de loi se situe dans la continuité de la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains discutée le jeudi 3 décembre. Mon collègue Joël Giraud avait salué la mise en place d’une incapacité pénale automatique pour les personnes définitivement condamnées pour des infractions délictuelles de pédophilie.

Ces deux textes, consensuels, ont déjà été débattus à l’occasion de l’examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DADUE pénal ». Pour prévenir et faire face aux récentes affaires de pédophilie survenues dans des établissements scolaires, au printemps 2015, dans les communes de Villefontaine et d’Orgères, le Gouvernement avait présenté des dispositions visant à renforcer notre législation pénale.

Dans le cadre du « DADUE pénal », la ministre de l’éducation nationale, de concert avec la garde de sceaux, avait présenté des amendements visant à ouvrir au ministère public la possibilité d’informer les administrations et les organismes compétents de l’existence d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est en lien avec des mineurs. Or ces dispositions, bien qu’adoptées par l’Assemblée nationale en lecture définitive, ont été censurées par le Conseil constitutionnel, non pas sur le fond, mais parce qu’elles ne représentaient pas « de lien, même indirect » avec l’objet du projet de loi examiné, celui-ci ne tendant qu’à la transposition de directives européennes. Cette critique avait déjà été exprimée lors de l’examen des amendements du Gouvernement, lesquels n’avaient pas été déposés dans des conditions optimales.

Ce dispositif peut toutefois susciter quelques inquiétudes. Je veux parler de la présomption d’innocence dans le cadre de la protection de mineurs placés sous l’autorité de majeurs. Ce sujet a d’ailleurs été évoqué tout à l’heure par Mme la garde des sceaux. La seule ouverture d’une enquête ou d’une instruction ne peut pas constituer une preuve suffisante de la commission des faits par la personne soupçonnée. Plus encore, l’utilisation d’informations non définitives pourrait porter préjudice à la réputation et à l’honneur de la personne concernée.

Face à ces difficultés, des garanties ont été prévues dans le dispositif général. En revanche, les garde-fous sautent en cas de condamnation ou de poursuites pour des infractions commises sur des mineurs par des personnes travaillant dans des administrations en lien avec les mineurs. Tout en protégeant l’ensemble des usagers et agents de l’administration, a fortiori les mineurs, nous souhaitons renforcer la protection des personnes poursuivies.

L’inquiétude demeure quant au respect de la proportionnalité entre les garanties apportées par de telles dispositions et les risques encourus pour la réputation, l’honneur et l’atteinte à la vie des personnes en cas d’erreur. Je ne peux m’empêcher de rappeler ici le drame d’Outreau. Une erreur judiciaire avait entraîné la suspicion à l’égard de l’ensemble des acquittés de cette terrible affaire ; elle avait conduit certains d’entre eux à la dépression ou, pire, au suicide. Il faut donc rester prudent et s’attacher au respect des droits de la défense, en particulier de la présomption d’innocence et du principe de proportionnalité entre les risques encourus et les peines prononcées.

Il convient également de rester attentif face aux amalgames, aux dénonciations calomnieuses et infondées qui peuvent entraîner le renforcement de rumeurs, surtout à l’heure d’internet et du stockage des informations. Il est bien connu que toutes les informations publiées sur internet ne s’effacent pas et peuvent être partagées, diffusées, stockées, ce qui introduit un risque quant à la protection de la présomption d’innocence et du droit à la réhabilitation des individus.

L’avis du Conseil d’État nous encourage à renforcer notre législation en matière de protection des administrations, notamment celles accueillant des mineurs, en cas de condamnation ou de poursuites exercées contre leurs agents.

Je note que le Gouvernement, conformément à l’avis de Dominique Raimbourg, rapporteur du « DADUE pénal », a élaboré un dispositif équilibré évitant les écueils que je viens d’évoquer.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera ce projet de loi, qui est un texte de précision, de juste équilibre rassurant en matière d’information de l’administration pour la protection des mineurs.

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