Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 8 décembre 2015 à 15h00
Information de l'administration et protection des mineurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre de l’éducation nationale, chers collègues, le projet de loi que nous examinons a pour objet de fixer le cadre dans lequel le ministère public peut ou doit transmettre à des autorités publiques ou à des personnes privées exerçant une mission de service public des informations nominatives à caractère pénal. Il modifie le code de l’action sociale et des familles, le code du sport, le code de l’éducation et, de façon plus délicate et à juste titre discutée, le code de procédure pénale.

Ce texte prévoit une obligation et une possibilité pour les autorités judiciaires d’informer l’administration compétente des procédures mettant en cause une personne placée sous son contrôle et exerçant une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs s’il s’agit d’infractions graves commises contre des mineurs ou de nature sexuelle. Il donne aussi au ministère public la possibilité, dans certaines conditions et sous sa seule appréciation, d’informer l’administration de procédures mettant en cause une personne dont l’activité professionnelle est placée sous son contrôle. Il permet enfin de prononcer une interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Je rappelle que ce texte tire les conséquences d’antécédents judiciaires relatifs à l’exercice d’activités professionnelles ou sociales en contact avec les mineurs. Il vient après le constat, dressé dans le cadre d’une mission conjointe de l’Inspection générale de l’éducation et de la recherche et de l’Inspection générale des services judiciaires, de difficultés réelles rencontrées dans la transmission de l’information entre l’autorité judiciaire et l’éducation nationale, notamment pour la phase précédant le jugement.

Les difficultés d’ordre juridique rendaient aléatoire une information nominative, à laquelle font par nature obstacle la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Le doyen Carbonnier, que j’ai déjà cité dans une précédente intervention, écrivait en 1979 : « À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède. Qu’un scandale éclate, qu’un accident survienne, qu’un inconvénient se découvre, la faute en est aux lacunes de la législation. Il n’y a qu’à faire une loi, et on la fait. »

Nous avons décidé en 2012 de ne pas soumettre le temps législatif au temps médiatique. J’ai hésité, je l’avoue, malgré les tragiques événements, et j’ai un moment redouté que nous ne cédions à une satisfaction de papier, mais la lecture de l’étude d’impact et de l’avis rendu par le Conseil d’État me confortent dans l’idée qu’il convenait sans doute d’encadrer plus avant par la loi cette communication d’informations judiciaires. Je le dis avec d’autant plus de force que, très attachée, comme vous tous, à la présomption d’innocence et redoutant de plonger dans le désespoir ou de pousser au suicide des personnes qui seraient injustement soupçonnées, il me paraissait essentiel que soit menée une réflexion rigoureuse permettant de trouver le juste équilibre entre la nécessaire information que commande une situation critique, les risques encourus et les garanties constitutionnelles et conventionnelles de la présomption d’innocence et du respect de l’instruction et de la vie privée.

La communication d’une information par l’autorité judiciaire après la phase de jugement ne porte pas atteinte à la vie privée et à la présomption d’innocence, dès lors que la condamnation a été prononcée publiquement – tel est l’avis du Conseil d’État.

La question est plus délicate pour les stades précédant le jugement. La communication d’une information qui affecte des droits protégés par notre Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a ainsi suscité de nombreuses interrogations, indispensables et, je l’espère, utiles pour sécuriser ce texte. Au bout du compte, il appartiendra à l’autorité judiciaire d’apprécier et de faire le bilan des droits protégeant la personne et des risques encourus pour la sécurité et l’ordre public en cas de non-transmission de l’information.

Il nous appartiendra à nous aussi, parlementaires, de contrôler l’application du dispositif ainsi proposé à la représentation nationale et de mesurer les effets de sa transparence comme ses conséquences humaines et en droit – c’est-à-dire en contentieux.

Parti des antécédents judiciaires concernant des mineurs, le projet de loi élargit le champ de ces mesures pour prendre aussi en compte le public vulnérable. Le texte proposé pour l’article 11-2 du code de procédure pénale prévoit ainsi une information écrite sur des décisions, énumérées dans ladite loi, rendues contre une personne, employée ou bénévole, lorsqu’en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, cette information est nécessaire pour permettre de prendre les mesures utiles.

J’avais à plusieurs reprises exprimé le souhait que ces mesures ainsi encadrées, si elles étaient mises au service des mineurs, le soient aussi au service de personnes fragiles – non seulement les personnes âgées, mais aussi celles qui souffrent d’un handicap, ces dernières étant quelquefois hébergées ou employées dans des lieux de travail tels que les établissements et services d’aide par le travail, les ESAT. C’est donc chose faite et je vous en remercie.

Pour conclure, je rappellerai qu’il n’y a évidemment pas de risque zéro, vous le savez aussi bien que moi, et qu’en tout état de cause, ce projet de loi, s’il facilite une information pour prévenir un risque, ne peut exclure la vigilance des autorités administratives ou privées en charge d’un service public, ni leur responsabilité dans les suites à donner à l’information ainsi transmise par l’autorité judiciaire.

Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi et du travail d’analyse entrepris, je voterai ce projet de loi.

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