Intervention de Myriam El Khomri

Séance en hémicycle du 9 décembre 2015 à 15h00
Expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée — Présentation

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs, il y a un objectif qui nous réunit toutes et tous sur les bancs de cet hémicycle, quelles que soient d’ailleurs nos sensibilités, c’est l’emploi. C’est la priorité de ce gouvernement, je sais que vous la partagez. C’est aussi la préoccupation majeure de tous les Français, parce que nous avons toutes et tous dans nos entourages, des amis, de la famille, des jeunes, voire des parents, qui recherchent un emploi de manière active et parfois depuis plusieurs mois. Certains s’accrochent, d’autres désespèrent. Au-delà, il y a tous ceux qui ont peur de basculer, de perdre leur emploi.

La situation de l’emploi dans notre pays mérite toute notre attention, parce que, derrière les chiffres, que l’on commente souvent au sein de cette assemblée, parfois de manière déshumanisée et désincarnée, se cachent les visages de milliers d’hommes et de femmes qui n’aspirent qu’à une chose, retrouver le chemin de l’emploi, retrouver de l’autonomie, retrouver de la dignité, retrouver enfin confiance et estime de soi.

Nous ne devons exclure aucune piste de travail pour répondre au défi de l’emploi. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Gouvernement soutient de nombreuses initiatives locales, à travers des démarches expérimentales, – celles du tissu associatif dont il faut saluer l’esprit d’innovation –, qui ont des résultats encourageants.

La proposition de loi que nous discutons aujourd’hui a pour objectif de faire disparaître le chômage de longue durée sur une dizaine de territoires, par la création d’emplois répondant à des besoins sociaux non satisfaits. L’objectif est ambitieux, mais nous avons là un défi majeur pour favoriser l’emploi de tous.

Aujourd’hui, l’un des fléaux du chômage, c’est le chômage de longue durée. Je suis déterminée à l’enrayer, et, encore une fois, je crois que nous partageons tous cet objectif.

À l’heure où nous parlons, environ 2,5 millions de demandeurs d’emploi sont inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, B ou C depuis au moins 12 mois. Cela représente 44 % des inscrits. Parmi eux, environ 1 million de demandeurs d’emploi n’ont exercé aucune activité depuis au moins 12 mois. Cette situation n’est pas propre à notre pays, c’est un mal européen. Entre 2007 et 2014, le nombre de demandeurs d’emploi concernés a doublé dans l’Union européenne.

Considérant qu’il y a urgence à réagir à ce problème, le Conseil de l’Union européenne vient d’adopter, le 7 décembre, une recommandation sur l’intégration des chômeurs de longue durée sur le marché du travail, visant à établir un cadre approprié pour soutenir les actions des pays membres sur le modèle de la garantie européenne sur la jeunesse.

Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à une telle situation. Nous ne le pouvons pas d’abord parce qu’elle affaiblit, discrimine et désespère les dizaines de milliers de demandeurs d’emploi qui ne demandent qu’une chose, je le disais, pouvoir se rendre utiles, utiles à la société, par le travail.

Le temps joue contre chaque personne concernée. Ce temps, qui devrait être utile pour consolider ses acquis, trouver des opportunités, se former, est en fait un processus d’exclusion progressive. Nous le savons, une grande part du lien social, de l’estime de soi et, parfois même, de celle de la famille passe par le travail, et les longues périodes de chômage tendent à faire perdre aux demandeurs d’emploi leurs repères et la confiance en soi.

Ces personnes, comme l’ensemble des Français, ont comme première préoccupation l’emploi. Cela se comprend d’autant mieux que l’on connaît des taux de chômage très élevés dans certaines villes, certains départements, certaines régions, notamment dans les quartiers populaires, où le taux de chômage est deux, voire trois fois plus élevé que la moyenne. C’est injuste, et ce n’est pas acceptable.

Les écarts se sont creusés avec la crise. Les demandeurs d’emploi font face à une concentration des difficultés classiques en matière d’accès à l’emploi : moindre qualification, faible mobilité.

Le chômage de longue durée ne se résorbera pas mécaniquement avec le retour d’une croissance plus dynamique. Il faut mettre en place des solutions spécifiques, adaptées à la complexité de la situation. Il n’existe pas de solution unique. Des outils sont déjà à notre disposition, il faut les utiliser, mais également les compléter, les améliorer, innover.

À la suite de la grande conférence sociale de 2014, qui a affirmé l’urgence d’une mobilisation collective à ce sujet, et après avoir beaucoup travaillé avec les acteurs, mon prédécesseur François Rebsamen a annoncé en février 2015 un plan d’action « Nouvelles solutions face au chômage de longue durée ». Ce plan propose de nouveaux modes d’intervention, y compris le recours à l’expérimentation.

À côté des politiques publiques, existent en effet de nombreux projets novateurs et originaux, capables de contribuer à lutter contre le chômage de longue durée. Ils peinent souvent à entrer dans les politiques publiques, très normatives. Puisque ces projets existent, puisqu’ils sont innovants, et parce que nous ne devons exclure aucune bonne idée dans la bataille contre le chômage, parce que nous le devons à toutes celles et à tous ceux qui se battent pour obtenir un emploi, je crois que nous avons tout intérêt à nous en saisir en les expérimentant.

Il a été ainsi été considéré que le projet intitulé « Territoires zéro chômeur de longue durée » initié par ATD Quart Monde pouvait être expérimenté et évalué avant une généralisation éventuelle.

Comme Laurent Grandguillaume, je tiens à saluer l’action de cette association, comme de toutes les associations qui prennent à bras-le-corps cette problématique, souvent dans la proximité, au plus près des réalités locales et, surtout, avec les publics. Ces associations savent formuler des propositions qui sont utiles au débat public mais permettent également d’améliorer très concrètement les conditions de vie de ceux qui sont exclus du monde du travail.

La proposition de loi présentée aujourd’hui par le groupe socialiste de votre assemblée, dont Laurent Grandguillaume saura être un rapporteur engagé, doit permettre de préciser ce texte et de le rendre plus opérationnel.

L’idée, c’est qu’il reviendrait moins cher à la collectivité de financer un CDI payé au SMIC que de continuer à dépenser de l’argent pour compenser l’inactivité, et ce sur la base d’une triple conviction : la première, c’est que tous les chômeurs ont des compétences et qu’il importe de les valoriser et de les rendre utiles à la société ; la deuxième, c’est qu’il y a des besoins sociaux qui ne sont pas satisfaits aujourd’hui, preuve que des emplois sont à créer ; enfin, la troisième, c’est qu’en réaffectant toute une série de dépenses sociales, on pourrait financer un emploi sans coût supplémentaire.

La proposition de loi reprend ce même objectif de faire disparaître le chômage de longue durée et, plus largement, de supprimer la « privation durable d’emploi » dans le cadre d’une expérimentation conduite sur une dizaine de territoires.

Vous connaissez ma conviction sur le rôle de l’État et de son action. Il nous faut déployer tous les moyens possibles pour lutter contre l’exclusion durable, qui resterait difficilement réversible, même en cas de retour de la croissance.

Nous agissons déjà très concrètement, en permettant l’accès aux contrats aidés – 400 000 personnes en bénéficient chaque année –, en soutenant également l’insertion par l’activité économique, qui permet chaque année à près de 130 000 personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières d’être recrutées en contrat à durée déterminée d’insertion. Ce sont autant de personnes qui trouvent là une opportunité de retrouver le chemin de l’emploi.

L’expérimentation proposée à travers cette proposition de loi ne vise pas à remplacer ces dispositifs d’aide à l’emploi, qui ont fait leurs preuves. À l’issue des contrats aidés dans le secteur marchand, 65 % des bénéficiaires sont en emploi, et près de 45 % le sont à la suite des contrats aidés dans le secteur non marchand. Ces derniers ne s’adressent pas aux mêmes publics : ils sont ciblés sur les personnes en situation de handicap, sur les habitants des quartiers relevant de la politique de la ville, sur les seniors et également sur les demandeurs d’emploi de longue durée.

Les aides à l’emploi sont complémentaires des outils d’accompagnement et de formation professionnelle que nous mettons en oeuvre pour favoriser le retour à l’emploi. L’expérimentation qu’il est proposé de lancer doit permettre de renforcer la lutte contre le chômage de longue durée. Elle constitue une réponse cohérente et complémentaire de la politique que nous menons en la matière. Il est en effet nécessaire de ne pas perdre une occasion de compléter et d’enrichir nos efforts pour mieux accompagner ceux qui restent les plus éloignés du monde du travail.

La justice sociale, car c’est bien de cela dont il est question dans le débat que nous aurons, est liée à l’efficacité économique. Parce que je crois aussi que l’emploi crée l’emploi, il nous faut encourager toutes les initiatives, et il faut, je le disais, n’en exclure aucune. Cette initiative devra être combinée à une mobilisation et à une « territorialisation » de la politique de l’emploi.

Nos politiques pour l’emploi demandent l’implication de tous, parce que la bataille de l’emploi, c’est l’affaire de tous. Je pense évidemment aux services publics de l’emploi, aux collectivités territoriales avec les conseils départementaux, les conseils régionaux, les municipalités, mais aussi les entreprises et les associations. C’est cet écosystème vertueux qui assurera la réussite de ce projet.

La proposition de loi appelle enfin trois séries de remarques : sur son ciblage, sur son financement et sur son évaluation. D’abord, en effet, je crois qu’il n’y a pas d’expérimentation valable sans un ciblage précis, et l’expérimentation dont nous parlons aujourd’hui n’échappera pas à cette règle. Nous allons tomber rapidement d’accord, j’en suis certaine, sur le public : les demandeurs d’emploi de longue durée – c’est l’urgence –, qu’ils soient ou non bénéficiaires du RSA. Je pense également aux moins qualifiés ; je pense enfin aux demandeurs d’emploi de très longue durée : si nécessaire, leur accès à l’emploi et leur maintien dans l’emploi devront prendre appui sur un accompagnement adapté.

Nous devons nous entendre également sur le type de territoires qui pourront se porter candidats. Ils devront être de petite taille, pour un nombre limité de bénéficiaires, et disposer d’un réseau d’acteurs en mesure d’accompagner l’expérimentation. Pour se donner le moyen de réussir cette expérimentation, il nous faut en effet savoir commencer petit, quitte à contenir des élans, pour ensuite pouvoir généraliser cette initiative, sur la base d’un partenariat territorial qui aura fait ses preuves.

L’engagement de grandes collectivités ou d’établissements publics de coopération intercommunale est bien sûr bienvenu : il sera important pour la réussite du projet, mais toujours en recherchant, pour l’expérimentation, un petit territoire. Il ne s’agit pas de réduire l’ambition de la démarche, mais de la rendre contrôlable. Les territoires ruraux en ZRR – zone de revitalisation rurale – et les quartiers relevant de la politique de la ville pourront bien sûr être candidats, si les territoires concernés répondent aux critères et présentent un projet viable. Je crois d’ailleurs que ce serait un très bon signal, et nous aurons l’occasion d’en discuter.

Deuxième série de remarques, à propos du financement. Nous assumerons ce financement dans la perspective tracée par la proposition de loi : il doit s’agir d’une expérimentation à coût maîtrisé pour la collectivité et bénéficiant de l’apport financier d’une diversité de partenaires.

Pour déterminer la participation de chacun des financeurs du fonds national d’expérimentation qui sera créé par la loi, il faudra des principes simples, précisés dans un décret. L’engagement financier de l’État viendra compléter celui d’autres partenaires : les collectivités locales, les organismes publics ou privés. Je souhaite que cet engagement explicite soit une condition qui s’impose à chaque territoire pour intégrer l’expérimentation.

Je précise à ce titre que, la première année de l’expérimentation, l’État pourra consentir un effort financier exceptionnel pour mieux accompagner sa mise en place et que, au-delà, la participation de l’État s’élèvera à l’équivalent du coût d’un contrat initiative emploi. Cet engagement répond à la philosophie même de la proposition qui vous est faite aujourd’hui, à savoir qu’elle ne doit pas coûter plus cher aux collectivités publiques.

Enfin, je souhaite évoquer avec vous la question de l’évaluation. Elle ne sera possible que dans la mesure où les objectifs de l’expérimentation sont dès à présent clairement exprimés. C’est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. Elle ne sera également possible que dans la mesure où le ciblage et les moyens mobilisés sont clairement identifiés : c’était l’objet de mes deux précédentes remarques.

Sur ces bases, nous demanderons que soient évalués, en toute rigueur et par un organisme indépendant, les points suivants : dans quelle mesure les demandeurs d’emploi de longue durée trouvent dans l’accès au CDI et par des activités d’utilité sociale, la voie d’une insertion sociale et professionnelle durable ; dans quelle mesure l’accès à l’emploi se réalise effectivement à coût constant ; et, bien sûr, quels sont les facteurs de réussite ou les freins à lever pour plus d’efficacité. C’est au terme de ce cheminement de cinq années et de l’évaluation menée que nous pourrons nous dire qu’il y a là une voie à emprunter, à plus large échelle.

Mesdames et messieurs les députés, je salue encore une fois l’initiative et le désir d’innovation porté par ATD Quart Monde et les territoires qui l’accompagnent. Plusieurs d’entre eux sont d’ailleurs d’ores et déjà candidats à une expérimentation. C’est un pari sur l’avenir, un pari qui se nourrit de la volonté des demandeurs d’emploi de travailler, de contribuer à la société et à son développement économique.

Je remercie les députés auteurs de cette proposition de loi et son rapporteur, qui invitent ainsi la représentation nationale à se mobiliser fortement pour soutenir ce projet. Je souhaite que nos débats nous permettent d’améliorer encore le texte, pour lui donner toute l’ambition et toute l’efficacité nécessaires. Au terme de nos débats et après les indispensables ajustements du texte, je souhaite que cette proposition de loi soit largement approuvée par votre assemblée.

Notre objectif, que je sais partagé sur l’ensemble des bancs de cette assemblée, est de faire baisser le chômage de manière massive et durable. Cette proposition de loi est innovante ; c’est une philosophie nouvelle qui s’impose. Pour ma part, je la soutiens. Nous devons créer les conditions les plus favorables à son expérimentation.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons une responsabilité collective face à ce défi de l’emploi, parce qu’il y a urgence, parce que nous n’avons pas le droit de décevoir et que nous devons réveiller l’espoir ; je suis convaincue que nous pouvons y arriver. Nous le devons aux Français.

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