Intervention de Frédérique Massat

Séance en hémicycle du 9 décembre 2015 à 21h45
Lutte contre le gaspillage alimentaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au XVIIe siècle, le philosophe John Locke affirmait que lorsqu’une personne s’approprie plus de nourriture qu’elle n’en a besoin, son gaspillage conduit à déposséder les autres.

Aujourd’hui, en France, notre société produit beaucoup plus que ce qu’elle consomme et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Il est donc urgent d’agir.

Au moment où Paris accueille la COP21 – nous étions ce matin sur le pavillon France, dont tout un pan est consacré à la lutte contre le gaspillage alimentaire – et dans le prolongement de la loi sur la transition énergétique, nous devons être exemplaires. Il nous faut être à la hauteur du défi alimentaire et climatique qui nous attend.

C’est la raison pour laquelle je me réjouis que la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui soit portée par tous les groupes politiques de cette assemblée. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un large consensus, et même d’une belle unanimité, au sein de la commission des affaires économiques, le 17 novembre dernier. Je tiens à saluer notre rapporteur, Guillaume Garot, pour son travail de longue haleine, ainsi que les collègues qui l’ont fortement épaulé.

L’esprit de l’unanimité politique est bien présent : de nombreux parlementaires de tous bords se sont associés à cette initiative, et le travail de M. Jean-Pierre Decool, en particulier, a été décisif. Vous le savez, la commission des affaires économiques a, de longue date, suivi l’ensemble des initiatives législatives visant à lutter contre le gaspillage alimentaire. Un premier débat l’a animée lors de l’examen de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Decool. Il avait alors reconnu le bien-fondé d’une action plus volontariste et accepté le principe d’une cosignature transpartisane de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, et qui s’est inspirée des recommandations du rapport de Guillaume Garot.

Par la suite, lors de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique pour une croissance verte, en juillet 2015, plusieurs amendements déposés par notre collègue Guillaume Garot, et signés par des représentants de tous les groupes, ont été adoptés à l’unanimité. La grande distribution – Mme la ministre l’a rappelé – s’était elle-même engagée à appliquer ces dispositions dans le cadre d’une convention d’engagement volontaire signée avec le Gouvernement. Écartées par le Conseil constitutionnel, en application de la règle dite de l’entonnoir, elles sont reproduites, en substance, dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

De fait, l’enjeu est fondamental. Le gaspillage n’est plus tolérable, à plusieurs titres.

Tout d’abord, il accroît les injustices : il s’observe au quotidien, tandis que la précarité alimentaire se renforce. Ainsi, selon une étude récente de l’INSEE, les ménages modestes consacrent une part plus importante de leur budget à l’alimentation que les ménages aisés. De trop nombreuses personnes dépendent encore de l’aide alimentaire pour se nourrir chaque jour. L’action publique doit soutenir les associations caritatives qui se mobilisent bénévolement, dans tous les territoires, pour récupérer et redistribuer ce qui, sans elles, serait jeté.

Ensuite, le gaspillage est inadmissible à cause de son coût pour la planète. Au niveau mondial, il se traduit par des tonnes de ressources perdues, des millions d’hectolitres d’eau inutilement utilisés pour produire ces ressources, et par une production de gaz à effet de serre équivalente à celle d’un État développé. Or, aujourd’hui, 800 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde. Pour les pays en développement, qui connaissent déjà des tensions pour cultiver des terres arables et pour s’approvisionner en nourriture, la lutte contre le gaspillage constitue un remède essentiel à l’insécurité alimentaire, ainsi qu’à l’instabilité politique et sociale qu’elle entraîne.

À défaut de mesures efficaces, la commission estime que ce niveau atteindra 126 millions de tonnes en 2020. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, chaque Français jette en moyenne vingt kilogrammes de nourriture saine par an, dont sept kilos encore sous emballage. Nos sociétés développées sont des sociétés de consommation, de surconsommation, où les valeurs attachées à la nourriture sont en déclin, car nous sommes trop mal habitués à la pénurie et nous n’avons pas suffisamment conscience que nos comportements ne sont pas soutenables à l’échelle mondiale.

Guillaume Garot a rappelé en commission l’importance de consommer et de produire autrement, selon un modèle d’alimentation durable et respectueuse de la nourriture. Je m’associe à cet appel : nous devons conjuguer nos efforts, en notre qualité de responsables publics, pour faire évoluer les mentalités et les comportements. Lors de nos débats, certains se sont interrogés sur la nécessité d’une loi : le don alimentaire se pratiquant déjà, pourquoi légiférer ? La loi doit montrer la voie à suivre, orienter l’action publique, en particulier l’action gouvernementale. Mais la loi doit aussi encourager la généralisation des comportements vertueux, conformément à l’intérêt général qu’elle défend.

L’intervention législative est donc légitime, et même urgente. Elle permettra de faire bouger les lignes et d’adresser un signe d’encouragement à tous les acteurs qui se mobilisent au quotidien. Cette proposition de loi est la traduction législative d’un consensus. C’est manifestement la journée qui veut cela, à en croire le vote qui vient d’intervenir sur le précédent texte, et c’est une excellente chose.

Cette proposition de loi donnera l’impulsion à une politique nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire qui devrait faire référence, en impliquant tous les acteurs publics et la société civile. Elle posera également un jalon supplémentaire dans la stratégie nationale portée par le Gouvernement. Aussi, j’appelle nos collègues de tous les bancs – mais je crois qu’il ne sera pas difficile de les en convaincre – à retrouver l’unanimité dont ils ont su si opportunément faire preuve à plusieurs reprises, lors des précédents débats. Je remercie tous les députés qui se sont engagés sur ce texte.

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