Intervention de Jean-Pierre Decool

Séance en hémicycle du 9 décembre 2015 à 21h45
Lutte contre le gaspillage alimentaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Decool :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis lundi dernier, les représentants de 196 pays sont réunis au Bourget afin de trouver des solutions pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. À l’occasion de cette COP21, il faut rappeler que, parmi les grandes sources d’émissions de gaz à effet de serre, se cache le gaspillage alimentaire. Jeter une baguette de pain, c’est laisser se vider une baignoire entière. Jeter un kilo de viande de boeuf, c’est gaspiller 15 000 litres d’eau.

Notre planète est usée. Nous avons trop gâché, trop gaspillé ses ressources. Au nom du progrès, nous avons creusé la terre toujours plus profond, toujours plus fort, pensant que rien ne pouvait nous arrêter. Nous nous sommes fourvoyés. Notre société de consommation est allée trop loin, oubliant que notre planète n’était pas inépuisable.

Le combat contre le gaspillage alimentaire est un enjeu crucial dans cette volonté de préservation de nos ressources qui, à l’heure actuelle, se tarissent. La lutte pour notre environnement n’est cependant pas la seule bataille qu’il nous faut mener. En effet, le défi est double : un combat contre l’épuisement de nos ressources, d’une part, mais également un combat contre la faim dans le monde, d’autre part.

En effet, au-delà du prisme de l’écologie, nous pouvons également regarder la lutte contre le gaspillage alimentaire à travers un prisme social. Chaque Français jette l’équivalent de 20 kilos de nourriture par an, dont 7 kilos encore parfaitement emballés. En France, le gaspillage alimentaire représente chaque année 159 euros par personne et cinquante-six repas par foyer – des chiffres à nous donner le tournis ! Quelle honte, alors que des Français connaissent encore la faim !

Le chômage et la précarité touchent durement notre société. Le lundi 30 novembre, les Restos du coeur ont débuté leur trente et unième campagne – un bien triste anniversaire pour cette association accueillant de plus en plus de familles dans le besoin ou de jeunes étudiants parvenant difficilement à boucler leurs fins de mois. Aujourd’hui, 3,5 millions de Français bénéficient de l’aide alimentaire.

Cette crise sociale doit nous faire réfléchir à nos comportements. Bien que nos mentalités et pratiques évoluent, nous n’avons pas encore pris pleinement conscience de la quantité effroyable de nourriture que nous gaspillons. Pour un paquet abîmé ou un dépassement de date de péremption dont la lecture, il faut l’avouer, est quelque peu ambiguë, nous préférons bien souvent jeter. Il faut changer nos habitudes, bousculer ces mauvais réflexes et, surtout, consommer autrement. Certaines pratiques doivent à tout prix cesser. Un chauffeur routier m’expliquait par exemple qu’après un retard de livraison de quelques heures pour cause de trafic perturbé, il avait vu sa cargaison de 4 tonnes de viande javellisée, le magasin de grande distribution n’en voulant finalement plus. Il faut davantage responsabiliser les enseignes, qui produisent chacune près de 200 tonnes de déchets alimentaires chaque année.

Nous ne sommes pas ici pour désigner les coupables. Nous sommes tous responsables ! Producteurs, vendeurs, consommateurs : chacun, à son niveau, est concerné par la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Aujourd’hui, nous constatons d’ailleurs un certain volontarisme d’organisations qui s’engagent et prennent des dispositions dans la lutte contre le gaspillage. Des citoyens se lancent ainsi dans la bataille : c’est le cas d’Arash Derambarsh, conseiller municipal à Courbevoie, qui distribue les invendus alimentaires dans sa ville. Je tiens à saluer leurs actions et à les en remercier.

À Rungis, par exemple, plus de 330 tonnes de fruits et légumes n’ayant pu être vendus ont été valorisées en 2013, soit quasiment une tonne par jour. Le plus grand marché d’Europe montre l’exemple. Nous ne pouvons que l’encourager à poursuivre ses actions, espérant qu’il ouvre la voie à d’autres.

Au-delà des denrées alimentaires, de nombreux gestes « anti-gaspillage » sont entrés dans notre quotidien. C’est la preuve qu’il est possible de changer nos comportements, car nous les effectuons désormais sans même vraiment nous en rendre compte : utiliser l’eau du robinet avec parcimonie, trier et valoriser nos déchets, préférer les transports en commun à la voiture, adhérer au télétravail… Autant d’actions qu’il faut continuer à promouvoir, tout en allant plus loin !

Aller plus loin, c’est l’ambition que j’ai portée dès l’été 2014. Alerté par des associations inquiètes devant leurs chambres froides vides, j’avais, lors d’un déplacement en Belgique, pris connaissance d’une formidable initiative menée par la commune d’Herstal. La mesure belge consiste à astreindre les grandes surfaces de distribution alimentaire de plus de 1 000 mètres carrés à donner, sans système de défiscalisation, leurs invendus encore consommables à une association caritative. Mes chers collègues, ayons l’honnêteté de reconnaître à la commune d’Herstal, en Belgique, la paternité de l’idée !

J’ai souhaité adapter cette mesure coercitive, tout en discutant avec les associations et les grandes surfaces dans le cadre d’une première série d’auditions menées à l’été 2014. Je tiens d’ailleurs à remercier tous les participants qui m’ont accueilli et m’ont confié leurs attentes.

En septembre 2014, je comprenais les enjeux et je déposais ma première proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire, suivie d’une seconde en décembre, enrichie du maintien de la défiscalisation, le système belge étant probablement trop coercitif pour notre pays. J’étais alors loin d’imaginer le parcours chaotique, voire ubuesque – je le dis sans animosité, sans aigreur –, que ce texte subirait. Un beau sujet d’école pour les étudiants de Sciences Po ! Mais ça, c’était avant. Je remercie les différents orateurs qui ont bien voulu rappeler la genèse de cette démarche. Cela me touche beaucoup.

Alors que cette proposition de loi méritait, dès les premiers jours, l’unanimité sur tous les bancs de l’hémicycle, elle a été la malheureuse victime de pratiques politiciennes. Je constate que les dispositions que nous allons adopter aujourd’hui sont, pour l’essentiel, semblables à celles du texte que j’avais déposé il y a un an et auquel les députés de la majorité s’étaient opposés. Je le dis sans aigreur. Si le débat de janvier 2015 avait été aussi ouvert qu’aujourd’hui, cela aurait été un beau cadeau de Noël, madame la ministre : la loi serait déjà appliquée. Je ne m’attarderai pas sur ce triste épisode : nous avons déjà perdu trop de temps, mes chers collègues, pour nous permettre d’en perdre encore davantage.

La problématique du gaspillage alimentaire n’est ni de droite, ni de gauche ; c’est l’affaire de tous, un enjeu qui doit nous rassembler. C’est pourquoi j’ai fait abstraction de ces considérations partisanes et j’ai cosigné, avec Frédéric Lefebvre, lui aussi à l’initiative d’une proposition de loi déposée en 2015, et avec plusieurs de mes collègues du groupe Les Républicains, la proposition de loi du groupe socialiste, républicain et citoyen rapportée par Guillaume Garot. Le cadre légal prévu par ce texte était en effet nécessaire. L’accord conclu en août dernier entre Mme Royal et les grandes enseignes de distribution ne suffit pas : sans les brusquer, il faut inciter ces dernières à donner davantage.

C’est ce cadre légal que la proposition de loi examinée ce soir tend à mettre en place. À terme, les enseignes devront conclure une convention avec les associations afin d’organiser la collecte des dons. Cette convention garantit la défiscalisation au profit de l’enseigne donatrice, mais elle sécurise également le don pour l’association qui reçoit.

Loin de s’intéresser uniquement aux grandes surfaces, cette proposition de loi a également pour ambition de valoriser les actions des entreprises en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, plus spécifiquement dans le cadre de leur responsabilité sociale et environnementale. Elle entend également intégrer cette lutte dans le parcours scolaire afin de sensibiliser les élèves. Ce sont de belles avancées en perspective, et j’ose espérer, madame la ministre, monsieur le rapporteur, que d’autres pays nous rejoindront demain pour relever ensemble le défi alimentaire qui attend notre planète.

À ce moment du débat, je salue le rapporteur, Guillaume Garot, et je le remercie de nous avoir associés à ses travaux, reconnaissant par là même son adhésion au signal lancé dès l’été 2014.

Soyons toutefois réalistes et lucides. Cette proposition de loi ne pourra, à elle seule, soigner tous les maux de notre société de consommation. Nous pouvons aller plus loin dans nos actions, en nous intéressant notamment aux dons des particuliers.

Les ménages sont les premiers gaspilleurs de France. Plus de 73 % de la nourriture jetée chaque année l’est par les ménages, contre 6 % par la distribution et 12,5 % par la restauration. La lutte contre le gaspillage alimentaire doit recueillir l’adhésion de tous les citoyens. Il faudrait donc aller plus loin que la simple promotion en facilitant les dons des particuliers entre eux.

La société Soft’It m’a récemment présenté un projet qui doit appeler toute votre attention. Avec l’aide des nouvelles technologies de l’information et de la communication, cette société entend développer une plate-forme où seraient mis en relation les particuliers donneurs et les particuliers demandeurs de denrées alimentaires. L’idée est ingénieuse. Pourtant, trop d’obstacles subsistent encore pour qu’elle puisse se concrétiser. En effet, qu’en est-il de la responsabilité du donneur ? Une personne effectuant un don, purement volontaire, peut-elle se retrouver poursuivie si la qualité du produit n’est pas celle attendue ? La législation actuelle n’offre aucune protection, aucune garantie : de fait, elle n’incite pas au don entre particuliers. Madame la ministre, il pourrait donc être utile de lever par la voie réglementaire ces freins qui subsistent.

Songeons en outre aux associations qui vont, du jour au lendemain, se retrouver avec une quantité importante de denrées alimentaires à distribuer, avec les mêmes moyens logistiques qu’aujourd’hui. Ne pourrait-on pas également suggérer aux grandes surfaces de les aider, via des fondations, en leur apportant le matériel nécessaire comme des réfrigérateurs ou des camions supplémentaires ? Voilà une autre piste de réflexion qui mériterait d’être abordée dans le futur.

Enfin, régions, départements et communes doivent travailler de concert pour promouvoir et favoriser les circuits de proximité qui limitent les déplacements et favorisent la production locale.

C’est par toutes ces actions mises bout à bout que nous serons en mesure de développer une politique plus globale pour lutter contre le gaspillage de nos ressources et préserver un cadre de vie durable et sain pour les générations futures.

Il n’est pas dans mes usages de me renier : naturellement, je voterai donc ce texte avec enthousiasme, espérant que son application fera école. En fin de COP21 et en cette période où la fraternité est de mise, cette proposition de loi d’origine collégiale honore la représentation nationale.

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