Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 9 décembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur :

…intéressée ou fertile : elles s'inspirent scrupuleusement de celles de ces instances de contrôle. Compte tenu de la hiérarchie des normes applicables à l'élection présidentielle, je vous présente deux propositions de loi, l'une organique, l'autre ordinaire.

Vous l'avez compris : il s'agit de nous mettre d'accord sur les « règles du jeu ». La démarche se veut donc la plus consensuelle possible. C'est d'ailleurs pourquoi je vous propose de limiter nos débats à la seule élection présidentielle et de ne pas nous lancer dans une hypothétique réforme d'ensemble de notre droit électoral. Depuis 2007, le Conseil constitutionnel invite le législateur organique à prendre ses responsabilités s'agissant des modalités d'organisation de l'élection présidentielle. Je souhaite éviter qu'une telle invitation nous soit à nouveau adressée dans les rapports qui seront publiés à la suite de la prochaine élection présidentielle. Tels sont mon état d'esprit et ma seule intention.

Cinq principales améliorations sont proposées dans ces deux textes.

Premièrement, la proposition de loi organique tend à moderniser le système de présentation des candidats à l'élection présidentielle.

D'une part, les présentations – communément appelées « parrainages » – devront désormais être transmises au Conseil constitutionnel par leur auteur, par voie postale. Il sera donc mis fin à la « centralisation » des formulaires de parrainage par les équipes de campagne. Le caractère personnel et volontaire de l'acte de parrainage sera ainsi réaffirmé. Nous aurons tout à l'heure un débat sur l'opportunité d'ajouter une possibilité de transmission des parrainages par la voie électronique – un certain nombre d'amendements portent sur ce point.

D'autre part, la proposition de loi organique prévoit la publicité intégrale de la liste des « parrains » de chaque candidat à l'élection présidentielle. Aujourd'hui, je le rappelle, cette liste n'est rendue publique que dans la limite de 500 signatures. Cela conduit le Conseil constitutionnel à procéder à des tirages au sort parmi l'ensemble des parrainages, ce qui constitue en réalité une rupture du principe d'égalité. Désormais, la totalité des parrainages des candidats seront rendus publics, ce qui sera plus simple et plus clair. C'est aussi une question de responsabilité politique : les élus doivent assumer publiquement leur parrainage et, le cas échéant, rendre des comptes à cet égard. Des amendements proposent d'ailleurs d'aller plus loin, en prévoyant cette publicité non pas à la fin de la période de recueil des signatures, mais au fur et à mesure de leur réception par le Conseil constitutionnel. Les arguments en ce sens recevront de ma part une écoute très positive.

Deuxièmement, la proposition de loi organique vise à clarifier et à simplifier le traitement de la campagne par les médias audiovisuels. Elle met fin aux règles baroques qui s'appliquent pendant la période dite « intermédiaire », c'est-à-dire celle qui court de la publication de la liste des candidats jusqu'au début de la campagne officielle et dure environ trois semaines – vingt jours exactement en 2012. Aujourd'hui, les chaînes de radio et de télévision doivent faire coexister une stricte égalité des temps de parole des candidats et une simple équité des temps d'antenne. Or, en 2012, neuf directeurs de rédaction de chaînes de radio et de télévision avaient adressé une lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel afin de contester ce dispositif, et, parallèlement, onze médiateurs de presse avaient dénoncé le caractère « inapplicable » des règles fixées par le CSA. La proposition de loi organique simplifie la situation en remplaçant la règle d'égalité par un principe d'équité des temps de parole. Elle garantit, en outre, des conditions de programmation comparables, sous le contrôle du CSA.

Troisièmement, les deux propositions de loi tendent à adapter la législation sur les comptes de campagne.

D'une part, suivant une recommandation de la CNCCFP, il est proposé de ramener d'un an à six mois la période pendant laquelle les candidats à l'élection présidentielle doivent faire figurer leurs recettes et leurs dépenses électorales dans leur compte de campagne. J'ai noté que des amendements tout à fait opposés avaient été déposés sur ce point : les uns visent à supprimer cette mesure pour en rester au droit actuel, tandis que d'autres proposent au contraire de l'étendre à l'ensemble des élections.

D'autre part, la proposition de loi ordinaire renforce les moyens de contrôle de la CNCCFP, en lui permettant de recourir à des experts. Il s'agit d'améliorer sa capacité d'appréciation de certaines dépenses électorales difficiles à évaluer, telles que l'impression de documents ou l'organisation de réunions publiques, sujets qui ont beaucoup occupé les médias lors de la dernière élection présidentielle. À la suite de l'audition de François Logerot, président de la CNCCFP, je vous proposerai d'aller plus loin, avec un amendement qui prévoit de rendre publiques périodiquement, au cours de la campagne, les dépenses électorales de chaque candidat.

Quatrièmement, la proposition de loi organique met fin à l'étalement des horaires de fermeture des bureaux de vote entre 18, 19 et 20 heures. Je propose, pour le seul scrutin présidentiel, qu'aucun bureau ne ferme désormais avant 19 heures. Il sera en revanche toujours possible de prévoir des dérogations jusqu'à 20 heures. En conséquence, l'intervalle entre les premières fermetures de bureaux de vote et la clôture du scrutin sera réduit à une heure. Cela rendra difficile une divulgation massive, avant la fin de l'embargo, de résultats partiels ou de sondages faits à partir de « bureaux tests » – j'imagine que la plupart d'entre nous en ont été à nouveau destinataires dimanche dernier avant même l'heure fatidique. Il est également proposé, aux mêmes fins, de renforcer les sanctions pénales réprimant la divulgation de résultats partiels de l'élection avant la fermeture du dernier bureau de vote. Un institut de sondage a d'ailleurs indiqué hier son intention de procéder à une telle divulgation lors de la prochaine élection présidentielle.

Cinquième et dernier point : la proposition de loi organique vise à simplifier les règles applicables aux Français résidant à l'étranger. Là encore, les dispositions du texte en la matière découlent des observations du Conseil constitutionnel, lequel a notamment relevé que 10 000 recours contentieux environ avaient été déposés à ce sujet devant le tribunal d'instance du 1er arrondissement de Paris. D'une part, je vous propose de mettre fin à la possibilité d'être inscrit à la fois sur une liste électorale consulaire et sur une liste communale en France. Nous discuterons probablement de l'application de cette mesure, à laquelle se rapportent un certain nombre d'amendements. D'autre part, la propagande électorale à l'étranger sera désormais autorisée sans discrimination entre les pays, sous la seule réserve de la législation du pays hôte.

En définitive, ainsi que vous pouvez le constater, ces deux propositions de loi, avec les améliorations que nous leur apporterons au cours de nos débats, devraient contribuer à ce que la prochaine élection présidentielle se déroule dans un environnement juridique incontestable. Eu égard à l'importance de ce scrutin, notre responsabilité est, me semble-t-il, d'agir en ce sens.

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