Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 9 décembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur :

Guy Carcassonne, dont les éclairages nous manquent, en appelait au concept, très giscardien, de « décrispation » de la vie politique. Il regrettait que la majorité répugne à perdre un tant soit peu les privilèges de sa puissance et que l'opposition n'entende céder aucune parcelle du confort de son hostilité. Je vous invite à sa suite, mes chers collègues, à faire oeuvre de décrispation. Ces propositions de loi vous sont présentées dix-huit mois avant l'élection présidentielle afin de tenter d'organiser un débat dénué de toute intention maligne. D'ailleurs, les précédentes modifications des règles entourant le scrutin présidentiel ont eu lieu à un moment bien plus rapproché de la date du vote, et M. Morel-À-L'Huissier s'en souvient mieux que quiconque, lui qui fut rapporteur d'un projet de loi organique déposé en février 2006. Un autre projet de loi organique, déposé en novembre 2011 sur le bureau de l'Assemblée nationale, fut même adopté en février 2012 !

En outre, cette démarche n'est pas une initiative du groupe SRC, mais répond à des remarques du Conseil constitutionnel de 2007 et de 2012. M. Coronado a affirmé que les propositions de celui-ci n'étaient pas consensuelles, mais le Conseil ne prétend pas au consensus ! Notre objectif est d'étudier ces recommandations, puis de les adopter ou de les écarter. Faisons en revanche en sorte de ne pas contraindre le Conseil constitutionnel à rédiger les mêmes rapports en juillet 2017…

Tous les points de vue sont respectables, et nous devons les départager. Monsieur Tardy, vous nous accusez d'adopter un comportement partisan, mais renseignez-vous auprès de votre président de groupe ! J'ai écrit à chacun d'eux le 6 novembre dernier pour les inviter à discuter et à adopter des mesures consensuelles ; j'ai ainsi rencontré M. Jacob, pour le groupe Les Républicains, le 25 novembre et j'ai débattu avec lui de tous les points de la proposition de loi. J'ai également reçu, le lendemain, Mme Pompili et M. de Rugy, puis Mme Duflot le 2 décembre ; les positions des « deux groupes » écologistes divergeaient entre elles, mais la confrontation de nos idées fut féconde. Je me suis également entretenu avec M. Lagarde, pour l'Union des démocrates et indépendants, si bien que cette démarche s'avère tout sauf partisane. Je vous remercie, monsieur Tardy, de ne pas me rendre responsable du fait que M. Jacob ne fait pas redescendre l'information au sein de son groupe…

Il me semble opportun que ce soit une proposition de loi qui modifie les règles de l'élection présidentielle. Le Parlement prend des responsabilités et ne reste pas spectateur de l'action de l'exécutif ; je n'ai d'ailleurs pas convié le Gouvernement à assister aux travaux de notre commission.

Circonscrire la proposition de loi à l'élection présidentielle est, je le reconnais, un choix parfaitement contestable. De nombreux amendements visent à élargir le champ du texte, et la Commission est libre de les adopter si elle le souhaite. J'ai privilégié la cohérence en ne traitant que du scrutin présidentiel, cette option, couplée à la procédure accélérée, permettant de légiférer rapidement et à une date suffisamment éloignée du prochain scrutin. Monsieur Gosselin, je ne corsète pas le débat, j'en propose un cadre : si vous souhaitez vous en émanciper, allez-y ! Une proposition de loi portant sur les autres élections pourrait d'ailleurs être déposée, et notre collègue Charles de La Verpillière avait adopté cette méthode au cours de la précédente législature en rapportant sur ce que l'on avait appelé un « paquet électoral ». Le groupe SRC travaille sur un chantier comparable, sous la direction de notre collègue Romain Colas ; en outre, Mme Pochon et M. Warsmann ont animé une mission d'information sur les listes électorales. Je ne soutiendrai pas l'extension du champ de la proposition de loi aux autres élections, mais je ne dispose que d'une seule voix au sein de la Commission.

Évitons l'hypocrisie sur la question de l'équité ! Aujourd'hui, l'égalité du temps de parole pendant la période intermédiaire de vingt jours cohabite avec l'équité du temps d'antenne. On mesure une égalité arithmétique et on donne la parole à des candidats à trois heures du matin, si bien que, s'agissant des heures et des médias de grande écoute, l'équité prévaut déjà. Sur ce point, je reprendrai en séance publique l'argumentation développée par le CSA dans deux rapports. Des recours ont été formés en 2007 et 2012 devant le Conseil d'État contre les critères retenus pour mesurer l'équité ; la haute juridiction administrative les a rejetés. Si on ne prenait en compte que les sondages, ce serait insuffisant, mais on retient un ensemble d'éléments, à partir desquels le CSA élabore une doctrine, qui s'applique d'ailleurs aux autres élections. Des amendements utiles visent à ce que le CSA publie régulièrement, plutôt qu'à la fin de la période, les relevés minutés des temps de parole : le regard a posteriori est intéressant, mais il se révèle peu opérant ! Il ne me paraît pas anormal que M. Jacques Cheminade, qui a recueilli 0,25 % des suffrages en 2012, ne bénéficie pas exactement du même traitement que ceux qui dominent dans les sondages, malgré le caractère changeant de ceux-ci. La situation actuelle me semble critiquable, et il convient de privilégier l'équité, sous la responsabilité des chaînes et du CSA.

En ce qui concerne les Français de l'étranger, je suis d'accord avec Sergio Coronado et avec Frédéric Lefebvre. En revanche, on ne peut pas parler, comme l'a fait ce dernier, de solutions « diamétralement opposées », car nous proposons tous de mettre fin à la double inscription, ne discutant que des modalités de la mesure. Il est exact que le Conseil constitutionnel ne nous a adressé aucune injonction : si nous ne sommes pas prêts, votons un amendement qui renvoie le traitement de ce sujet à un texte ultérieur. Je le répète, je n'ai ici aucun orgueil d'auteur ; je souhaite simplement que le législateur prenne ses responsabilités.

S'agissant de la possibilité de faire appel des décisions de la Commission nationale des comptes de campagne, les propos de Jean-Christophe Lagarde, repris par Georges Fenech, sont eux aussi parfaitement justifiés. Aujourd'hui, le système est profondément inégalitaire. Notre ancienne collègue Corinne Narassiguin a vu son élection annulée pour avoir méconnu des obligations qu'elle ne pouvait pas respecter puisqu'elles n'existaient pas au moment où sa candidature a été enregistrée ! Dans le département où je suis élu, plusieurs candidats mutualisent leurs dépenses au moment des élections législatives, mais nous ne sommes pas soumis au même traitement par la Commission nationale des comptes de campagne, parce que le rapporteur n'est pas le même, alors que les dépenses sont identiques : c'est injuste. Je serai donc très attentif, comme nous tous sans doute, à toute proposition tendant à modifier la réglementation en la matière dans le cadre d'un « paquet électoral ».

Quant à la durée de six mois plutôt qu'un an, nous allons en discuter en examinant les amendements. Notre Commission est souveraine à cet égard…

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